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Brecht, la Vie de Galilée (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Brecht, la Vie de Galilée (extrait). Conçue sous la forme d'une biographie théâtrale, la Vie de Galilée interroge, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le statut social de l'homme de science confronté aussi bien aux potentialités effarantes de ses découvertes qu'aux réticences du politique. Bertolt Brecht organise son matériau biographique à partir d'une polarisation entre d'une part une faute originelle commise par Galilée -- l'appropriation frauduleuse d'une découverte -- et d'autre part l'échec prétendu que représente son reniement face à l'Inquisition. Ce sont ces défaillances qui passionnent Brecht, lequel y voit la condition de survie de tout savant ainsi qu'un antihéroïsme fondamental permettant de poursuivre la quête de la connaissance et de la vérité. La Vie de Galilée de Bertolt Brecht (scène 3) GALILÉE. -- Je vais te présenter maintenant l'un des brillants nuages blanchâtres de la Voix Lactée. Dis-moi de quoi il se compose. SAGREDO. -- Ce sont des étoiles, innombrables... GALILÉE. -- Dans la seule constellation d'Orion, il y a cinq cents étoiles fixes. Ce sont tous les mondes, les mondes sans nombre, les astres lointains dont a parlé le supplicié de l'Inquisition. Il ne les a pas vus, il les prévoyait. SAGREDO. -- Mais en supposant que notre Terre soit un astre, il y a encore un sacré chemin jusqu'à cette affirmation de Copernic, qu'elle tourne autour du Soleil. Il n'y a pas d'astre au ciel autour duquel tourne un autre astre. Mais autour de la Terre tourne la Lune. GALILÉE. -- Je me le demande. Je me le demande depuis avant-hier. Où est Jupiter ? (Il accommode la lunette.) Il y a en effet à côté de lui quatre étoiles visibles à la lunette. Je les ai vues lundi, mais je n'ai pas spécialement noté leur position. J'ai regardé de nouveau hier. J'aurais juré qu'elles avaient changé de position. Sapristi ! Leur position a encore changé. (Avec agitation.) Regarde ! SAGREDO. -- Je n'en vois que trois. GALILÉE. -- Où est la quatrième ? Voici les tables. Calculons quelles sortes de mouvements elles ont pu faire. Ils se jettent au travail en pleine excitation. La scène s'assombrit. On voit cependant à l'horizon Jupiter et ses satellites. Quand la lumière revient, ils sont toujours assis, mais avec des manteaux d'hiver. GALILÉE. -- C'est démontré. La quatrième n'a pu aller que derrière Jupiter, où on ne la voit pas. Tu as un soleil autour duquel tournent des étoiles plus petites. SAGREDO. -- Qu'est-ce que tu fais de la spire de cristal à laquelle est fixé Jupiter ? GALILÉE. -- Oui, où est-elle maintenant ? Comment Jupiter peut-il y être fixé si d'autres étoiles gravitent autour de lui ? Il faut bien en conclure qu'il n'y a pas de tuteurs dans le ciel, qu'il n'y a pas d'arrêt dans l'univers. Voilà donc un autre soleil. SAGREDO. -- Du calme. Tu penses trop vite. GALILÉE. -- Quoi, vite ! Remue-toi un peu, l'ami ! Ce que tu vois là, personne ne l'a vu. Ils avaient raison. SAGREDO. -- Quoi ? Les Coperniciens ? GALILÉE. -- Et l'autre. Ils avaient le monde entier contre eux, et ils avaient raison. Voilà quelque chose pour Andréa. (Il court à la porte et appelle.) Madame Sarti ! Madame Sarti ! SAGREDO. -- Calme-toi, Galilée. GALILÉE. -- Agite-toi Sagredo. SAGREDO, détourne la lunette. -- Vas-tu cesser de hurler partout comme un fou ? GALILÉE. -- Vas-tu cesser de rester planté là comme un empaillé, quand nous découvrons la vérité ? SAGREDO. -- Je ne reste pas là comme un empaillé, et j'ai grand-peur que ce soit la vérité. GALILÉE. -- Quoi ? SAGREDO. -- Tu as perdu la raison ? Si ce que tu vois est vrai, dans quoi vas-tu mettre les pieds ? T'en rends-tu compte ? Et tu t'en irais le corner à tous les vents, que tu as trouvé un soleil avec d'autres terres qui tournent autour ? GALILÉE. -- Oui. Et que l'Univers gigantesque, avec toutes ses constellations, ne tourne pas autour de notre toute petite Terre, comme chacun l'imaginait. SAGREDO. -- Donc que tout cela, ce ne sont que des astres ? Alors, où est Dieu ? GALILÉE. -- Qu'entends-tu par là ? SAGREDO. -- Dieu ! Où est Dieu ? GALILÉE, en colère. -- Pas là-bas. Pas plus qu'on ne pourrait le trouver sur la Terre, s'il y a là-bas des êtres qui le cherchent ici. SAGREDO. -- Alors, où est Dieu ? GALILÉE. -- Suis-je théologien ? Je suis mathématicien. SAGREDO. -- Tu es avant tout un homme. Et je te demande où est Dieu dans ton système du monde. GALILÉE. -- En nous ou nulle part. SAGREDO, criant. -- Comme disait le supplicié ? GALILÉE. -- Comme disait le supplicié. SAGREDO. -- C'est pour ça qu'on l'a brûlé. Il n'y a pas dix ans. GALILÉE. -- Parce qu'il ne pouvait rien prouver. Parce qu'il s'est borné à l'affirmer. SAGREDO. -- Galilée, je t'ai toujours pris pour un habile homme. Pendant dix-sept ans à Padoue et trois ans à Pise, tu as patiemment enseigné à des centaines d'étudiants le système de Ptolémée, que proclame l'Église et qui confirme les Écritures sur lesquelles l'Église repose. Avec Copernic, tu le tenais pour faux, mais tu l'as cependant enseigné. GALILÉE. -- Parce que je ne pouvais rien prouver. SAGREDO, incrédule. -- Et tu crois qu'il y a une différence ? GALILÉE. -- Une différence fondamentale ! Écoute bien, Sagredo. Je crois en l'homme, ce qui signifie que je crois en la raison de l'homme. Ôte-moi cette croyance, et je n'aurais plus la force de sortir de mon lit le matin. SAGREDO. -- Alors, à ton tour, écoute-moi : je ne crois pas en elle. Quarante ans de pratique des hommes m'ont enseigné qu'ils ne sont pas accessibles à la raison. Montre-leur une queue de comète bien rouge, insuffle-leur une bonne peur, et ils se ruent pêle-mêle hors de chez eux, à se casser la jambe. Mais expose-leur une thèse raisonnable, démontre-la leur au moyen de sept preuves, et ils se borneront à te rire au nez. GALILÉE. -- C'est entièrement faux. C'est une calomnie. Je ne comprends pas comment, si tu crois une chose pareille, tu peux aimer la science. Les morts seuls sont insensibles aux arguments de la raison. SAGREDO. -- Comment peux-tu confondre avec la raison leur pitoyable ruse ! GALILÉE. -- Je ne parle pas de leur ruse. Je sais qu'ils appellent un âne cheval quand ils le vendent et âne un cheval quand ils l'achètent. Voilà leur genre de ruse. Le vieux, quand la veille du voyage il place devant son mulet un boisseau d'avoine supplémentaire ; le navigateur qui prévoit à la fois la tempête et le calme quand il achète ses provisions ; l'enfant qui met son béret quand on lui a prouvé qu'il pouvait pleuvoir, voilà quels sont mes espoirs, voilà tous ceux pour qui valent les preuves et la raison. Oui, je crois en la force doucement persuasive de la raison sur les hommes. Ils ne peuvent pas lui résister à la longue. Aucun homme ne peut longtemps me regarder (il a pris un caillou et le laisse tomber par terre) laisser tomber une pierre et déclarer : elle ne tombe pas. Aucun homme ne le peut. La séduction qui émane de la preuve est trop forte. La plupart y succombent sur-le-champ ; tous y succombent avec le temps. La pensée est l'une des plus grandes jouissances de l'espèce humaine. Source : Brecht (Bertolt), la Vie de Galilée, in Théâtre complet, volume 3, trad. par P. Abraham, Paris, L'Arche, 1957. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« peur, et ils se ruent pêle-mêle hors de chez eux, à se casser la jambe.

Mais expose-leur une thèse raisonnable, démontre-la leur au moyen de sept preuves, et ils se borneront à te rire au nez. GALILÉE .

— C’est entièrement faux.

C’est une calomnie.

Je ne comprends pas comment, si tu crois une chose pareille, tu peux aimer la science.

Les morts seuls sont insensibles aux arguments de la raison. SAGREDO .

— Comment peux-tu confondre avec la raison leur pitoyable ruse ! GALILÉE .

— Je ne parle pas de leur ruse.

Je sais qu’ils appellent un âne cheval quand ils le vendent et âne un cheval quand ils l’achètent.

Voilà leur genre de ruse.

Le vieux, quand la veille du voyage il place devant son mulet un boisseau d’avoine supplémentaire ; le navigateur qui prévoit à la fois la tempête et le calme quand il achète ses provisions ; l’enfant qui met son béret quand on lui a prouvé qu’il pouvait pleuvoir, voilà quels sont mes espoirs, voilà tous ceux pour qui valent les preuves et la raison.

Oui, je crois en la force doucement persuasive de la raison sur les hommes.

Ils ne peuvent pas lui résister à la longue.

Aucun homme ne peut longtemps me regarder (il a pris un caillou et le laisse tomber par terre) laisser tomber une pierre et déclarer : elle ne tombe pas.

Aucun homme ne le peut.

La séduction qui émane de la preuve est trop forte.

La plupart y succombent sur-le-champ ; tous y succombent avec le temps.

La pensée est l’une des plus grandes jouissances de l’espèce humaine. Source : Brecht (Bertolt), la Vie de Galilée, in Théâtre complet, volume 3, trad.

par P.

Abraham, Paris, L'Arche, 1957. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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