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Brecht, Mère courage et ses enfants (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Brecht, Mère courage et ses enfants (extrait). Dans Mère Courage, pièce achevée en 1939, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, Anna Fierling traîne sa roulotte de cantinière au coeur des batailles de la guerre de Trente Ans. « Nos forces vives, ils nous les ont achetées «, explique-t-elle au jeune soldat en colère du quatrième tableau -- « ils «, c'est-à-dire les « gros bonnets «, ceux qui se préparent encore, en 1939, à tirer profit de la guerre. Cette lucidité de Mère Courage n'atteint cependant pas à la révolte ; elle se dissout dans la résignation terrible du « Chant de la Grande Capitulation «. En créant cette association contradictoire de la lucidité et de la résignation, Brecht espérait provoquer le spectateur pour qu'il refuse l'état de fait et prenne conscience de la nécessité collective d'une action politique. Mère Courage et ses enfants de Bertolt Brecht (quatrième tableau) LA MÈRE COURAGE CHANTE LE CHANT DE LA GRANDE CAPITULATION. Devant une tente d'officier, la Mère Courage attend. Un secrétaire se tient à l'entrée de la tente. LE SECRETAIRE. -- Je vous connais. C'est vous qui avez caché le trésorier protestant. Vous feriez mieux de ne pas porter plainte. COURAGE. -- Je porterai plainte, vous avez beau dire. Je suis innocente. Si je me laisse faire, on dira que j'ai quelque chose à me reprocher. Ils ont mis ma carriole en miettes à coups de sabre. Ils m'ont pris cinq liards d'amende pour trois fois rien. LE SECRÉTAIRE. -- Un bon conseil : bouclez-la. Le régiment manque de cantinière et on vous laissera votre commerce. Et puis, si vous avez quelque chose à vous reprocher, tant mieux, vous payerez de temps en temps une amende, tout le monde y trouve son compte. COURAGE. -- Et moi, je porterai plainte. LE SECRÉTAIRE. -- Comme vous voudrez. Dans ce cas, attendez que le commandant puisse vous recevoir. Il rentre dans la tente. LE JEUNE SOLDAT, entrant en titubant. -- Par le Christ ! Où est la pourriture d'enfer qui nous sert de commandant ? Le chien empoche ma prime pour aller se saouler avec ses officiers. J'aurai sa peau. LE SOLDAT PLUS ÂGÉ, le poursuivant. -- Vas-tu te taire ! Ils vont te mettre en tôle ! LE JEUNE SOLDAT. -- Sors de ton trou, écorcheur public ! Je vais te saigner comme un porc ! Me voler ma prime, le bandit... Pas un qui ait osé se jeter dans le fleuve, sauf moi, et moi je n'ai même pas de quoi me payer un pot de bière ! Ca ne se passera pas comme ça. Sors de ton trou, je te dis. Viens que je te mette en pièces. LE DEUXIÈME SOLDAT. -- Jésus, Marie, Joseph ! Il est perdu ! COURAGE. -- Il n'a pas eu sa prime ? LE JEUNE SOLDAT. -- Lâche-moi ou je vais t'étriper avec lui. Je nettoierai deux ordures du même coup. LE DEUXIÈME SOLDAT. -- Il a repêché la monture du commandant. On ne lui a pas payé sa prime. Il est encore jeune, il n'y a pas assez longtemps qu'il est à l'armée. COURAGE. -- Lâche-le. Ce n'est pas un chien qu'il faille tenir en laisse. Il a raison de réclamer sa prime. C'est pour l'avoir qu'il s'est distingué. LE JEUNE SOLDAT. -- Il est là-dedans à se saouler dans sa tente. Et vous, vous êtes tous des trembleurs ! J'ai fait quelque chose de pas ordinaire, je veux ma récompense. COURAGE. -- Ne m'engueulez pas, jeune homme. J'ai mes soucis, vous avez les vôtres. D'ailleurs, vous feriez mieux de ménager votre voix. Si vous y allez de ce train, vous serez aphone quand le commandant viendra. Vous resterez là, muet comme une carpe, et il n'aura pas le plaisir de vous envoyer moisir dans un cachot. Ceux qui crient ne font pas long feu. Au bout d'une demi-heure ils sont si fatigués qu'il faut les porter sur leur paillasse. LE JEUNE SOLDAT. -- Je ne suis pas fatigué, je ne veux pas de paillasse, j'ai faim. Le pain qu'ils nous donnent, ce n'est que du son et des glands mal cuits. Et ils rabiotent encore là-dessus. Avec l'argent qu'il me doit, le commandant va au bordel. Pendant ce temps moi je peux crever de faim. J'aurai sa peau. COURAGE. -- Ça ne m'étonne pas si vous avez faim ! Au printemps dernier, votre commandant vous a donné l'ordre de quitter la grand-route et de marcher à travers champs pour piétiner le blé. À l'époque j'aurais pu mettre la paire de bottes à dix florins, si quelqu'un avait eu dix florins, et moi des bottes à vendre. Le commandant croyait qu'il serait déjà parti au moment de la récolte. En attendant il est toujours là et la famine est grande. Je vous comprends. Il y a de quoi se mettre en colère. LE JEUNE SOLDAT. -- Taisez-vous. C'est plus fort que moi, je ne peux pas tolérer l'injustice. COURAGE. -- Vous avez bien raison. Mais est-ce que ça va durer ? Combien de temps refuserez-vous de tolérer l'injustice ? Une heure ou deux ? Vous voyez, vous n'en savez rien. Pourtant, tout est là. Oui, c'est un mauvais quart d'heure à passer dans un cachot noir, celui où on s'aperçoit tout à coup que l'injustice ne vous révolte plus. LE JEUNE SOLDAT. -- Je ne sais pas pourquoi je vous écoute. Par le Christ ! Où est le Commandant ? COURAGE. -- Vous m'écoutez parce que tout ce que je vous dis vous le savez fort bien. Vous savez que votre colère s'envole déjà, qu'elle était courte, qu'il vous en aurait fallu une durable. Mais où l'auriez-vous prise ? LE JEUNE SOLDAT. -- Vous voulez dire que je n'ai pas mérité ma prime ? COURAGE. -- Au contraire. Je dis seulement que votre colère n'est pas assez grande, qu'elle n'est bonne à rien. Dommage ! Si votre colère était durable, je verserais de l'huile sur le feu. Je dirais : allez-y, abattez-le, c'est une crapule. Mais quoi ? Vous risquez de ne pas l'abattre, vos griffes rentrent déjà. Et moi je me trouverais seule devant cette tente et c'est à moi que le commandant s'en prendrait. LE DEUXIÈME SOLDAT. -- Vous avez raison : c'est juste un peu de moutarde qui lui monte au nez. LE JEUNE SOLDAT. -- C'est bon. Vous allez voir si je ne le taille pas en pièces, ce commandant. (Il tire son épée.) Qu'il sorte, je le mets en pièces. LE SECRÉTAIRE, passant la tête à l'entrée de la tente. -- Le commandant va venir. Assis ! Le jeune soldat s'assied. COURAGE. -- Assis, regardez-le, il est assis, déjà ! Qu'est-ce que je disais : vous êtes assis. Ils nous connaissent, allez, ils savent nous manoeuvrer. « Assis «, et nous voilà sur nos deux fesses. Une révolte assise est mâtée ; non, ne vous relevez pas. Vous ne retrouverez pas la fière allure de tout à l'heure. Le coeur n'y est plus, c'est fini. Je vous fais honte ? Il n'y a pas de quoi. Je ne vaux pas mieux que vous. Nos forces vives, ils nous les ont achetées. C'est comme ça : si je proteste, ça risque de nuire à mon commerce. Je vais vous raconter un bout de la grande capitulation. Elle chante le chant de la Grande Capitulation. : Moi aussi j'ai dit, dans la fleur de ma jeunesse : Je ne suis pas pareille à toutes les autres. (Pas une simple fille de ferme ! J'ai de l'allure et des talents, j'ai de l'ambition !) Je ne mangeais pas de tout, j'avais ma délicatesse, Je prétendais marcher la tête haute. (Tout ou rien. Le premier venu, jamais. Comme on fait son lit on se couche. Personne ne me fera la loi). Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! Avant que l'année soit écoulée Tu marcheras avec la clique Tu joueras sur ton petit clairon, Mets-toi dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L'homme propose, Dieu dispose... Tout ça c'est du flan ! Avant qu'une année se soit écoulée J'ai appris à boire dans tous les verres. (Deux enfants sur les bras, au prix qu'est le pain, et tous les frais qu'on a !) Quand ils m'ont laissée, après m'avoir éduquée, Je ne marchais plus, je rampais sur la terre. (Faut prendre les gens comme ils sont. La main gauche ignore ce que fait la main droite. On ne passe pas par le trou d'une aiguille) Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! L'année n'est pas encore passée La voilà qui marche avec la clique, Elle joue déjà de son petit clairon, Elle se met dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L'homme propose, Dieu dispose... Tout ça c'est du flan ! J'en ai vu beaucoup monter à l'assaut du ciel, Nulle étoile n'est assez belle, n'est assez loin. (Travaillez, prenez de la peine. Quand on veut on peut. Les petits ruisseaux font les grandes rivières) Ils ont tant cherché, tant remué le ciel et la terre, Qu'à la fin ils ne pouvaient plus remuer leur propre main. (Selon ta bourse, gouverne ta bouche) Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! Avant que l'année soit écoulée Les voilà qui marchent avec la clique Ils jouent sur leur petit clairon, Ils se mettent dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L'homme propose, Dieu dispose... Tout ça c'est du flan ! COURAGE, au jeune soldat. -- Si vraiment tu lui en veux à mort, si ta colère est vraiment grande, reste ici, sabre au clair. Car ta cause est juste, il faut le reconnaître. Mais si ta colère est courte, va-t'en, ça vaut mieux. LE JEUNE SOLDAT. -- Je t'emmerde ! Il s'en va titubant, son camarade le suit. LE SECRETAIRE, passe la tête par l'ouverture de la tente. -- Le commandant est là. Vous pouvez présenter votre plainte, maintenant. COURAGE. -- J'ai changé d'avis. Je ne porterai pas plainte. Elle sort. Source : Brecht (Bertolt), Mère courage et ses enfants, in Théâtre complet, trad. par Geneviève Serreau et Benno Besson, Paris, L'Arche, 1959. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« Je ne suis pas pareille à toutes les autres. (Pas une simple fille de ferme ! J’ai de l’allure et des talents, j’ai de l’ambition !) Je ne mangeais pas de tout, j’avais ma délicatesse, Je prétendais marcher la tête haute. (Tout ou rien.

Le premier venu, jamais.

Comme on fait son lit on se couche.

Personne ne me fera la loi). Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! Avant que l’année soit écoulée Tu marcheras avec la clique Tu joueras sur ton petit clairon, Mets-toi dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L’homme propose, Dieu dispose… Tout ça c’est du flan ! Avant qu’une année se soit écoulée J’ai appris à boire dans tous les verres. (Deux enfants sur les bras, au prix qu’est le pain, et tous les frais qu’on a !) Quand ils m’ont laissée, après m’avoir éduquée, Je ne marchais plus, je rampais sur la terre. (Faut prendre les gens comme ils sont.

La main gauche ignore ce que fait la main droite.

On ne passe pas par le trou d’une aiguille) Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! L’année n’est pas encore passée La voilà qui marche avec la clique, Elle joue déjà de son petit clairon, Elle se met dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L’homme propose, Dieu dispose… Tout ça c’est du flan ! J’en ai vu beaucoup monter à l’assaut du ciel, Nulle étoile n’est assez belle, n’est assez loin. (Travaillez, prenez de la peine.

Quand on veut on peut.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières) Ils ont tant cherché, tant remué le ciel et la terre, Qu’à la fin ils ne pouvaient plus remuer leur propre main. (Selon ta bourse, gouverne ta bouche) Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! Avant que l’année soit écoulée Les voilà qui marchent avec la clique Ils jouent sur leur petit clairon, Ils se mettent dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang ! L’homme propose, Dieu dispose… Tout ça c’est du flan ! COURAGE , au jeune soldat. — Si vraiment tu lui en veux à mort, si ta colère est vraiment grande, reste ici, sabre au clair.

Car ta cause est juste, il faut le reconnaître.

Mais si ta colère est courte, va-t’en, ça vaut mieux. LE JEUNE SOLDAT .

— Je t’emmerde ! Il s’en va titubant, son camarade le suit. LE SECRETAIRE , passe la tête par l’ouverture de la tente. — Le commandant est là.

Vous pouvez présenter votre plainte, maintenant. COURAGE .

— J’ai changé d’avis.

Je ne porterai pas plainte. Elle sort.. »

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