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Charles PEGUY, Jeanne d'Arc à Domrémy

Publié le 01/02/2011

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peguy

Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,  Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas.  Meuse, adieu : j'ai déjà commencé ma partance  En des pays nouveaux où tu ne coules pas.  Voici que je m'en vais en des pays nouveaux :  Je ferai la bataille et passerai les fleuves;  Je m'en vais m'essayer à de nouveaux travaux,  Je m'en vais commencer là-bas les tâches neuves.  Et pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce,  Tu couleras toujours, passante accoutumée,  Dans la vallée heureuse où l'herbe vive pousse,  Tu couleras toujours dans l'heureuse vallée.  Où tu coulais hier, tu couleras demain.  Tu ne sauras jamais la bergère en allée,  Qui s'amusait, enfant, à creuser de sa main  Des canaux dans la terre, à jamais écroulés.  La bergère s'en va, délaissant les moutons.  Et la fileuse va, délaissant les fuseaux.  Voici que je m'en vais loin de tes bonnes eaux,  Voici que je m'en vais bien loin de nos maisons.

Charles PEGUY, Jeanne d'Arc à Domrémy.

Vous ferez un commentaire composé de ce poème. Vous pourrez étudier en particulier dans ces adieux de Jeanne d'Arc à la Meuse, l'opposition entre la nature et l'être humain, le thème des adieux et de l'enfance, l'originalité du style de Péguy.

PLAN PROPOSÉ Dans ce poème qu'on pourrait intituler « Adieux de Jeanne d'Arc à la Meuse «, nous découvrons un monologue, qui est en réalité un dialogue avec un personnage muet, mais sensible et vivant, symbole du village natal et de tout ce que Jeanne va quitter pour toujours. Dès la première strophe, elle rappelle ce qu'elle quitte (vers 1-2) et elle annonce son départ (3-4). Dans la seconde elle précise l'avenir : des pays nouveaux, des batailles, des tâches neuves, en répétant les mots essentiels : nouveau, nouveau, je m'en vais, je m'en vais. La troisième strophe est consacrée à la Meuse, au paysage aimé, à la vallée heureuse, ainsi que la quatrième où les souvenirs d'enfance sont plus précis encore; et d'autres répétitions traduisent la mélancolie du départ (tu couleras, tu couleras, où tu coulais, tu couleras...) Le dernier quatrain enfin, c'est le dernier regard jeté sur les eaux, sur les maisons par la bergère qui s'en va (s'en va, va, délaissant, délaissant, voici que je m'en vais, voici que je m'en vais.) L'opposition apparente entre l'être humain et la nature se confond ici avec l'amour du pays natal et le charme des souvenirs d'enfance, d'autant plus pathétique qu'il s'agit de Jeanne à Domrémy et que la suite épique et douloureuse de sa destinée nous est bien connue. Charles Péguy a fort heureusement joint ici le thème du départ et le thème de l'enfance qui s'éloigne : l'adieu à la Meuse et au village natal, c'est aussi l'adieu à l'enfance et à un bonheur qui ne se retrouvera plus. La forme est d'une simplicité raffinée qui convient admirablement au personnage et aux sentiments que Péguy lui attribue : la répétition des pronoms (tu, je, je, je) est d'une banalité voulue, les formules sont familières (je m'en vais, je m'en vais), alors qu'il s'agit de la plus merveilleuse des épopées : toute une tradition rustique s'évoque en quelques mots concrets (bergère, moutons, fileuse, fuseaux), tandis que quelques mots rares et charmants nous font songer aux musiques de Verlaine ou de Mallarmé : endormeuse, partance, accoutumée, en allée... Émotion, discrétion, harmonie, nous paraissent les traits essentiels de ce très beau poème.

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