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Churchill, l'intraitable

Publié le 22/02/2012

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18 juin 1940 -   Nul ne fut plus anglais que lui. Par son patriotisme, évidemment, passion brûlante et permanente, allant parfois jusqu'à l'impérialisme, jusqu'à l'égoïsme sacré, mais sans les excès et les mesquineries du chauvinisme vulgaire ou de la xénophobie.    Puis, par son profond attachement aux meilleures traditions de la liberté politique et du droit. Et encore, par ses goût, son style, sa culture, ce tempérament impétueux et magnanime qui semblait se complaire à ramener en ce siècle l'image d'un haut baron fougueux et loyal de la vieille Angleterre. Nul ne fut plus anglais, surtout, parce qu'à personne il n'a été donné d'incarner si complètement la magnifique résolution de la Grande-Bretagne, lorsqu'il lui faut affronter une épreuve décisive de son destin.    Lorsque la France est écrasée en 1940, Churchill, maintenant à la tête du gouvernement britannique, ne formule pas le moindre reproche, pas la moindre récrimination. Il n'approuve pas l'armistice, mais il ne veut pas jeter la pierre au gouvernement français qui, sous le poids de la défaite, l'acceptera. Pour délier la France de ses engagements à l'égard de l'Angleterre, il pose pour seule et légitime condition que notre flotte soit, en tout cas, soustraite à toute mainmise, proche ou lointaine, de l'ennemi.    En ces circonstances tragiques, l'audace inventive et la hauteur de vues allaient jusqu'au point extrême d'une solution dont nul ne peut dire aujourd'hui quelles en auraient été toutes les conséquences si elle avait été acceptée, mais qui traduisait d'une manière éclatante et solennelle une solidarité franco-britannique sans limites pour le meilleur et pour le pire. Le général de Gaulle, qui avait été associé à la rédaction de cette Déclaration d'union, était enthousiasmé de la voir aussitôt adoptée par le cabinet britannique. Jean Monnet et Paul Reynaud le furent aussi. D'autres Français, on le sait, accueillirent l'initiative avec froideur, ironie ou défiance. La plus haute autorité militaire déclarait alors qu' " en trois semaines les Allemands tordraient le cou à l'Angleterre comme à un poulet "  et, d'après une autre compétence, s'unir à la Grande-Bretagne, c'était " épouser un cadavre ". La démocratie reste intacte    Il est vrai que la situation de l'Angleterre était tragique, puisque, après avoir perdu une partie de ses maigres forces et de son matériel sur le continent, elle devait faire face, sans allié, à la formidable machine de guerre du IIIe Reich. Mais c'est à ce moment qu'elle montre la discipline et l'héroïsme d'une grande nation parmi les grandes, et c'est à ce moment-là que Churchill donne la mesure d'une personnalité hors série, à l'aise, pourrait-on dire, au sein de périls sans précédent. Mais on ne saurait séparer l'action de Churchill du comportement de tout un peuple, du regroupement de ses forces et du jeu de ses institutions. La concentration des pouvoirs qui s'opère en faveur du cabinet de guerre, la discipline qui s'instaure et lie ensemble les chefs militaires, les dirigeants politiques et syndicaux, les paysans de la défense territoriale et les ouvriers des usines, le mérite en revient à tous.    Churchill ne sollicite aucun pouvoir particulier, aucune mise en veilleuse des institutions et des libertés. Comme Clemenceau trente ans plus tôt, il " fait la guerre ", et il conduit son pays à la victoire, sans abroger ni affaiblir une démocratie qui, menacée du dehors, reste intacte au-dedans, par la volonté du peuple et de ceux qu'il a choisis pour la traduire dans l'action et dans la bataille.    Leader élu du Parti conservateur, qui dispose d'une énorme majorité aux Communes, Chamberlain accepte de jouer un rôle secondaire dans le cabinet. Chef du Parti travailliste, Attlee fait de même, et Bevin entre dans le gouvernement avec l'accord exprès des syndicats. Les généraux et les amiraux ne discutent pas un instant l'autorité de celui qui sera le véritable généralissime, les techniciens obéissent à ses directives, chaque travailleur engage sa peine et chaque soldat sa vie, après que Churchill leur a adressé son cri fameux : " Je n'ai à vous offrir que de la sueur, des larmes et du sang. " " Ni faiblir ni faillir... "    L'éloquence de Churchill est alors parvenue à l'un des plus hauts sommets de l'histoire, parce que ses paroles ne résonnent pas seulement d'une vigueur formelle ou brillante, mais parce qu'elles traduisent, de la manière la plus authentique, sa propre énergie et celle de tout un peuple dressé à son appel.    Hitler s'y trompa cependant et fit des ouvertures de paix.    L'esprit de Munich était loin, si le gouvernement britannique ne daigna même pas répondre.    Ou plutôt, la réponse à toutes les entreprises adverses et à tous les défis avait été donnée d'avance et une fois pour toutes : " On ne nous verra ni faiblir ni faillir. Nous irons jusqu'au bout... Nous nous battrons sur les mers et sur les océans, nous nous battrons dans les airs... " On connaît la suite. Durant le terrible chemin qui devait aller jusqu'à la victoire, en effet, on ne vit Churchill ni faiblir ni faillir. Sa puissance, sa vitalité, le rayonnement extraordinaire de son ardeur à travers toute la lourde machine administrative et militaire, composent un spectacle d'efficacité gouvernementale sans équivalent.    Churchill a accueilli à Londres de Gaulle et le Comité national français, il a patronné la création des Forces françaises libres. Quelles que soient, par moments, les difficultés de sa collaboration avec le général, et parfois de cruelles divergences d'intérêts (en Syrie, par exemple), en définitive, il ne cesse pas de le soutenir, il se refuse à l'abandonner, comme Roosevelt et d'autres l'y incitent parfois. C'est que, pour lui, l'équilibre de l'après-guerre exige une France rétablie " dans sa grandeur et son intégrité ". En relisant les instructions et les documents qui émanent alors de lui, ni sa lucidité ni son énergie ne se voient en défaut un seul instant.    Le même génie politique dominera la suite et la fin de sa carrière. S'il a été avant 1939 et pendant le combat d'homme d'Etat le plus clairvoyant, il demeurera, à travers péripéties et circonstances, celui qui, le premier, pressent et prévoit toujours l'évolution des forces et des événements. Le premier, il a l'intuition de ce que sera l'après-guerre, avec la division et l'affaiblissement de l'Europe et l'affrontement des deux Super-Grands.

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