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Comment le dramaturge a-t-il réussi à « irriguer » et à « renouveler » un mythe antique dans la pièce que vous avez étudiée cette année ?

Publié le 12/09/2006

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I UNE DRAMATURGIE ET UNE ESTHETIQUE NOUVELLE 1 Même si La Voix fixe dès le lever de rideau les termes du dénouement, la pièce ne s’ouvre pas sur le règne finissant d’Oedipe comme dans Sophocle. Nous assisterons à la rencontre du héros avec le Sphinx (AII), nous le suivrons à l’Acte III dans la chambre nuptiale pour ses noces incestueuses, pour renouer avec le schéma traditionnel à l’Acte IV seulement : peste sur Thèbes, arrivée du Messager, révélation du berger, issue sanglante du drame de la découverte. Une chronologie toute différente, plus dramatique que tragique, puisque nous épouserons les attentes et espoirs d’Oedipe longtemps avant la catastrophe finale. Une épaisseur romanesque nouvelle est accordée au personnage en même temps qu’une humanité plus grande par cette perspective linéaire et plus mimétique du déroulement de son destin. Le nouveau canevas abonde en innovations : L’acte I met en scène le fantôme de Laïus apparaissant sur les remparts de Thèbes, l’acte II réinvente la rencontre mythique avec le monstre, l’acte III ose mettre quasiment en scène le tabou des amours incestueuses, le dénouement se voit adjoindre un épilogue qui détourne notablement la morale de la fable antique. 2 Le traitement du temps de l’action est très particulier : tantôt les événements sont simultanés (AI et II), tantôt longuement séparés (AIV), ou bien le temps s’arrête quasiment, adoptant une durée plus psychologique qu’événementielle (durée diluée sur le mode onirique durant l’AIII). Les lieux sont multipliés : des remparts, la campagne thébaine, une chambre, le palais, des alternances Extérieur/ Intérieur. Variété et richesse des vues et points de vue sont d’ailleurs étoffées par des effets de régie visuels et sonores que Cocteau a soigneusement consignés : lumière d’orage à l’Acte I, charivari nocturne des quartiers populaires, sonneries de trompettes, chant des coqs... les espaces sont emboîtés : chambre de Jocaste ouvrant sur une place de Thèbes par une baie grillagée, escaliers, arrière-plans... Traitement de l’espace scénique très loin de l’épure classique, apparentant peut-être théâtralité et cinématographie II LA RECREATION DU MYTHE 1 Une distribution des rôles rénovée, des situations inédites: Le Sphinx, une jeune fille sensible au charme d’Oedipe, ou le monstre amoureux...rencontre étonnante des deux protagonistes à l’acte II, échange verbal juvénile et marivaudage. Sous son enveloppe mortelle, le Sphinx-jeune fille souhaite épargner le héros, allant jusqu'à lui fournir la clef de l’énigme (ce qui frappe d’absurdité l’interrogatoire et la victoire qui suivra). Les Dieux, simples figurants soumis à l’empire de la fable humaine, mandatés par le poète : ce qui anéantit toute interprétation métaphysique. Masques de carnaval : « la logique nous oblige, pour apparaître aux hommes, à prendre l’aspect sous lequel ils nous représentent, sinon, ils ne verraient que du vide « Tirésias, grand-papa semi-gâteux, semi-voyant, réduit à un rôle protocolaire de comédie aux actes I et II, ne récupérant toute sa dignité et son aura qu’au dernier acte (acte le plus conforme à la tradition).   2 Mélange des tonalités, désacralisation, actualisation Comique La coexistence scènes nobles/ scènes vulgaires, burlesque et tragique : soldats omniprésents du 1° acte, Matrone intarissable du 2°, ivrogne du 3° : figures de la farce populaire altérant joyeusement la dignité du mythe. Parodie Chez les héros eux-mêmes, prosaïsme et trivialité, ridicules familiers : Jocaste et ses crises de nerfs infantiles, sa peur de vieillir, sa manie de surnommer le grand-prêtre « Zizi «, lequel lui renvoie la pareille avec ses « ma petite biche «... Oedipe, un adolescent stéréotypé : arrogant, ingrat...Laïus (et non plus Laïos), spectre falot et bègue par surcroît, réduit à des gesticulations ridicules. Moeurs et langage actualisés et modernisés. Jeux de mots, plaisanteries, anachronismes, largement exploités. Contexte culturel et historique : variété des sources, emprunts Cult : Réminiscences d’Hamlet dans l’acte I avec la création du fantôme de Laïus, fraîchement assassiné, sur les remparts de Thèbes. Présence du dieu égyptien Anubis aux côtés du Sphinx. Actu : Allusions nettes au contexte des fascismes européens de l’entre-deux-guerres. Le Sphinx, le meurtre de Laïus, le mariage de la reine Jocaste, une affaire de politique, assure la vox populi ( le soldat, la matrone, l’ivrogne. « Le Sphinx a bon dos «, il est «de la clique des oracles «, « La politique ! Si c’est pas malheureux ! « « il faudrait un homme à poigne « ) 3 Absence de démonstration et d’édification morale Dernier mot de la pièce : Qui sait ? Doute sur le jugement que la postérité portera sur Oedipe : une histoire honteuse ou glorieuse ? Indifférence terminale sur le sens de cette fable sanglante et cruelle. Suspension de la sanction morale : réapparition après sa mort de Jocaste sur le plateau, guidant maternellement le héros aveugle vers une destinée littéraire. Ils appartiennent « au peuple, aux poètes, aux coeurs purs «... Au cours de la pièce, déréalisation constante de l’action par le recours aux rêves, à la fantasmagorie, à la féerie. Atmosphère onirique plus que philosophique, en écho à l’interprétation freudienne du mythe.

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