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Commentaire composé la jeune veuve

Publié le 27/02/2008

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I Structure du récit A/ Mouvement du texte Le genre de la fable est un genre très codifié. En tant que récit, il met en valeur ses grandes articulations pour mieux faire ressortir les mouvements principaux du texte. La fable est un récit sur-codifié. Ici, les deux premiers vers ont valeur de prolepse : ils résument toute la fable à venir. Le vocabulaire y est simple et clair : tout est déjà dit. Les vers 3 et 4 véhiculent le même message, mais sur un mode plus imagé avec une allégorisation du Temps. Les vers 5 à 15 développent cette même idée en la rendant plus concrète. Ces premiers vers ont une valeur introductive et forment le premier mouvement du texte. Le sujet en est présenté, et le corps de la fable peut commencer. Le deuxième mouvement, qui s’étend jusqu’au vers 34, voit une « jeune beauté » devenir veuve. Elle tombe dans une tristesse absolue et prend le deuil. Ce deuxième mouvement alterne discours direct au présent et récit au passé. On note d’emblée la prééminence du discours direct, qui accélère le récit : en 15 vers la « jeune beauté » a perdu son mari, pris le deuil, et refusé un nouveau mari. Le troisième et dernier mouvement du texte s’étend également sur une quinzaine de vers. Nous sommes sur le second versant de la fable : un mois après avoir pris le deuil, la « jeune beauté » se lasse et oublie petit à petit. Ici le récit domine, sauf dans les deux vers finaux où le dialogue direct réapparaît : la jeune femme qui avait préalablement refusé un nouveau mari, demande où est celui que lui avait alors promis son père. Ces trois mouvements, de tailles égales, sont typiques de la fable : l’exposition permet au lecteur de comprendre de quoi il va s’agir ; le développement se fait souvent en deux temps, montrant qu’il faut toujours se méfier des apparences et autres idées préconçues.
B/ Brièveté et rythme du texte Sur une cinquantaine de vers, La Fontaine parvient à écrire un récit complet, avec un début et une fin. Le fabuliste travaille la brièveté, notamment à travers le système rimique. Par la disposition des rimes tout d’abord : si l’alternance entre rimes féminines et masculines est respectée, le schéma est lui tout à fait aléatoire. Sur les dix premiers vers, par exemple, on note des rimes embrassées, suivies de rimes plates, puis de rimes croisées : le fabuliste explore toutes les potentialités de la poétique du XVII°s. Cet aspect virtuose dans le maniement de la rime donne au récit sa légèreté et sa vivacité. Les enjambements abondent. Ainsi, entre les deux rimes plates et les quatre rimes croisées, on observe un rejet de la proposition principale (« La différence est grande »), qui vivifie le rythme de lecture. Pareillement, à chaque articulation entre deux mouvements du texte (lignes 15/16 et lignes 34/35), on observe des rimes plates – schéma le plus soudé – et à deux reprises, celui-ci est enjambé sur un point. Enfin, il est important de noter l’alternance entre alexandrins et octosyllabes. L’écriture en vers libre rend plus souple le texte, et donc plus aisée sa lecture : le rythme du poème s’adapte au souffle du lecteur. L’alternance ne suit pas de règle précise, sinon celle de l’esthétique. Ce rythme léger et vif semble calqué sur le rythme de la « jeune beauté » : elle change de sentiments « du jour au lendemain », et le rythme accéléré du récit est l’écho spéculaire de cette agitation des sentiments.
II Portée de la fable A/ Le caractère volatile des sentiments Ce que nous dit cette fable, en effet, c’est que tout sentiment, même le plus noble, est voué un jour ou l’autre à disparaître. En cela, peut-être ne faut-il pas réduire cette fable à l’unique cas du deuil ; l’amour également, s’envole souvent plus vite qu’on ne le voudrait. Outre d’être volatiles, les sentiments sont également parfois exagérés. C’est principalement ce que vise à montrer cette fable. La norme serait donc une juste mesure de ces sentiments. Il faut remettre cette dimension morale dans son contexte : dans la deuxième moitié du XVII°s, à l’époque où écrit La Fontaine, deux « partis » s’opposent : d’un côté le rigorisme de la Cour, incarné par Mme de Maintenon, où les Jésuites ont main mise, et l’autre, hérité des « amis de Fouquet », dont la Fontaine faisait partie. Ces amis de Fouquet ont gardé une influence épicurienne, qui se retrouve dans cette fable. L’idée de ne pas être esclave de ses passions, de savoir dominer sa tristesse et sa gaieté, font partie des concepts des philosophes du Jardin. Ainsi, c’est à la fois la tristesse de la veuve déplorant la mort de son mari, et l’ostentation de ses charmes de la veuve qui recherche un nouveau mari qui sont exagérées. Le terme de « soupirs » employé au premier vers est équivoque : ici, il évoque les soupirs de lamentation ; mais au XVII°s, ce terme est également synonyme de « soupirs amoureux ». La rime avec « plaisirs » soulève d’ailleurs l’équivoque, en renvoyant ces premiers soupirs vers les plaisirs de la belle qui s’apprête à trouver un nouveau mari. Dès le début de la fable, la jeune veuve fait fausse route.
B/ Le rôle du père par rapport à l’inconstance féminine A contrario, le père va incarner la voix de la sagesse. Il est dit « prudent et sage ». Celui-ci est présent dans la fable à deux reprises : une première fois, pendant le désespoir de sa fille, une seconde fois, alors que sa fille lui demande où est passé de « jeune mari » dont il lui avait parlé. Le père agit comme détenteur de l’autorité et détenteur de la vérité. Il sait quand parler, et dénote ainsi une certaine maîtrise du discours : Il « laiss[e] le torrent couler », quand il sait qu’il est inutile de parler à sa fille. Ensuite, il lui tient justement le discours de la raison : « Je ne dis pas que tout à l’heure / Une condition meilleure / Change en des noces ces transports ». Il l’invite à se raisonner, et à adopter une posture juste. A la fin, il ne parle plus, car il sait qu’il a été entendu et qu’il avait raison. Le terme de « transports », cité précédemment, concourt d’ailleurs à cette même ambiguïté relevée avec « soupirs » : les « transports » peuvent à la fois évoquer le sentiment de tristesse et de douleur, mais également le sentiment amoureux. C’est sa fille qui à la fin va aller lui demander un « jeune mari ». Peut-être faut-il voir dans cette « morale », au sens large, de la Fontaine, un clin d’œil à l’époque précieuse du début du XVII°s, qui, à maints égards, perdure au cours du siècle. Cette jeune veuve vit dans l’exagération et l’amplitude de ses passions. Le passage entre deuil et renaissance à l’amour, se fait d’ailleurs significativement par les vêtements : « Le deuil enfin sert de parure, / En attendant d’autres atours ». Les atours permettent le retournement de sentiments. Critique du rigorisme versaillais et critique du culte du paraître, cette fable de La Fontaine ne laisse pas de déconcerter.
III L’ambiguïté générique A/ L’absence de morale (vers 14/15) Cette fable est en effet singulière dans l’œuvre du fabuliste. La structure de la fable met en général en valeur de façon nette la morale qui, graphiquement, se distingue à la fin du texte par un blanc typographique, et généralement par une modification modale qui consacre une généralisation du propos. Ici l’on constate une absence de morale, même si la dernière question de la jeune veuve peut servir de conclusion à la fable, et implicitement de morale. Explicitement, celle-ci a renié son deuil et s’apprête volontairement à prendre un nouveau mari. Mais cette morale n’est pas nettement formulée, ce qui fait peut-être toute la saveur de ce texte : on hésite encore et toujours entre critique de la sévérité du deuil, et critique de la superficialité de ces jeunes veuves. C’est d’ailleurs ce qui est précisé lignes 14/15 : « Comme on verra par cette fable, / Ou plutôt par la vérité ». La Fontaine lui-même dénigre le terme générique de « fable » pour ce texte, et opte pour le terme de « vérité » La vérité manque, contrairement à la fable, d’une morale mise en valeur : la vérité suffit à elle-même, elle n’a pas besoin de conclusion généralisante pour mettre en valeur son propos. Ce serait donc du côté de la vérité que nous serions ici : La Fontaine ne ferme pas son texte à l’interprétation, comme c’est généralement le cas dans la fable, mais l’ouvre à une série de possibles. Au lecteur de trouver dans le texte ce qu’il veut.
B/ Une conclusion de l’œuvre paradoxale Cette conception du texte que semble mettre ici en œuvre La Fontaine semble se rattacher à ce que l’on appellera plus tard « l’œuvre ouverte », d’une expression d’Umberto Eco. Ceci a son importance si l’on prend maintenant en compte la position de cette fable dans le recueil : située à la fin du livre VI, cette fable se retrouve en fin du recueil si l’on se fonde sur la première publication qui n’incluait que les six premiers livres. La Fontaine ne ferme ainsi pas son livre sur une interprétation catégorique d’un exemple concret, comme il a pu le faire pour d’innombrables autres fables. Ici, pas d’animaux, pas de burlesque ou de grotesque qui viendraient donner à la fable un aspect de farce. Cette fable reste beaucoup plus sobre, même si extrêmement ironique. Le jeu sur les termes « soupirs » et « transports », vocables empruntés directement à la langue précieuse, relève de l’ironie. Les références sont en outre multiples dans ce texte, ancrant celui-ci dans une tradition bien plus sérieuse que ce qu’il avait pu faire dans d’autres fables. L’expression « beaucoup de bruit » du vers 2 fait directement référence à une pièce de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien. Les allusions mythologiques sont également plurielles : la métaphore platonicienne de l’envol de l’âme (vers 2, 18/20), ou l’évocation de la fontaine de Jouvence font partie de ces poncifs de la culture classique. On peut ainsi parler d’une conclusion de l’œuvre paradoxale, dans la mesure où La Fontaine finit son texte sur une tonalité bien différente de celle ces textes précédents, nous invitant à relire le recueil d’un œil plus grave que l’on avait pu le faire. Les fables de La Fontaine ne sont pas pur divertissement loufoque.

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