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commentaire litérraire Dom Juan A1 S1 et 2

Publié le 10/04/2011

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juan

Correction des lectures analytiques : (à travailler, à compléter, à rédiger…)

LA 1 : Dom Juan, acte I scène 1, la tirade de Sganarelle

Situation C’est le début de la pièce. Sganarelle, valet de DJ discute avec Gusman, valet de done Elvire. Gusman s’inquiète du départ brutal de DJ qui vient d’épouser sa maîtresse. Sganarelle lui apprend que DJ est un séducteur. Quelle image le spectateur se fait-il de Don Juan à travers ce premier portrait ? Qu’apprend-il dans le même temps sur Sganarelle ?  Dans cette tirade, il trace le portrait de son maître(1), et ce faisant, trace aussi le sien(2). C’est un passage qui fait le point sur l’action(3).

Portrait de Don Juan par Sganarelle

 

1. Le portrait prépare l’arrivée du personnage principal. Dans certaines pièces, ce dernier n’apparaît que tardivement. Par ex, Tartuffe, 1669 : acte III sc. 2. Ou Britannicus, 1669, Racine : Britannicus I, 3 mais Néron, véritable personnage principal, II 1. Cela crée une attente chez le spectateur. Ces 3 personnages ont quelque chose d’inquiétant, voire de monstrueux, ils sont puissants et méchants.

 

2. Sganarelle énonce un jugement moral sur son maître, une phrase le résume : « je t’apprends inter nos que tu vois en DJ, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un turc, un hérétique… ». Sganarelle accumule les expressions qui lui viennent à l’esprit dans son émotion. On peut les classer ainsi :

DJ se comporte comme le ferait un animal : « chien, pourceau, bête brute », voire mi-homme, mi-bête : « loup garou » : il n’a aucune morale, il suit ses instincts. Un scélérat est étymologiquement un criminel (scelus, le crime).

DJ ne respecte pas la religion commune : « hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer », « pourceau d’Epicure », « vrai Sardanapale ». Hérétique : qui soutient une doctrine contraire au dogme de l’Eglise catholique. Epicure (50-130), philosophe grec qui fait des sensations le critère des connaissances et de la morale, et des plaisirs qu’elles procurent le principe du bonheur, à condition d’en rester maître. Dans l’esprit populaire, un épicurien est celui qui ne recherche que les plaisirs, en particulier la bonne chère et le sexe, sens proche de libertin. Sardanapale est un roi légendaire d’Assyrie. Désigne un personnage puissant qui mène une vie luxueuse et dissolue. [ La Mort de Sardanapale, célèbre tableau  de Delacroix en 1827].

Ce comportement s’oppose à « tout ce que nous croyons » : « nous » désigne les êtres humains normaux pour Sganarelle.

 

3. Pour illustrer ce jugement, il décrit ses différents mariages à partir de la l.15 : le caractère monstrueux de DJ s’accentue. Il peut épouser n’importe qui : « toi, son chien et son chat », ce qui le rapproche de l’animal, homosexualité incluse. Autre aspect : l’aspect social « dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne », donc des aristocrates mariées ou non, ou des femmes appartenant à d’autres classes que la sienne, c’est de la déchéance de la part d’un aristocrate qui doit rester dans sa classe. Dans l’amour courtois, il devait même aimer une femme plus haut placée que lui et entreprendre des actions héroïques pour la mériter. Dernier aspect : il se marie souvent, or le mariage est un sacrement et ne peut être rompu. C’est un sacrilège. Sganarelle utilise un langage hyperbolique, par ex « ce serait un chapitre à durer jusques au soir », qui laisse comprendre le caractère hors du commun, démesuré, du personnage.

 

4. Sganarelle conclut : c’est une « ébauche du personnage pour en achever le tableau, il faudrait bien d’autres coups de pinceau ». Cela suggère encore la dimension hors du commun de DJ., difficile à cerner. Surtout, Sganarelle résume la situation tragique de la situation : « un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ». Cette expression oppose deux aspects : le grand seigneur, celui qui a le pouvoir et devrait protéger les faibles dans la tradition ; le méchant homme, celui qui est foncièrement mauvais. L’association des deux crée d’habitude une situation tragique, comme Néron par ex.

 

II. Portrait indirect de Sganarelle

En s’exprimant, Sganarelle révèle sa propre personnalité :

Un bavard, un homme spontané. Il est en veine de confidence, il libère son cœur : « je t’ai fait cette confidence avec franchise et cela m’est sorti un peu vite de la bouche ». C’est pourquoi, il parle longuement.

Un naïf, un homme crédule. Il mélange les croyances populaires, sans distinguer celles qui relèvent de la religion catholique et celles qui relèvent de la superstition : « ni Ciel, ni enfer, ni loup-garou ». Le loup-garou est un être malfaisant, homme le jour, qui peut se transformer en loup la nuit. On verra plus tard qu’il tient tête à DJ sur la médecine : « Quoi, vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin hémétique ? […]Vous avez l’âme bien mécréante » (III1). Ou sur les croyances : il tient plus au moine bourru qu’au Ciel ou à l’enfer.

Un peureux Malgré tout ce qu’il a dit de DJ, il avoue qu’il ne peut s’opposer à lui et que son maître lui fait peur : « il faut que je lui soit fidèle en dépit que j’en aie : la crainte fait en moi l’office du zèle, bride mes sentiments et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste ». Il est prêt à nier tout ce qu’il a dit en voyant arriver DJ.

 

III Une tirade articulée sur l’action [valeur dramatique]

La tirade fait le point sur l’action :

passée : la vie aventureuse de DJ : « Il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre… » ; les relations de Sganarelle avec son maître.

En cours : « Je ne te dis pas qu’il ait changé de sentiments pour done Elvire… tu sais que sur son ordre je partis avant lui ». La pièce s’ouvre sur une action en cours, c’est déjà une situation de rupture, non une situation de crise avant rupture.

A venir : on ne connaît pas les intentions de DJ « je n’ai pas de certitude encore…il ne m’a pas entretenu », il y a du suspense. Mais Sganarelle énonce la fin sous la forme d’une prémonition : 27 « Suffit qu’il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jour ; que je souhaiterais qu’il fût déjà je ne sais où ».

La tirade comprend aussi l’annonce de l’arrivée de DJ qui fait le lien avec la scène suivante où DJ énoncera sa conception de l’amour.

 

 

Conclusion: Cette tirade plonge le spectateur dans l’action, elle a une fonction d’exposition mais va au-delà de celle-ci et suggère la suite (séduction de paysannes, mort). Elle dresse un portrait du séducteur immoral, qui ne respecte rien ni personne. Mais le portrait est fait par Sganarelle, personnage naïf et peureux, cela le discrédite.

On est déjà dans l’ambiguïté du message de Molière : DJ est-il un monstre ou un être libéré des contraintes des croyances ? Il est certain, en tous cas, que le libertinage amoureux est étroitement associé par Sganarelle au libertinage philosophique. [Aujourd’hui, on parlerait davantage de « libre penseur pour ce dernier aspect], ce qui donne un enjeu inhabituel à la comédie.

 

 

 

 

 

 

 

LA 2 : Dom Juan, I 2 : Don Juan expose sa conception de l’amour

Situation : Répondant aux inquiétudes de don Gusman sur le départ précipité de don Juan, Sganarelle lui a dit qu’il craignait que celui-ci ait abandonné sa maîtresse done Elvire après l’avoir épousée. Il lui a expliqué que son maître est « un grand seigneur méchant homme » sans aucun scrupule. DJ arrive, une explication s’esquisse avec son valet qui lui dit qu’il « trouve fort vilain d’aimer de tous côtés ». DJ réplique dans une longue tirade et lui expose son point de vue. Aussi, nous nous demanderons en quoi cette scène est-elle significative du personnage de Don Juan ? Ce texte fonctionne comme un texte argumentatif destiné à persuader. Il expose une conception et esquisse le portrait du séducteur.

 

  1. I.                    Un discours pour convaincre

Analyse du fonctionnement du discours :

  1. L’énonciation

DJ s’adresse à son valet Sganarelle. Le « tu » est présent seulement dans la 1ère phrase : « tu veux » puis il parle longuement sans interpeller à nouveau son interlocuteur (à la différence de Sganarelle en parlant à Gusman). On dirait qu’emporté par son discours, il l’oublie ; en réalité, le discours s’adresse aux spectateurs (double communication théâtrale), il est destiné à mettre en valeur le personnage qui trace son portrait  en contraste avec celui fait par  Sganarelle.

Il utilise le « je » entre « Pour moi » Hachette 55 et « le changement » 65 : une 10° d’occurrences, puis en fin de tirade « j’ai sur ce sujet » 4 occurrences. Dans ces passages, le discours prend un tour personnel, il décrit son penchant irrépressible. Mais ailleurs il utilise « on » ou « nous » : le premier en sujet, le 2° en objet. Donc dès le début, puis en alternance avec le « je », il fait de sa conception une vérité générale. Le présent a ici une valeur générale, alors que dans les autres, il décrit des traits de caractère. DJ considère donc sa conception comme justifiée, valable pour le plus grand nombre. C’est une vérité présentée comme une évidence. En fait, il hésite entre cette vérité générale (« La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle ») et l’affirmation de sa propre liberté (« Pour moi, la beauté ma ravit partout »).

 

  1. La construction de l’argumentation et les types de phrases soulignent sa conviction et son désir de persuader

 

  1. Il commence par une question rhétorique doublée d’une exclamation (« Quoi, tu veux qu’on se lie… ») qui traduit sa surprise devant la position de Sganarelle et l’évidence de sa propre conception. Puis il enchaîne par une exclamation qui renforce le mépris qu’il a pour la fidélité. La 3° ph commence par le redoublement de l’exclamation « non » qui conclut le rejet de la thèse adverse tout en insérant la sienne en cours de ph après la virgule « toutes les belles ont droit de nous charmer ». Une sorte de maxime ou d’aphorisme se détache vers la fin de cette partie : « la constance n’est bonne que pour les ridicules ». Il utilise une métaphore dévalorisante « ensevelir, être mort » qui assimile la fidélité à une mort sentimentale.
  2. « Pour moi » introduit l’exposition de sa propre position. Il y a une succession de phrases déclaratives où alternent affirmations et négations, les secondes évoquant toujours le rejet de la thèse adverse « l’amour que j’ai pour une belle n’engage pas mon âme » 55, « je ne puis refuser mon cœur » 60. Une nouvelle maxime se détache « tout le plaisir de l’amour est dans le changement ». Ces 2 maximes ressemblent à des alexandrins si on ne compte pas les e muets [vers blancs].

 

  1. 65  Retour au « on » et aux généralités, pour définir et justifier sa conception. Ici commence une période oratoire construite sur la proposition principale en tête : « On goûte une douceur extrême à » qui contient une série de compléments « réduire … » 66, « voir » 67, « combattre » 68, « vaincre » 71, « mener » 72 qui abordent les différentes phases de la séduction ; à l’intérieur, des subordonnées décrivent l’attitude de la femme « les résistances qu’elle nous oppose » 71, « les scrupules dont elle se fait un honneur » 72 et enfin la victoire du séducteur « où nous avons envie de la faire venir ». Cette période est éloquente, elle suit les détours de la stratégie du séducteur, exprime le plaisir de la tactique. Célèbre métaphore de la conquête.

 Elle est suivie d’une phrase commençant par « mais » qui décrit au contraire la suite de la conquête. La phrase est coupée en deux, la 1ère partie comporte des propositions négatives qui reprend la métaphore de la mort de façon plus légère (« endormons »), la 2° partie rebondit sur l’évocation d’une nouvelle conquête.

  1. « Enfin » indique le bilan. L’enthousiasme grandit, il termine par une comparaison audacieuse entre ses conquêtes amoureuses et celles d’Alexandre le grand. [IV° s avant JC, conquit le monde grec, l’Egypte et l’Asie jusqu’à l’Inde].

 

Le texte est donc bien un discours construit qui oppose deux thèses, la fidélité et l’amour conquête, en mettant en valeur cette dernière par la place qu’elle occupe dans le plan, les types de phrases, les images.

 

  1. II.                  Conception de l’amour et portrait du séducteur
  1. Le rejet de la fidélité

DJ Récuse l’idée de l’honneur lié à la fidélité. Les deux notions appartiennent aux valeurs de la noblesse. « faux honneur d’être fidèle », « la constance n’est bonne que pour les ridicules ». Il rejette ces valeurs telles qu’elles sont pratiquées : « les scrupules dont elle se fait un honneur », l’honneur de résister chez la femme, l’honneur d’être fidèle pour les deux. Au lieu d’être la marque d’une âme forte et noble, la fidélité traduit un manque de personnalité. On sent que le grand seigneur a pris de la distance avec les représentations traditionnelles telles qu’on les trouve encore à l’époque de Louis XIII et de Louis XIV chez Corneille. C’est une époque révolue, qui ne correspond plus aux pratiques réelles, comme par ex à la cour de Louis XIV. Au fond, « demeurer au premier objet qui nous prend » n’est pas justifié, c’est un peu le fruit du hasard (« l’avantage d’être rencontrée la première » 51).

  1. Le prétendu intérêt féminin à l’amour

DJ renverse les données de la situation dans la première moitié de son discours. Il présente la femme comme séductrice, désireuse de se faire aimer ; c’est elle qui le pousse à agir ainsi. Le vocabulaire le traduit « le premier objet qui vous prend » 1-2, « beautés qui nous peuvent frapper les yeux » 49, « les justes prétentions qu’elles ont sur notre cœur » 52, « faire injustice aux autres »  57, « un beau visage me le demande » 62. Ici, le sujet des verbes désigne souvent les femmes, ce sont elles qui exigent l’amour du séducteur.

 

  1. La nature est la valeur nouvelle qui se substitue aux valeurs aristocratiques.

« Les hommages et les  tributs où la nature nous oblige » 59. Cette phrase révèle la référence morale du séducteur. « Hommages et tributs » sont des termes qui appartiennent au langage de la conquête guerrière que la classe aristocratique menait. L’hommage désigne l’acte par lequel le vassal se déclarait l’homme de son seigneur en lui promettant une fidélité et un dévouement absolus. Le tribut désignait une contribution forcée imposée au vaincu par le vainqueur. Là encore, DJ inverse les rôles, le vainqueur serait la femme séductrice et c’est l’homme qui lui rendrait hommages et tributs, non à cause de valeurs imposées par la société (féodale) mais à cause de la force de la nature. Dans ce passage, il souligne qu’il est soumis à une force qui le dépasse : «  la beauté me ravit partout », « je cède facilement », « je ne puis refuser ». C’est au fond une pulsion naturelle dont il n’est pas maître mais qu’il reconnaît et assume.

A partir de là, la conquête amoureuse remplace la conquête guerrière, il file la métaphore qui allie les termes de la bataille à ceux de la féminité et de l’amour . La référence à Alexandre le Grand qui termine la tirade ainsi que l’idée de conquérir d’autres mondes révèle la démesure de Don Juan. On peut se demander si cette conception n’est pas une justification valorisante de simples pulsions révélatrices d’une faiblesse.

En fait, DJ peut être considéré comme un guerrier dégénéré. Le temps des conquêtes guerrières est fini, les qualités du guerrier sont mises au service d’une cause beaucoup plus simple et sans grand danger. Mais DJ apprécie la difficulté pour cette raison : il ne s’agit nullement d’assouvir un simple plaisir physique. C’est ce qui le différencie d’un monstre comme Gilles de Rais (1400-1440, vaillant compagnon de Jeanne d’Arc transformé en consommateur d’enfants dans la paix. (entre 140 et 300).

 

Conclusion

Ce texte célèbre démontre l’habileté oratoire de DJ tout en définissant ses idées et en cernant sa personnalité.

Il révèle les ambiguïtés du personnage : il s’adresse à son valet mais son discours est destiné au public ; il utilise les qualités du gentilhomme au service d’une cause  dégradante ; il affirme sa liberté en avouant ne pas pouvoir agir autrement. Sorte de grandeur décadente, de charme trouble.

 

« Nous n’avons qu’un extérieur trompeur et frivole, de l’honneur sans vertu, de la raison sans sagesse et du plaisir sans bonheur » Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, dernière page. 1755

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