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Convaincre, persuader

Publié le 09/03/2011

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1 : Introduction : Les écrivains sont d'abord des hommes qui appartiennent à leur époque et même compte-tenu d'une sensibilité plus vive, qui participent plus étroitement aux affaires marquantes de leur temps. Aussi n'est-il pas étonnant de voir ces témoins mettre leur art au service d'une cause politique ou de courants de pensée. Faire partager son opinion, éclairer ses contemporains, participer aux débats intellectuels de son temps, voilà des motifs qui ont souvent conduit un auteur à se lancer dans l'écriture et la publication de son oeuvre. C'est ce que nous appelons la « littérature engagée ».

2 : Convaincre : Convaincre s'emploie pour exprimer le fait que l'auteur cherche à amener un lecteur à reconnaître qu'une proposition, qu'un point de vue est véridique, irréfutable. En ce sens la conviction repose essentiellement sur l'exercice de la raison qui avance des preuves.

3 : Persuader : Persuader s'utilise d'avantage pour dire que l'auteur cherche à faire partager au lecteur son point de vue en jouant sur les émotions, sur la subjectivité, sans forcément utiliser de preuves systématiques. Pour persuader, l'écrivain va jouer avec les émotions primaires du lecteur. La Bruyère fait monter en nous la répulsion, Hugo chercher à réveiller les esprits par la peur en prophétisant un bouleversement de la société, Prévert travaille son lecteur pour lui donner mauvaise conscience...

4 : Délibérer :Délibérer, c’est examiner les différents aspects d’une question, en débattre, y réfléchir afin de prendre une décision, de choisir une solution. C’est donc se confronter à ses propres objections ou à celles d’autrui, avant de construire sa propre opinion. Cette nécessaire étape de la réflexion personnelle permet de considérer l’avis d’autrui et de peser la vérité (ou l’accord au réel) de différentes positions avant de décider. La délibération est également essentielle au débat public dans une démocratie. Au cours d’un procès avant la sentence, les jurés sont amenés à délibérer. L’essai, le dialogue ou l’apologue sont des genres littéraires particulièrement adaptés à l’expression d’une délibération.

5 : Quelques procédés très utilisée pour convaincre, persuader ou délibérer : - L'analogie peut être utilisé pour persuader le lecteur. L'analogie consiste à comparer deux faits, deux situations pour en déduire une valeur explicative. Dans l'Encyclopédie par exemple, la guerre est assimilée à la maladie et la paix à la bonne santé. De fait, on peut remarquer que l'auteur énonce une thèse subjective sous une forme apparemment scientifique. Nous sommes proches de la persuasion et même de la manipulation du lecteur.

- Si l'auteur veut davantage toucher le lecteur dans son âme,il peut faire appel à ses sentiments plutôt qu'à sa raison et employer par exemple un ton plus lyrique : La Bruyère utilise par exemple la dramatisation pour nous persuader à l'aide d'exclamations ( pas tout le temps mais souvent ) dès le début de ses poèmes. De même le texte théâtral, parce qu'il s'adresse très directement à des spectateurs présents dans une salle, joue peut-être davantage sur la persuasion. En effet, le théâtre est un lieu où se trouvent réunis des personnes qui éprouvent collectivement des émotions semblables.

- L'ironie est également un bon procédé efficace pour convaincre ou persuader. Lorsque Voltaire veut dénoncer la guerre, il construit une fiction dont le but est de ridiculiser tout belligérant quelles que soient ses justifications. Dans Candide, il dénonce la guerre entre les Abares et les Bulgares, en montrant une réalité horrible, mais surtout absurde. Ainsi l'ironie est une composante essentielle de la stratégie argumentative.

- L’argument d’autorité : on fait référence à une autorité politique, morale, scientifique reconnue et experte. Par exemple : Fumer est dangereux pour la santé, c’est ce que nous démontre le rapport sur la santé des Français rédigé par les professeurs...

- Argument ad hominem : L’argument ad hominem ou argumentum ad hominem est une stratégie qui consiste à opposer à un adversaire ses propres paroles ou ses propres actes. Il s’agit de discréditer la personne plutôt que la position qu’elle défend. L’idéal est bien de montrer la contradiction entre les propos et les agissements. C’est la mise en évidence du « Fais ce que je dis et non pas ce que je fais ».

- l’antiphrase : c’est le procédé essentiel. Il s’agit ici de juger un phénomène à l’inverse de ce qu’on attendrait. Devant les gribouillis d’un apprenti écrivain, le critique va encenser le « caractère admirable » de la production. Comme le compliment est public, forcé par l’exagération et le ton, il ne laisse aucun doute sur les intentions de celui qui le prononce au point que le récipiendaire5 en est souvent marqué à vie.

- Enfin, la forme littéraire doit donner un écrin à la pensée, synthétiser les observations en une maxime, un proverbe. La complainte de Prévert n'aurait probablement pas dépassé une notoriété restreinte si elle n'avait pas été publiée dans Paroles.

6 : Défendre une cause comporte des limites : Il est vrai qu'une œuvre naît la plupart du temps d'une évidente envie d'expulser ce qui habite le cœur de son auteur, toutefois la complexité des moyens mis en œuvre peut constituer un frein. Il appartient donc à l'écrivain de trouver les justes passerelles pour rejoindre son lecteur. Être efficace signifie que le lecteur ( ou le spectateur ) modifie son point de vue sur une question précise ou commence à réfléchir un phénomène auquel il ne pensait pas auparavant. De ce point de vue, il convient de relever que la littérature est plutôt élitiste : elle s'adresse ( et particulièrement au 18e siècle ) à un public cultivé. Écrire suppose un lectorat. Un petit nombre seulement de personnes cultivées ont lu, en leur temps, les philosophes des Lumières. On peut également penser que le texte théâtral touche un nombre plus important de personnes. Mais là encore, seule une fraction bien précise de la société se rend plus ou moins régulièrement dans une salle de Théâtre. Enfin, les procédés stylistiques de l'argumentation nécessitent une certaine culture, une connaissance de la langue, de l'histoire, des idéologies. Que penser du lecteur qui prendrait au pied de la lettre la fin du texte de Voltaire ? À quelle extrémités serait porté celui qui lirait l'argumentaire de Montesquieu sur l'esclavage sans en saisir l'ironie ?

C'est d'ailleurs peut-être en dehors de la stricte argumentation que les écrivains nous aident le mieux à rejoindre leurs causes. C'est par exemple dans les œuvres de fiction, par l'intermédiaire d'une histoire ou d'un monde qui nous remue que les écrivains sont lus. Voltaire, dans Candide, roman sentimental et roman d'aventure, nous touche plus que ses articles du Dictionnaire philosophique. C'est si vrai que Voltaire, désireux de toucher un large public a choisi la forme du conte philosophique pour diffuser ses idées subversives. De même, les Misérables de Victor Hugo ont beaucoup plus contribué à faire avancer le socialisme militant que les œuvres théoriques des penseurs sociaux.

Enfin, certains courants littéraires ont affirmé avec force que la vocation de la littérature n'était pas d'abord de prouver, d'être utile ou morale. Pour des écrivains comme Baudelaire, Mallarmé, Gautier, le Parnasse, le plus souvent des poètes, il est vrai, la littérature n'a pas à rechercher l'utilité et l'efficacité mais plutôt la beauté et le plaisir. Pour eux, d'une certaine manière, persuader ou convaincre, c'est avilir l'art...

Un autre frein peut être découvert dans les dangers de la caricature : La Bruyère a choisi de ridiculiser Gnathon avec le risque que ses lecteurs refusent de se reconnaître dans ce goinfre malappris, dans ce sans-gêne provocateur, auquel cas ils ne se corrigeront pas de leur égoïsme moins affiché. La caricature peut faire craindre au lecteur d'être manipulé : à trop déformer, l'auteur peut être suspecté de vouloir tenir la main. Mais le risque majeur est celui de ne pas être compris. À vouloir suggérer en maniant l'implicite, l'auteur permet au lecteur bien des nuances dans l'interprétation, ouvrant ainsi la porte au contresens. Et si le lecteur ne voyait dans Gnathon qu'un goinfre répugnant au lieu de l'égoïsme forcené ?

La fiction littéraire use de nombreux ressorts pour réussir à convaincre ou persuader. Or il lui arrive de devenir trop convaincante. Nous pouvons très brièvement évoquer les fictions littéraires à but politique. Le Mein Kampf d'Hitler rédigé alors qu'il était en détention, est une véritable apologie de l'idéologie politique du nazisme. Plusieurs millions d'ouvrages en ont été vendus et lus par des millions de personnes. Cet exemple démontre la puissance de persuasion d'une fiction littéraire qu'y soit néfaste ou non pour l'homme.

La fiction est un genre de l'irréel, ce qu'elle raconte n'est donc que pure invention. C'est pourquoi, si l'histoire où les personnages sont imaginaires, ils ne doivent pas pour autant être inimaginable : pour que la fiction fonctionne, il semble nécessaire que le lecteur puisse y adhérer un minimum. Des évènements absurdes et des personnages incohérents sont autant de chose qui coupent le lecteur du récit : C'est le cas notamment pour certains type de littérature comme le théâtre de l'absurde : la pièce de théâtre Rhinocéros dans laquelle Ionesco met en scène des habitants de toute une ville transformés en rhinocéros, n'a pas toujours fait l'unanimité. On peut s'apercevoir que ce type de fiction ne convainc et ne persuade pas le lecteur par son histoire beaucoup trop irréel... Pour reprendre l'exemple de Voltaire, comment croire que Candide après avoir été placé dans un chaudron bouillant, puisse arriver paisiblement au pays de l'Eldorado ?

7 : La Bruyère qui écrit pour des gens cultivés, des nobles ou de riches bourgeois, manie les dangers du ridicule, l'arme de la satire, les références culturelles. Hugo qui s'adresse à la petite bourgeoisie et à ses amis républicains préfère l'art du journaliste : les petits détails judicieusement choisis, la lente montée vers l'inacceptable, pour finalement vitupérer l'aveuglement des nantis. Prévert, qui écrit pour le petit peuple parisien : il choisit l'univers du bistrot et le fait divers horrifiant.

8 : L'exemple de la fiction pour argumenter : La fiction est la forme littéraire la plus répandue, et la plus accessible au public. Lorsque un auteur va écrire une fiction, il touchera un public large qui comprendra le message qu'il veut faire passer. En effet la fiction est naturelle et n'oblige pas à un exercice de compréhension du texte. On note ainsi un lien auteur-lecteur qui est d'autant plus important dans la forme d'argumentation fictive qu'est l'apologue.

L'apologue est un court récit de forme allégorique qui renferme un enseignement, une leçon de morale. Il est souvent utilisé pour faire passer un message, défendre une cause ou dénoncer un vice humain. L'apologue se divise en plusieurs parties. La fable en est une, elle est un court récit fictif illustrant une morale. La Fontaine utilise le genre de la fable qui est capable de plaire et d'instruire. La morale, généralement placée à la fin est implicite comme dans le corbeau et le renard « tout flatteur vit au dépend de celui qui l'écoute ». Et selon La Fontaine, « l'apologue est composé de deux parties dont on peut appeler l'une le corps, l'autre l'âme. Le corps est la fable ; l'âme, la moralité. Dans ce genre de littérature, la fiction rend l'histoire plus divertissante et lui assure un aspect ludique. Il est vrai que l'auteur des fables à vite compris que pour montrer le monde tel qu'il est, il convient de persuader le lecteur en l'amusant grâce à une histoire intéressante plutôt qu'en lui tenant des discours sérieux. Le mythe peut être aussi considéré comme une forme d'apologue, car il raconte et enseigne. Dans les Lettres persanes, avec les mythes des Troglodytes, peuple imaginaire d'Arabie, Montesquieu s'expose à travers cette transposition fictive, sa vision du gouvernement.

Plus généralement, la fiction littéraire est capable de faire naître le rire tout en menant le lecteur à la réflexion. Cette méthode repose sur le principe du placere et docere ( instruire les mœurs tout en les divertissants ). Persuader et convaincre par le rire est un des premiers éléments qui nous pousse à respecter l'œuvre en tant qu'elle. Ce procédé est typique du conte philosophique qui dénonce et critique la société par le biais de l'ironie. Celui-ci aborde souvent des sujets sensibles, autour desquels les débats peuvent être violents. Il n'est que de songer à Voltaire : il énonce dans l'utopie Candide ou l'optimisme ( 1759 ), qu'il est mal de soutenir que tout va bien quand tout va mal. Dans son conte, Voltaire glisse des critiques plus ou moins explicites tels que l'intolérance des prêtre et la cruauté esclavagistes. Il s'agit pour lui de contourner la censure. L'aspect anodin et merveilleux du conte, permettait de faire entendre de façon implicite, un discours que la société n'étaient pas prêt d'accepter. De la même façon, lorsque Victor Hugo, un siècle plus tard narre Le dernier jour d'un condamné, il sait que son public comprendra le message, c'est à dire la critique d'une justice injuste et partisane. Peut être même que son message passera mieux sous cette forme narrative. En outre, le genre de l'utopie est le moyen le plus fascinant qu'utilise la fiction littéraire pour convaincre et persuader le lecteur. L'utopie propose la mise en relation du réel et du fictif, ainsi le lecteur peut acquérir une forme de liberté et donner libre cour à son imagination. L'utopie est capable de nous convaincre et de nous donner persuader plus aisément parce qu'elle fait appel à ce que le lecteur veut voir et vivre. L'une des utopies les plus célèbre et celle de L'abbaye de Thélème, une abbaye utopique décrite par Rabelais. Cette fiction littéraire n'est ni plus ni moins que l'image d'un monde parfait.

Même si les œuvres de fiction ont de nombreux avantages, elles ont pour inconvénient de ne pas être très clair et précises. L'argumentation direct peut être plus efficace. En effet, il n'y a pas meilleur moyen que de faire passer un message avec des arguments explicites et clairs. L'essai peut, dans certains cas, obéir à des règles strictes. La thèse de l'auteur est distinct et instantanément repérable dans son texte contrairement à l'apologue qui est explicite. L'essai désigne de plus, la plupart du temps le lecteur dans son texte, ce que fait rarement l'apologue.

9 : Une idée d'élargissement qui marche souvent : Pourtant, on peut regretter qu'aujourd'hui, la littérature prisonnière de sa complexité, ne soit plus le vecteur privilégié pour défendre une cause auprès du grand public. Cinéma, chanson, bandes dessinées, d'un abord plus facile, ont désormais pris la relève...

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