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De Gaulle : l'ennemi de la défaite

Publié le 22/02/2012

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25 août 1944 - Lorsque le chef du gouvernement provisoire, après avoir remis à Bayeux, pour la première fois depuis quatre ans, les pieds sur le sol de la France, entre dans Paris libéré au milieu d'août 1944, il est désormais " tel qu'en lui-même l'éternité le change ". Sous-secrétaire d'Etat à la guerre, de la veille, général de brigade (à titre temporaire), de l'avant-veille, l'homme qui, le 17 juin 1940, volait de Bordeaux vers l'Angleterre possédait pour viatique 100 000 F prélevés par le président Paul Reynaud sur les fonds secrets et, pour fortune, une détermination. Dans l'après-midi du lendemain, on apprend à Londres que le gouvernement du maréchal Pétain vient de demander l'armistice à Hitler. A 6 heures du soir, au micro de la BBC prêté par Churchill, l' " appel " sera lancé. A l'époque, le second événement paraît minime auprès du premier. Ce n'est que la perspective de l'histoire qui va lui conférer son importance et lui donner la grandeur d'un mythe. La mémoire des hommes en fera alors le 18 juin-tout court. Un anniversaire sans date. Le 18 juin (tout court) n'abolira pas seulement la défaite. Ce jour-là paraîtra avoir été soustrait à une année dont le millésime est pour la France synonyme d'effondrement. Il s'agissait bien d'un commencement, en dépit de ce que paraissait impliquer de continuité cette phrase capitale : " Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ! " Une idée était lancée en pâture à une nation, après avoir été rejetée par ceux qui la dirigeaient. Un mot- " résistance ",-en prenant un sens nouveau, allait devenir un nouveau mot, un nom propre qu'on écrirait avec une majuscule. Celui qui le prononçait avait, lui aussi, le sentiment de ce qu'il y avait d'exceptionnel dans son entreprise. Il entrait, il le dira lui-même, dans l'aventure. Mais s'il a déjà à ce moment envisagé la dégradation et la condamnation à mort que le conseil de guerre de l'Etat français prononcera contre lui à Clermont-Ferrand, en juillet, le général de brigade Charles de Gaulle ne s'est pas encore, semble-t-il, décidé à devenir le général de Gaulle. Par son appel à la radio, il a seulement voulu " hisser les couleurs ". Par télégramme, il sollicite le général Weygand, les généraux Noguès et Catroux, d'autres encore, de prendre la tête de la résistance française. Cependant, une phrase des Mémoires laisse penser que ce n'est pas seulement la modestie qui le pousse à se borner d'abord au rôle de porte-drapeau qui attend un chef: " J'avais le devoir de vérifier, écrira-t-il, qu'aucune autorité plus qualifiée que la mienne... " La vérification en tout cas est concluante. L'éphémère sous-secrétaire d'Etat à la guerre ne recueillera au mieux que de vagues assurances de sympathie. Comme naguère, il reste la voix de celui qui crie dans le désert. C'est alors qu'il tire la conclusion ultime: " C'était à moi d'assumer la France. " Cette investiture par soi-même et par la nécessité, Charles de Gaulle ne permettra plus désormais à personne de la contester. En cet été 1940, on peut la juger encore bien dérisoire. Le monde a admis la légalité du gouvernement de Vichy. Les Etats-Unis, l'URSS lui ont envoyé des ambassadeurs; le Vatican un nonce apostolique. L'Angleterre elle-même, tout en reconnaissant le 28 juin à de Gaulle son titre de chef des Français libres, ne lui accorde qu'une confiance limitée. Elle ne veut voir en lui qu'un atout dans son jeu. Mais l'homme du 18 juin ne l'entend pas ainsi. " Assumer la France ", ce n'est pas seulement prolonger sa participation au combat. Dans l'esprit du chef de la France libre, c'est faire aussi en sorte qu'elle ne cesse pas d'exister-fût-ce in abstracto-pour elle-même en tant qu'Etat, pour les Alliés en tant que puissance qu'on consulte et qu'on respecte. Gardien d'un " trésor tombé en déshérence ", chargé de le conserver intégralement et de veiller jalousement sur lui, Charles de Gaulle se doit de cumuler les tâches de stratège, de diplomate et d'homme politique. Les réalités contredisent cruellement cette immense ambition, qui n'a pour cadre tout d'abord qu'un appartement de trois pièces prêté par un Anglais. Le but que s'est fixé de Gaulle exige, en premier lieu, qu'il rassemble une armée. La France libre ne comprend, au départ, qu'une troupe de quelques centaines d'hommes. Réunir une équipe qui pourrait constituer le germe d'une représentation gouvernementale et diplomatique n'est pas plus aisé. Les hommes qui se trouvent à Londres, même s'ils réprouvent l'armistice, se détournent de Charles de Gaulle. Certains, hommes de gauche qui s'interrogent sur les intentions du général pour l'avenir iront même jusqu'à nourrir une opposition larvée et, à vrai dire, surtout verbale. Cependant, porté par les ondes et atteignant directement les masses, l'appel a été entendu par des inconnus, par des humbles et dans certaines colonies. Le Cameroun, le Tchad, l'Oubangui, le Gabon, le Congo, les Comptoirs de l'Inde, la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, la Polynésie, se rallient à la France libre. Un échec-celui de l'expédition de Dakar-vient mettre un terme au rassemblement de l'Empire. Il n'importe : le branle est donné. De Gaulle a commencé aux yeux du monde d'incarner la France et sa résistance. Susciter la résistance sur le territoire national signifiait d'abord pour Charles de Gaulle s'opposer au régime de Vichy, dénoncer sa politique de compromission et de forfaiture. Cette mise en accusation, il la poursuit chaque semaine dans des allocutions radiophoniques. Par le truchement du micro, il s'adresse directement au peuple par-dessus la tête de ceux qui constituent à ses yeux un gouvernement d'occasion. Il sait prendre au besoin des initiatives spectaculaires qui révèlent un homme expert-avant la lettre-au maniement des armes psychologiques. Telle cette invitation, le 25 octobre 1941, par laquelle les Français sont conviés à observer dans la rue cinq minutes d'immobilité et de silence pour protester contre les exécutions d'otages par les Allemands. Chasser ces derniers, contribuer à leur défaite, ce sera la tâche des réseaux de l'armée de l'ombre qui s'organise. Mais à l'heure opportune et dans les conditions les meilleures. Au besoin Charles de Gaulle n'hésitera pas à déconseiller-même s'il les trouve légitimes-les meurtres d'officiers allemands accomplis au hasard. Encore faut-il pour déclencher une action coordonnée et efficace être reconnu comme chef des troupes clandestines, qui, ici ou là, se sont parfois spontanément mobilisées. S'imposer comme dirigeant de la résistance intérieure quand on est soi-même à l'extérieur n'est pas toujours aisé. Il y faudra des tractations, de dangereux parachutages, comme celui de Jean Moulin, chargé en janvier 1942 d'organiser le Conseil national de la résistance. Si l'entreprise est délicate, elle est cependant de celles qui soulèveront le moins de difficultés. Les réseaux communistes eux-mêmes finiront par reconnaître l'autorité de Charles de Gaulle en envoyant comme délégué à Londres Fernand Grenier. L'armée constituée sur le sol de l'Angleterre et qui combat sous le pavillon national (marqué d'une croix de Lorraine) va, elle aussi, grandir peu à peu. De quelques centaines d'hommes en juin 1940, ses effectifs passeront à sept mille à la fin de l'année, à douze mille en juillet 1941, à soixante-dix mille à l'été 1942. Le chef de la France libre Mais la situation étant ce qu'elle est, la lutte contre l'Allemagne s'identifie parfois à la lutte contre Vichy, et la lutte contre Vichy à une lutte contre des Français. En mai 1941, en Syrie, de Gaulle doit prendre la responsabilité d'ordonner aux forces de la France libre de tirer contre l'armée que commande le général Dentz. Ce que les vichystes ne lui pardonneront jamais. On peut penser cependant que ce n'est pas de gaieté de coeur que fut donné l'ordre de tirer. Mais ce qui compte pour de Gaulle c'est prouver la présence de la France aux côtés des Alliés, dans les batailles dans les victoires. Intransigeant parce qu'il représente la France, le chef de la France libre se doit de l'être d'autant plus que son dénuement est total. " Je suis trop pauvre pour me courber ", dira-t-il à Winston Churchill. Incarnant un pouvoir qui n'est même pas reconnu, possédant une armée qui, malgré son courage, représente un potentiel dérisoire au sein de la coalition, le général de Gaulle n'hésitera pas à menacer l'Angleterre de rompre les relations avec elle, et les Etats-Unis de bombarder leurs bateaux s'ils semblent avoir des vues trop personnelles sur certaines colonies de la France. Au besoin, de Gaulle sait jouer habilement des rivalités entre les trois Grands. Il se montre souvent des plus aimables avec M. Bogomolov, le représentant que Staline a envoyé auprès de lui après l'avoir... retiré de Vichy, en juin 1941 ! Les Anglais, jaloux de s'assurer un monopole au Levant, voient-ils d'un mauvais oeil que les deux divisions de la France libre interviennent en Libye. De Gaulle propose aux Russes de les utiliser... Et les Anglais n'ont plus qu'à venir solliciter ce qui leur était proposé et qu'ils avaient refusé... Il va sans dire que les Alliés de leur côté feront tout pour mettre à l'écart cet homme qui ne craint pas de prétendre qu'il incarne la France et ose leur mettre tant de bâtons dans les roues. Déjà, tout au début, les Anglais avaient cherché à substituer Catroux à de Gaulle. Ils récidiveront ensuite avec Muselier. Mais la crise la plus grave devait avoir pour théâtre l'Afrique du Nord. Les Américains ne s'étaient pas contentés de débarquer en Algérie sans prévenir le chef de la France libre. Ils entendaient y maintenir un régime qui, avec l'amiral Darlan, n'était guère autre chose que la prolongation de Vichy. L'assassinat de l'amiral ne régla pas la question. Les USA voulaient porter à la tête de l'Afrique du Nord le général Giraud. Ce dernier, brillant militaire et animé d'une forte passion anti-allemande, ne partageait pas l'hostilité de de Gaulle envers Vichy, ni sa méfiance à l'égard des Alliés, ni sa volonté d'établir un pouvoir politique capable de diriger l'effort des Français dans la guerre. Aussi l'homme du 18 juin ne gagne-t-il pas tout de suite Alger; il ne s'y rend qu'une fois les résistances usées ou tournées, huit mois après le débarquement, le 30 mai 1943. Mais peu à peu, au nom de la subordination des militaires au gouvernement, des tâches guerrières à la nécessité politique, Giraud se trouvera éliminé au début de 1944. Patiemment, mais fermement, de Gaulle aura lutté contre lui pied à pied. Cependant, un trait de Charles de Gaulle pendant toute cette période aventureuse de sa vie mérite de retenir l'attention. Dès les premiers temps de son installation à Londres, il se préoccupe de donner des institutions à la France libre. S'il refuse à tout autre que lui le privilège d'incarner la légitimité française, il n'est pas moins hanté par le souci de donner un corps à celle-ci. Dès 1940, il avait établi un Conseil de défense de l'Empire. En septembre 1941, une ordonnance crée le Comité national français de la France libre, par lequel cette dernière s'organisait véritablement en Etat. Après l'arrivée de de Gaulle à Alger, viendra en septembre 1943 l'Assemblée consultative provisoire, puis en juin 1944 le gouvernement provisoire de la République française. Quelles que soient les institutions qu'il établit, Charles de Gaulle est guidé avant tout par un principe : faire assurer le respect de l'Etat et l'autorité du gouvernement. L'expérience, les épreuves, les difficultés, les amertumes l'ont tantôt confirmé, tantôt établi dans des vues qui ne varieront plus. Adversaire du nazisme et plein de répugnance envers la dictature, il éprouve (comme l'avaient fait aussi, à leur manière, les hommes de Vichy) une répulsion profonde pour la faiblesse de la IIIe République qui l'a contraint, lui, Charles de Gaulle, à se lancer seul et sans investiture dans une aventure qui consistait " à assumer la France ". Le vide qu'il a senti autour de lui en Angleterre au moment de constituer l'équipe qui devait l'aider à accomplir sa mission lui a fait mesurer également la vanité des élites pour qui il n'aura plus désormais qu'un mépris enrobé d'une considération destinée, non aux individus, mais aux fonctions qu'ils remplissent. Ces élites ont pour la plupart suivi Vichy. De même qu'il a éprouvé l'importance, pour l'unité nationale, de la soumission de chefs militaires au pouvoir politique, il a pu apprécier la nécessité de disposer de forces propres pour assurer l'indépendance du pays. Pour avoir dépendu du bon vouloir des Américains et des alliés dans l'établissement de son armée, il a mesuré combien était indispensable l'égalité au sein des alliances. MICHEL LEGRIS Le Monde du 11 novembre 1970
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« Réunir une équipe qui pourrait constituer le germe d'une représentation gouvernementale et diplomatique n'est pas plus aisé. Les hommes qui se trouvent à Londres, même s'ils réprouvent l'armistice, se détournent de Charles de Gaulle.

Certains,hommes de gauche qui s'interrogent sur les intentions du général pour l'avenir iront même jusqu'à nourrir une opposition larvée et,à vrai dire, surtout verbale. Cependant, porté par les ondes et atteignant directement les masses, l'appel a été entendu par des inconnus, par des humbles etdans certaines colonies.

Le Cameroun, le Tchad, l'Oubangui, le Gabon, le Congo, les Comptoirs de l'Inde, la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, la Polynésie, se rallient à la France libre. Un échec-celui de l'expédition de Dakar-vient mettre un terme au rassemblement de l'Empire.

Il n'importe : le branle est donné.De Gaulle a commencé aux yeux du monde d'incarner la France et sa résistance. Susciter la résistance sur le territoire national signifiait d'abord pour Charles de Gaulle s'opposer au régime de Vichy, dénoncersa politique de compromission et de forfaiture.

Cette mise en accusation, il la poursuit chaque semaine dans des allocutionsradiophoniques.

Par le truchement du micro, il s'adresse directement au peuple par-dessus la tête de ceux qui constituent à sesyeux un gouvernement d'occasion. Il sait prendre au besoin des initiatives spectaculaires qui révèlent un homme expert-avant la lettre-au maniement des armespsychologiques.

Telle cette invitation, le 25 octobre 1941, par laquelle les Français sont conviés à observer dans la rue cinqminutes d'immobilité et de silence pour protester contre les exécutions d'otages par les Allemands. Chasser ces derniers, contribuer à leur défaite, ce sera la tâche des réseaux de l'armée de l'ombre qui s'organise.

Mais à l'heureopportune et dans les conditions les meilleures.

Au besoin Charles de Gaulle n'hésitera pas à déconseiller-même s'il les trouvelégitimes-les meurtres d'officiers allemands accomplis au hasard. Encore faut-il pour déclencher une action coordonnée et efficace être reconnu comme chef des troupes clandestines, qui, ici oulà, se sont parfois spontanément mobilisées. S'imposer comme dirigeant de la résistance intérieure quand on est soi-même à l'extérieur n'est pas toujours aisé.

Il y faudrades tractations, de dangereux parachutages, comme celui de Jean Moulin, chargé en janvier 1942 d'organiser le Conseil nationalde la résistance. Si l'entreprise est délicate, elle est cependant de celles qui soulèveront le moins de difficultés.

Les réseaux communistes eux-mêmes finiront par reconnaître l'autorité de Charles de Gaulle en envoyant comme délégué à Londres Fernand Grenier. L'armée constituée sur le sol de l'Angleterre et qui combat sous le pavillon national (marqué d'une croix de Lorraine) va, elleaussi, grandir peu à peu.

De quelques centaines d'hommes en juin 1940, ses effectifs passeront à sept mille à la fin de l'année, àdouze mille en juillet 1941, à soixante-dix mille à l'été 1942. Le chef de la France libre Mais la situation étant ce qu'elle est, la lutte contre l'Allemagne s'identifie parfois à la lutte contre Vichy, et la lutte contre Vichyà une lutte contre des Français.

En mai 1941, en Syrie, de Gaulle doit prendre la responsabilité d'ordonner aux forces de laFrance libre de tirer contre l'armée que commande le général Dentz.

Ce que les vichystes ne lui pardonneront jamais. On peut penser cependant que ce n'est pas de gaieté de coeur que fut donné l'ordre de tirer.

Mais ce qui compte pour deGaulle c'est prouver la présence de la France aux côtés des Alliés, dans les batailles dans les victoires. Intransigeant parce qu'il représente la France, le chef de la France libre se doit de l'être d'autant plus que son dénuement esttotal.

" Je suis trop pauvre pour me courber ", dira-t-il à Winston Churchill. Incarnant un pouvoir qui n'est même pas reconnu, possédant une armée qui, malgré son courage, représente un potentieldérisoire au sein de la coalition, le général de Gaulle n'hésitera pas à menacer l'Angleterre de rompre les relations avec elle, et lesEtats-Unis de bombarder leurs bateaux s'ils semblent avoir des vues trop personnelles sur certaines colonies de la France. Au besoin, de Gaulle sait jouer habilement des rivalités entre les trois Grands.

Il se montre souvent des plus aimables avec M.Bogomolov, le représentant que Staline a envoyé auprès de lui après l'avoir...

retiré de Vichy, en juin 1941 ! Les Anglais, jalouxde s'assurer un monopole au Levant, voient-ils d'un mauvais oeil que les deux divisions de la France libre interviennent en Libye.De Gaulle propose aux Russes de les utiliser...

Et les Anglais n'ont plus qu'à venir solliciter ce qui leur était proposé et qu'ils. »

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