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De la réforme à la révolution

Publié le 22/02/2012

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9 novembre 1989 - " La question allemande reste ouverte aussi longtemps que la porte de Brandebourg est fermée ", disait il y a quelques mois Richard von Weizsäcker, président de la République fédérale. La porte de Brandebourg vient d'être ouverte sous la pression d'une foule calme et déterminée qui, depuis des jours, demandait inlassablement la possibilité de voyager librement, de faire trois petits tours à l'Ouest et de rentrer chez elle. Ouverte aussi sur une décision de la direction est-allemande, prise de vitesse par un mouvement qu'elle a tenté d'abord de canaliser et auquel elle a été obligée de céder, pas à pas, pour s'être, pendant quatre décennies, figée sur la certitude qu'en socialisme comme en tout les Allemands étaient les meilleurs. La porte de Brandebourg est ouverte, la question allemande n'est pas réglée pour autant, mais les données en ont été fondamentalement changées dans cette nuit du 9 au 10 novembre. Il était douteux que l'ébranlement provoqué en Europe de l'Est par la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev épargne la RDA. Mais, il y a quelques semaines encore, les dirigeants ouest-allemands se demandaient comment soutenir les forces réformatrices au sein du Parti communiste est-allemand, permettant une évolution progressive à Berlin-Est et un approfondissement des relations interallemandes sans effaroucher Moscou. C'était méconnaître le fossé infranchissable qui s'était installé entre un régime dirigé par de vieux staliniens, convaincus par les années de lutte contre Hitler qu'ils avaient toujours raison et que toute concession aux " ennemis du socialisme " se terminerait par la déconfiture complète du système. Mikhaïl Gorbatchev et ses conseillers pour les affaires allemandes faisaient une analyse diamétralement opposée pour eux, le refus des réformes en RDA ne pouvait qu'aboutir à une impasse, et avant même la démission d'Erich Honecker, ils craignaient déjà qu'il ne soit trop tard pour maintenir les changements dans les limites d'une aimable perestroïka. Entre les deux, une population est-allemande qui est passée directement du national-socialisme au stalinisme et n'a donc connu pendant cinquante-six ans que la dictature. Mais une population formée, éduquée, nourrie à la télévision ouest-allemande et donc mieux avertie des réalités occidentales que ses voisins d'Europe centrale. Ces Allemands ont trouvé dans les Eglises protestantes le lieu de leur liberté. La comparaison avec la Pologne est tentante, mais largement fallacieuse. L'Eglise polonaise a été un refuge pour la foi des Polonais et un bastion de la résistance à l'idéologie communiste. Les Eglises protestantes ont, en RDA, retrouvé leur vocation de la Réforme elles ont appris aux Allemands de l'Est, qui sont loin d'avoir tous la foi, à affirmer leur liberté individuelle et leur libre arbitre face à l'Etat, et elles leur ont donné le courage de ne plus avoir peur ni des autorités ni des interdits. En ce sens, la " révolution d'octobre 1989 ", comme on dit à Berlin-Est, a un fondement très allemand, que regardent avec une sympathie jalouse leurs compatriotes de l'Ouest. D'où la coloration vaguement idéaliste des revendications mises en avant par les mouvements d'opposition, le refus de Neues Forum de se transformer en parti politique pour rester une " initiative de citoyens " -comme il en fleurissait en RFA dans les années 70 à la suite de la révolte étudiante,-l'aspiration à un socialisme qui ne soit plus aux couleurs de la Prusse, mais démocratique, fraternel, solidaire... DANIEL VERNET Le Monde du 11 novembre 1989

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