Des réserves pour Juifs

Sans entrer ici dans le débat entre historiens « intentionnalistes », qui pensent qu'Hitler a toujours eu pour but d'exterminer les Juifs d'Europe, et historiens « fonctionnalistes », qui, eux penchent pour une explication plus empirique de la Shoah, il apparaît toutefois que le régime nazi imagine, dans un premier temps, de créer des réserves humaines, où viendraient s'entasser les populations juives. Un tel projet, dans l'esprit des dignitaires nazis, a plusieurs avantages. Il permet de séparer les populations juives des autres communautés, afin de rendre des régions entières « judenfrei » (débarrassées des juifs), d'en profiter pour faire main-basse sur les biens des Juifs, et, enfin, de faire en sorte, et à moindre frais, que ces populations, ainsi regroupées, meurent d'elles-mêmes, puisque privées de tout -eau courante, nourriture, vêtements, soins médicaux, etc.. Hitler imagine d'abord faire du Gouvernement général de Pologne, directement contrôlé par un SS, une vaste réserve, où seraient parqués, à terme, tous les Juifs d'Europe. Mais cette solution -nous sommes à la fin de l'année 1939- se heurte à des problèmes d'ordre pratique. L'Allemagne est alors en guerre sur plusieurs fronts, et juge dangereux de mobiliser des hommes et des infrastructures, plus nécessaires aux victoires militaires. De plus, il semble que le régime nazi se préoccupe encore à cette date des réactions de la communauté internationale. Berlin veut à tout prix éviter l'entrée en guerre des États-Unis, et pense encore pouvoir finir par amadouer la Grande Bretagne. C'est pourquoi le Reich imagine, durant l'été 1940, d'exiler les populations juives des pays qu'elle contrôle déjà vers une colonie française. La France vient de capituler, et Hitler songe à une vaste immigration vers Madagascar. Ce projet n'est pourtant pas réalisable, lui non plus. Les mers sont en grande partie contrôlées par la Royal Navy, et Londres a déjà montré qu'il ne ferait aucune concession à l'Allemagne. Hitler décide finalement de créer des ghettos, principalement en Pologne, où vivent 3,5 millions de Juifs. Plus question de réserve, donc, mais toujours de regroupement et de recensement de populations, des opérations qui vont faciliter, par la suite, leur déportation vers les camps de la mort.