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DIDEROT, De la poésie dramatique

Publié le 03/10/2010

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Si le peuple n'avait jamais eu qu'un genre de spectacle, plaisant et gai, et qu'on lui en proposât un autre, sérieux et touchant, sauriez-vous, mon ami, ce qu'il en penserait ? Je me trompe fort, ou les hommes de sens, après en avoir conçu la possibilité, ne manqueraient pas de dire : « A quoi bon ce genre ? La vie ne nous apporte-t-elle pas assez de peines réelles, sans qu'on nous en fasse encore d'imaginaires ? Pourquoi donner entrée à la tristesse jusque dans nos amusements ?« Ils parleraient comme des gens étrangers au plaisir de s'attendrir et de répandre des larmes. L'habitude nous captive. Un homme-a-t-il paru avec une étincelle de génie ? A-t-il produit quelque ouvrage ? D'abord il étonne et partage les esprits ; peu à peu il les réunit ; bientôt il est suivi d'une foule d'imitateurs ; les modèles se multiplient, on accumule les observations, on pose des règles, l'art naît, on fixe ses limites ; et l'on prononce que tout ce qui n'est pas compris dans l'enceinte étroite qu'on a tracée, est bizarre et mauvaise : ce sont les colonnes d'Hercule ; on n'ira point au-delà sans s'égarer. Mais rien ne prévaut contre le vrai. Le mauvais passe, malgré l'éloge de l'imbécilité ; et le bon reste, malgré l'indécision de l'ignorance et la clameur de l'envie. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que les hommes n'obtiennent justice que quand ils ne sont plus. Ce n'est qu'après qu'on a tourmenté leur vie, qu'on jette sur leurs tombeaux quelques fleurs inodores. Que faire donc ? Se reposer, ou subir une loi à laquelle de meilleurs que nous ont été soumis. Malheur à celui qui s'occupe, si son travail n'est pas la source de ses instants les plus doux, et s'il ne sait pas se contenter de peu de suffrages ! DIDEROT, De la poésie dramatique

  • RÉSUMÉ
   Si les gens assistaient pour la première fois à un spectacle triste, ils n'en verraient pas l'intérêt. Car nous sommes à tel point prisonniers de l'habitude que toute innovation artistique sombre dans l'académisme. Pourtant le beau finit toujours par l'emporter. Il faut donc que l'artiste soit patient et ne cherche de récompense que dans la joie de sors travail.  
  •  ANALYSE
   Diderot formule une supposition qui lui sert d'illustration à sa thèse : si des spectateurs habitués à la comédie voyaient un spectacle triste, ils ne comprendraient pas le plaisir qu'on peut y trouver.  Il énonce ensuite les raisons de ce phénomène : l'habitude finit par scléroser ce qui fut invention géniale.  Il constate que le temps est cependant bon juge.  Il en déduit l'attitude à prendre pour l'artiste : ou ne rien faire ou accepter de travailler malgré les critiques.   

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