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disserte

Publié le 09/01/2019

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Le sonnet, importé de la Renaissance italienne par Clément Marot, qu'il emprunte à Pétrarque et à son recueil Sonneti, marque la fin de la diversité poétique moyenâgeuse en devenant la forme noble par excellence, et avec lui se répandent des contraintes invariables.Bien avant cela les poètes latins s'efforçaient de construire leurs vers en hexamètres dactyliques, forme bien plus contraignante que l'alexandrin, puisqu'elle régit non pas le vers, mais tous les mots employés. Alors pourquoi, si les contraintes conditionnent l'expression du poète, invente t-on continuellement de nouvelles règles régissant le poème ? La contrainte, dans son sens large, est-elle nécessaire ou bien contraire à la création ? Autant de questions qu'il est légitime de se poser et auxquelles nous tenterons de trouver une réponse. Voyons ensemble comment la création poétique naît de la contrainte.Les règles de construction et de versification orientent l'oeuvre du poète. Il est indéniable que le poème se construit, dans une certaine mesure, à partir d'éléments propres à la contrainte qui ne peuvent être enlevés. Le poète, s'il se soumet à une certaine forme poétique, doit se plier à des exigences qui influenceront grandement le choix des termes et des tournures. En témoigne l'utilisation de figure de style comme l'anacoluthe ou l'hypallage, qui résultent de déplacements d'éléments, plus ou moins volontaires, ou du moins suggérés pour ne pas dire imposés. Des images formidables ou des tournures originales peuvent ainsi naître. A première vue cela devrait plutôt étouffer la créativité. Jules Laforgue, dans le poème intitulé Le Sanglot de la terre, respecte t-il la contrainte structurale du sonnet, ainsi que la règle de versification de l'alexandrin. Aussi, lorsqu'il écrit : « Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord,Me plonge en une extase infinie et m'endort »Peut-on comprendre le pronom « Moi » comme apposé à la proposition « le méandre bleu qui vers le ciel se tord ». On obtient ainsi une métaphore, et on peut se demander si cette disposition est consciente ou non, étant donné qu'elle convient parfaitement à la structure du sonnet. Les obligations formelles président donc à tous les choix lexicaux du poète. Mais ces obligations lui permettent aussi de mener à bien sa mission poétique. Le poète doit se soumettre à des contraintes esthétiques pour accéder au Beau. En effet, selon Rimbaud ( dans La lettre du voyant, 15 mai 1871 ) « le poète doit se faire voyant », c'est à dire qu'il doit se mettre en quête de la beauté absolue, pour la fixer dans l'éternité à travers l'écriture. Cette mission ne peut donc s'accomplir que par l'acte de création poétique, qui est conditionnée par des règles de style. Ces règles font partie intégrante de l'art poétique, ainsi Nicolas Boileau, présente la contrainte formelle comme une invention d'Apollon, dieu des arts. Cette seule origine divine suffit à la légitimer, et la contrainte semble donc indissociable de la poésie. Boileau énonce clairement celles qu'il qualifie de « rigoureuses lois » et proscrit, à travers un lexique presque juridique, ce qu'il appelle « la licence », c'est-à-dire la dérogation aux règles du sonnet. La dimension esthétique passe donc par l'observation de certaines règles stylistiques.La contrainte est aussi garante du travail du poète. En effet, chacun pourrait évaluer une oeuvre en fonction de la somme de travail qu'elle implique. De la même manière, le poète qui respecte des consignes contraignantes n'en tirera que du mérite, là où le poète guidé par son inspiration dans les plus extravagants essais. Ainsi nous pouvons comprendre les dérogations à la règle du sonnet de Blaise Cendrars, dans « Académie Medrano », comme une solution de facilité qui ne supposerait aucune réflexion au préalable. La contrainte est donc et en un certain sens une garantie de qualité du poème.Nous avons donc vu que la poésie ne peut se passer de contraintes, puisqu'elles font partie intégrante du processus de genèse du poème. Mais la poésie ne se définit pas par l'application de consignes littéraires. Elle s'inscrit dans une démarche bien plus personnelle. En effet, l'inspiration du poète donne à la fois son sens et son intérêt au poème. Faire de la poésie ne serait donc pas simplement « faire des phrases » ou « jongler avec les figures de style » mais bien transcrire une émotion, un sentiment ou un message qui habite le poète. La forme serait, non pas la fin, mais bien le moyen d'accéder à l'esthétique. Ainsi Joachim du Bellay exprime t-il dans Les Regrets son manque d'inspiration, symbolisée par la fuite des Muses. Cette incapacité, traduite par la reprise anaphorique de la conjonction interrogative « où », devient le thème central du poème. Du Bellay dit n'avoir « plus de souci de la postérité », et explique qu'il a en quelque sorte, écrit un poème sans inspiration, « cette divine ardeur », sans motivation autre que celle d'exprimer sa perte. Cette inspiration n'est pas forcément bridée par la contrainte stylistique. La création poétique ne passe pas obligatoirement par le respect des consignes: elle peut aussi naître du non-respect volontaire de ces dernières. C'est ce que défend Tristan Corbière lorsque, dans Les Amours jaunes, il pousse la soumission à la règle jusqu'à en faire le sujet central du poème. Il dresse donc la parodie d'une poésie paralisée de conventions. L'analogie faite entre poésie et défilé militaire dénonce ce qu'il appelle le « télégramme sacré », dont il délivre « la manière de s'en servir. » Il propose même de « régler son papier » ou de « prouver le sonnet » par une addition, et démontre par l'absurde qu'un poème n'est pas ou ne devrait pas être le fruit de conventions. Ainsi, Blaise Cendrars écrit-il un de ses sonnets dénaturés intitulé « Académie Medrano » où la forme du sonnet est méconnaissable. Cendrars débride son expression au point d'écrire les mots à l'envers, figure proche de l'anagramme, de jouer sur la typographie, la disposition paragraphique, et évidemment la grammaire et la syntaxe, au détriment du sens. Tout semble concourir à l’anéantissement de la contrainte. On peut donc constater que le poète peut ne pas tenir compte des règles qu'on lui impose, sans remise en question de l'appartenance ou non du texte au genre poétique. Aussi, cette tendance de rébellion face à la contrainte fixe se place dans un mouvement historique plus général. Enfin, nous pouvons constater sur une période de cinq siècles environ une évolution formelle de la poésie qui tend à se libérer des formes classiques. Avec Baudelaire apparaissent les poèmes en prose, mais vers le début du XIXe siècle, Apollinaire fera subire une bien étrange modification. Puis avec lui apparaîtra le vers libre, qui prétend ne subir aucune contrainte, puis les fameux Calligrammes qui révolutionnent la lecture de la poésie, puisque désormais même la typographie fait sens. La poésie française a donc suivi un mouvement de libération progressive des formes classiques. Mais bien qu'un grand nombre de poètes revendiquent une écriture « libérée », elle n'en est pas moins soumise à des contraintes. Le poète moderne rejette les anciens modèles pour se forger ses propres consignes. La poésie moderne se recréé constamment de nouvelles consignes. La contrainte étant inhérente à toute création, la poésie « libre » est en fait libre de choisir la règle qui la conditionne. Il fait même partie de la création poétique que de créer une contrainte, comme on créerait un nouveau langage. La contrainte est donc une constante de la poésie, mais elle évolue avec elle. Elle est même tellement constante, que les surréalistes n'y échappent pas. L'absence de contrainte est aussi une contrainte. Or, en plus de la contrainte physique, la contrainte formelle existe puisque le poète doit pour s'exprimer utiliser le langage, qui n'est au fond qu'un réseau de consignes. Plus simplement, le poète refusant la forme typographique ordinaire se soumet à une contrainte : trouver une manière originale de présenter son écrit. La contrainte est donc omniprésente dans la communication, et donc dans la littérature. Et heureusement, car son absence ne permet pas la création. Mais parfois, la contrainte ou l'absence volontaire de toute contrainte peuvent se révéler tout à fait stérilisantes. En effet, la contrainte joue sur le possible et l'interdit. Il s'agit d'harmoniser « artistiquement » les deux tendances pour éviter et l'anarchie stérile de la liberté totale et la rigidité aride de la loi tyrannique. La règle des palindromes, par exemple, voulant que la phrase crée se lise à la fois à l'endroit et à l'envers, est telle que le poète, s'il a le choix, ne choisit pas les mots en fonction de leurs sens, mais bien de leurs orthographes. De l'autre, les surréalistes condamnent leur créativité au profit de l'expérience artistique. Le récit de rêve, par exemple, ne laisse aucune dimension liberté créative au poète. Dans les deux cas, la règle et l'absence de règle neutralisent la créativité du poète, et font perdre toute sa dimension artistique (dans l'engagement dans le monde, de pouvoir subversif et contestataire), au profit du ludique ou de l'expérimental.

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