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Est-On Maître De Soi ?

Publié le 05/12/2010

Extrait du document

1) Les termes du sujet 

 

- maître : personne qui exerce une domination, une fonction de direction; celui qui possède une chose. 

 

- soi : pronom réfléchi de la 3e personne; ce que chacun est pour lui-même; la conscience de soi. 

 

2) Le sens du sujet 

 

- Qu’est-ce qu’exercer une domination et un pouvoir sur la conscience de soi, sur ce que chacun est pour lui-même, et ce par la médiation de cette même conscience de soi? 

 

3) La problématique 

 

- Comment conduire une vie, une existence, alors que tant de menaces pèsent sur le sujet, que tant d’angoisses l’écrasent, de la terreur de la mort et du temps jusqu’aux troubles issus des passions ? Comment assurer le salut de l’âme et échapper aux puissances de dislocation ? Comment donc avoir un pouvoir sur soi, constituer un sujet autonome, un gouvernement de soi-même permettant de se construire, de s’inscrire dans le temps, d’édifier une durée psychique résistant aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort ? 

 

- Le problème est de savoir si le déploiement d’une force et d’un dispositif stratégique (notion de pouvoir) peut s’appliquer au sujet lui-même. Le pouvoir, d’essence sociale, peut-il concerner le sujet ? 

 

- L’enjeu est évident : le sujet engage toute la pratique de notre vie, la maîtrise de soi formant le noyau essentiel de notre vie. Comment se conserver soi-même et maintenir sa propre existence, comment trouver une règle de conduite, une et harmonieuse ? Il en va de notre liberté et de notre bonheur. 

 

4) Choix du plan 

 

- Plan progressif qui procédera par déploiement et analyse de plus en plus fouillée de la notion de maîtrise de soi. Nous donnerons ici les idées principales qui auraient pu servir au développement. 

 

I) Être maître de soi, c’est se connaître et savoir ce que nous sommes 

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- Que signifie, en premier lieu, l’exercice d’un pouvoir sur soi, sur le sujet ? Que représente, en première approche, cet effort de l’homme pour se faire lui-même que désignerait la maîtrise de soi ? A côté de la maîtrise sur les choses (par la technique, le travail, par exemple), du pouvoir politique (l’Etat, le gouvernement) et social (le pouvoir des classes sociales, des groupes, etc.), on peut parler, en effet, d’un pouvoir sur soi : pour se gouverner soi-même, se maîtriser, trouver une règle de conduite harmonieuse et résister aux forces de dislocation (les troubles passionnels, l’angoisse de la mort, l’usure du temps, etc.), il convient d’abord de se connaître, c’est-à-dire de savoir qui nous sommes et ce que nous sommes. 

 

A) La non maîtrise de soi : l’exemple des passions 

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- Qu’est-ce que maîtriser un processus quel qu’il soit ? C’est organiser une stratégie vitale pour soumettre à une force ce processus. Or, qu’est-ce que le soi, dans la question “qu’est-ce qu’être maître de soi” ? On entend par là le sujet lui-même, la conscience du sujet. Ce sujet exige une maîtrise ou un pouvoir, c’est-à-dire l’exercice d’une force. Mais pour quelle raison ? Que serait ce “soi”, s’il n’était pas maîtrisé ? Il serait perdu dans le chaos ou le vide, dans l’écoulement incessant du temps, des pulsions, des désirs ou des passions. Si je n’agis pas sur le “soi”, alors je me perds moi-même, je m’égare : la non maîtrise de soi représente la forme même de l’aliénation, de l’esclavage, de l’intempérance, de l’homme esclave de lui-même et du monde (voir le discours de Calliclès donné en devoir et la figure de l’intempérance que Platon décrit et compare volontiers à un tonneau percé; voir également la première partie du cours sur le désir). L’intempérance consiste, pour le soi, à se laisser emporter dans un flux et un flot irrationnels, à vivre passivement, à être possédé par des forces qui aveuglent et produisent désordre et incohérence. 

 

- Ainsi, pour toute la tradition antique et classique, les passions désignent-elles tous les phénomènes passifs de l’âme, c’est-à-dire tout ce qui est subi par l’individu, échappe à sa volonté et à sa raison. Dans cette perspective, la passivité n’est - elle pas la marque première de l’esclavage et de la non maîtrise de soi ? La passion renvoie à la servitude que peut entraîner le désir; elle est ce qui enchaîne l’homme à un objet; le désir ne s’accomplit pas, il se fixe ou se pervertit : Harpagon aime l’or, il accumule ce métal qui n’est qu’un signe ou un intermédiaire; le désir d”Harpagon, au lieu de se porter sur le plaisir lui-même, s’arrête sur ce qui n’en est que le signe. Le désir est ainsi perverti, détourné de son but. Le passionné poursuit un but qu’en réalité il n’a pas choisi. Il est en effet incapable d’en rendre raison : le pouvoir, l’argent, le jeu s’imposent comme des absolus dont il est inadmisssible de rendre raison. Seul le froid raisonneur peut justifier le bien-fondé du but qu’il poursuit. Celui qui ne sait pas pourquoi il agit a toutes les chances d’être en réalité contraint par des causes qui lui échappent : ce n’est que dans la mesure où les motifs de mon action sont conscients que je sais pourquoi j’agis, que je suis l’auteur de mon acte. Dans le cas contraire, je suis déterminé; je ne me détermine pas : les circonstances choisissent à ma place. 

 

B) Connaître ses passions pour les maîtriser et avoir un pouvoir sur soi 

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- L’ignorance ou la méconnaissance de soi sont, dès lors, les premières causes de la non maîtrise de soi, de l’intempérance, de l’aveuglement et de l’esclavage. C’est dire que la connaissance constitue un véritable pouvoir et qu’elle est la condition sine qua non de la liberté, de l’autonomie, voire du bonheur. En effet, qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce pas d’abord se saisir, se connaître, appréhender ses passions, mesurer leur impact et leur sens, les interpréter, les comprendre ? Si l’on entend par connaissance, la fonction ayant pour effet de rendre un objet présent aux sens et à l’intelligence, elle constitue un authentique pouvoir, c’est-à-dire une capacité de faire triompher la volonté et d’atteindre un but, une possibilité effective de faire quelque chose, une faculté d’action et d’affirmation de soi (en ce sens, le pouvoir est synonyme de puissance, à condition de ne pas réduire cette dernière à la seule puissance physique). Connaître revient donc à agir, maîtriser, dominer, voire posséder, ce qui est de l’ordre de l’inconnu, de l’irrationnel; c’est véritablement aller de l’opaque au transparent. 

 

- Ici la philosophie spinoziste des passions et du désir pouvait servir de fil directeur. Nous développerons ici exceptionnellement cette partie pour faire un rappel sur la philosophie de Spinoza et reprendre un certain nombre de points qui avaient été abordés dans le cours sur le désir. 

 

- En effet, une passion cesse d’être une passion quand nous en formons une idée claire et distincte. Etre maître de soi consiste à se connaître de mieux en mieux, à forger des idées adéquates du soi, à interpréter le sens de nos conduites, de sorte que l’interprétation est d’abord connaissance. Le but de Spinoza est de rechercher un bien absolu, éternel, infini. Apprendre à penser doit nous permettre de trouver le souverain Bien, un bien véritable qui puisse se communiquer et donner les suprême contentement ou “béatitude” : ce bien, c’est la vie selon la raison, qui nous sauve du trouble des passions. La vie de l’homme dépend de la nature de sa connaissance. Sa servitude est due à l’infirmité de sa conscience, à ses erreurs dans la connaissance de ses rapports avec le tout. La connaissance vraie est salvatrice : la libération de l’homme est due à une purification de l’entendement, rendant possible son accès à la connaissance vraie et au bonheur. Voir, à ce sujet, dans le cours sur le désir, la distinction qu’établit Spinoza entre les trois genres de connaissance. C’est la connaissance qui détermine notre mode d’existence et, notamment, la qualité de nos sentiments : la connaissance du second et du troisième genre est le principe de nos vertus, conduisent à une régénération de l’être, et lui assurent puissance et liberté. 

 

- Nos sentiments sont des passions lorsqu’ils ont leur source dans la connaissance du premier genre, c’est-à-dire dans des idées confuses, mutilées, partielles ou inadéquates. Ce sont des actions lorsqu’ils expriment le dynamisme de nos idées adéquates, lesquelles procèdent de la connaissance du deuxième et troisième genre. La passion est ainsi ce que nous éprouvons quand nous ne sommes pas la cause de nous-mêmes, lorsqu’une activité étrangère à notre nature limite notre propre activité, lorsque nous sommes déterminés par des causes extérieures. Ces passions s’expliquent par des causes naturelles, par la finitude de notre être lorsque celui-ci est inconscient de lui-même. Spinoza pense néanmoins que nous ne sommes pas condamnés aux passions, que nous pouvons récupérer et même augmenter les puissances de notre être grâce au développement de notre pouvoir de comprendre. Nous pourrions en quelque sorte nous affranchir de la servitude des passions, dans la mesure où nous parviendrions à passer du plan de l’imagination au plan de la connaissance vraie. Si l’homme pouvait comprendre la nature et les causes de ses passions, cette compréhension le délivrerait de ce qu’il croyait être le principe de sa liberté. Notre pouvoir de comprendre constitue le meilleur remède contre les passions et qui nous permet de passer du régime de la passion au régime de la vertu. 

 

- Lorsque nous connaissons nos sentiments clairement et distinctement, lorsque les idées que nous nous en faisons sont des idées totales et totalisantes, nous trouvons une satisfaction absolue dans le vrai et sommes ainsi délivrés des passions. Lorsque nous comprenons nos passions, lorsque nous intégrons l’objet de notre passion dans tout un système de choses, où il perd son individualité et son prestige, nous nous libérons, en même temps, de son pouvoir fascinant. En faisant de notre affectivité l’objet d’une connaissance vraie, la joie apaise les tourments qui peuvent en résulter. La vertu est intelligence et l’intelligence est liberté qui est la nécessité comprise. Les passions se transforment ainsi en actions grâce à la connaissance vraie. 

 

- La connaissance vraie nous sauve en nous unissant à nous - même et à autrui. Elle nous unit d’abord à nous-même car la vertu est d’abord amour de soi. L’égoïste ne s’aime pas vraiment, car ce qu’il aime c’est son esclavage et non pas ce qu’il est authentiquement. Si les orgueilleux et les vaniteux délirent, c’est qu’ils aiment les bonnes opinions que les autres pourraient se faire d’eux et non pas leurs qualités réelles. L’envieux se méprise en réalité, car, autrement, les qualités d’autrui et les succès qui en résultent ne le feraient pas souffrir et il n’aurait pas l’envie d’être à la place de l’autre. L’homme conduit par la raison s’aime authentiquement, car il aime ce qu’il a de positif en lui-même. La connaissance nous unit également aux autres. Rien ne nous est plus utile que le commerce avec les autres hommes. Les hommes, unis par la raison, forment une seule communauté dont la seule loi est la générosité, “désir par lequel chacun s’efforce d’après le seul commandement de la raison d’aider les autres hommes et de se lier avec eux d’amitié”. 

 

- Dès lors, la raison ne réclame rien contre la raison et ne réclame rien qui soit en opposition avec elle. Elle est aussi un effort vers la vie, vers une vie authentique, effort pour s’aimer plus efficacement. La vertu n’est pas renoncement et fuite du monde. Il n’y a pas d’au-delà; c’est ici-bas, dans ce monde, que se joue le problème de notre destinée, de notre bonheur et de notre malheur. La sagesse exige certes un effort de purification et de réforme de soi-même, mais il s’agit d’une réforme de notre mode de connaître, rendant possible la transmutation du regard que nous jetons sur un monde qui reste toujours le même. D’où l’hostilité de Spinoza vis-à-vis de l’ascétisme qui nous interdit de prendre plaisir. C’est le propre d’un homme sage d’user des plaisirs autant qu’il peut. La santé et l’épanouissement du corps sont une des conditions nécessaires au développement de notre pouvoir de compréhension. L’homme vertueux cherche d’abord et avant tout son utilité propre. Est utile à l’homme, ce qui satisfait l’effort même de la raison, l’effort pour comprendre, ce qui permet d’accroître son intelligence. 

 

- De même, comme le pensaient déjà les stoïciens, étant donné que nous ne pouvons avoir le pouvoir absolu sur les choses extérieures, il en résulte que lorsque des événements défavorables nous arrivent, à condition que nous en comprenions la nécessité, nous les supporterons, après avoir fait le nécessaire pour y échapper. Le sage est celui qui sait que l’homme n’est qu’une partie de la nature et que la puissance de l’homme est limitée. Par le fait qu’il comprend cela, il saisit l’intelligibilité et la nécessité d’un nombre de plus en plus grand de choses et il trouve une satisfaction absolue dans le vrai. L’homme qui comprend ne peut désirer que ce qui est nécessaire et trouve son bonheur dans un accord de son intelligence avec l’ordre de la nature. Il ne s’agit pas d’une morale de résignation, mais d’une morale d’affirmation de soi. En somme, notre liberté et notre bonheur dépendent uniquement de la qualité de nos connaissances. Dans la mesure où comprenons les choses, le déploiement de notre intelligence compense les inconvénients qui peuvent résulter du déterminisme des choses. 

 

- On pouvait aussi évoquer la psychanalyse freudienne qui fait de la connaissance un véritable instrument de pouvoir sur soi et de liberté (cf. Cours sur la conscience et l’inconscient). 

 

Transition : Si la connaissance apparaît comme action et pouvoir sur soi qui nous libère de la servitude des passions et permet au sujet d’exercer un gouvernement sur lui-même, la théorie et la spéculation sont-elles néanmoins suffisantes ? Sans doute puis-je me connaître et interpréter mes passions ou désirs, sans nécessairement être maître de moi. La connaissance n’est peut-être pas, malgré ce que nous venons d’établir, un pouvoir et un exercice actif. L’entendement, la raison ne sont pas les seuls à être concernés. Comment cela est-il possible ? Quelles seraient alors les autres formes et conditions de la maîtrise de soi ? La question centrale : “qu’est-ce qu’être maître de soi ?”, subsiste par conséquent et nous invite à envisager une définition plus riche, plus complexe du pouvoir sur soi. 

 

II) Etre maître de soi, c’est atteindre l’ataraxie 

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- D’où une deuxième définition de la maîtrise de soi que nous fournit la tradition philosophique : la maîtrise de soi ne consiste pas uniquement dans la connaissance de soi; elle signifie également un pouvoir de la volonté. Si l’intelligence et l’intellect sont insuffisants, ne faut-il pas que la volonté, entendue soit comme qualité du caractère caractérisée pas la fermeté dans la décision, la constance (faire preuve de volonté), soit la disposition morale à choisir le bien ou à agir conformément à la loi morale (Kant), soit prise en compte dans la maîtrise de soi ? C’est ce qu’ont réalisé les stoïciens notamment, qui ont considéré que l’entendement était puissant, mais que la volonté devait aussi intervenir. 

 

A) La maîtrise de soi comme thérapie 

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- Les grands philosophes de l’antiquité, les épicuriens et les stoïciens surtout, nous enseignent que la capacité de se maîtriser s’avère vitale ; elle possède une fonction thérapeutique. Notre équilibre intérieur se trouve, en effet, à la merci de tant d’ennemis intérieurs (angoisse, insécurité, peur des dieux et de la mort, etc.), ce que souligne Epicure dans La lettre à Ménécée. IL faut triompher de ces derniers et, pour survivre et être heureux, acquérir la paix spirituelle ou ataraxie. Le pouvoir sur soi se confond avec une maîtrise des forces obscures qui nous menacent. La philosophie épicurienne désigne une thérapie de l’âme, à travers une domination spirituelle dissolvant les puissances qui pourraient dérégler notre unité psychique. 

 

- Comme dans la partie précédente, rappel des grandes lignes de la morale épicurienne telle qu’elle est exposée dans La lettre à Ménécée (voir cours sur le désir). Selon Epicure, le rôle de la philosophie consiste à savoir rechercher d’une manière raisonnable le plaisir (hédonisme), c’est-à-dire en fait à rechercher le seul plaisir véritable, le pur plaisir d’exister. Car tout le malheur des hommes vient de ce qu’ils ignorent le véritable plaisir. Recherchant tous le plaisir, ils ne peuvent l’atteindre, parce qu’ils ne peuvent se satisfaire de ce qu’ils ont, ou parce qu’ils recherchent ce qui est hors de leur portée, ou parce qu’ils gâchent ce plaisir en craignant sans cesse de le perdre. La souffrance des hommes vient pour ainsi dire de leurs âmes, de leurs opinions vides. D’où la mission essentiellement thérapeutique de la philosophie : soigner la maladie de l’âme et apprendre à l’homme à vivre le plaisir. 

 

- L’éthique épicurienne propose une définition du véritable plaisir et une ascèse des désirs: l’homme, en supprimant l’état d’insatisfaction qui l’absorbe dans la recherche d’un objet particulier, est libre de pouvoir prendre conscience de quelque chose d’extraordinaire, le plaisir de son existence. Cet état de plaisir stable et d’équilibre correspond à un état de tranquillité de l’âme et d’absence de trouble. La méthode pour atteindre à ce plaisir stable consiste dans une ascèse des désirs. Si les hommes sont malheureux, c’est qu’ils sont torturés par des désirs immenses et creux, la richesse, la luxure, la domination. L’ascèse des désirs se fondera sur la distinction entre les désirs naturels et nécessaires , les désirs naturels et non nécessaires, les désirs vides, ceux qui sont ni naturels, ni nécessaires. Epicure prend comme critère la nature qui par elle-même admet ordre et mesure. Le philosophe restitue au corps sa place dans l’ordre de la nature en reconnaissant que ses exigences sont saines, modérées et vitales. Le désordre vient de certaines représentations de l’âme, de certains désirs. Revoir la distinction qu’établit Epicure entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels et non nécessaires , désirs non naturels et non nécessaires . 

 

- L’ascèse des désirs va consister à les limiter, en supprimant les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires. Quelle est la genèse de ces désirs ? Leur origine ? de vaines opinions, du vide. Leur objet ? du vide également. Leur processus ? infini. C’est e fait la crainte de la mort qui est finalement à la base de toutes les passions qui rendent les hommes malheureux. En effet, la peur du néant se convertit ici-bas en peur de manquer; celle-ci suscite des désirs multiples portant sur des biens palpables ou immédiats; ces désirs à leur tour en créent d’autres et l’homme, constamment à la recherche d’un plaisir supérieur ou nouveau, gâche sa vie en se privant du contentement. Ce sont les opinions fausses sur la mort qui engendrent cette quête anxieuse d’un bien terrestre immédiat. Nos passions dérivent toutes du refoulement de l’effigie menaçante de la mort et de la réalisation imaginaire du désir d’immortalité. La connaissance du mouvement naturel de la vie et de la mort dédramatise la mort et détruit les mythes de l’immortalité. La connaissance est ainsi une arme contre l’investissement de l’homme dans des désirs vides et vains. Le vulgaire comble le vide du néant qu’il redoute par le vide de ses désirs indéfinis; l’homme sage substitue au vide des fantasmes démasqués le plein des jouissances de la vie; c’est la fonction réflexive de l’esprit qui produit ce changement bénéfique. 

 

- En somme, pour parvenir à la guérison de l’âme, il faut s’exercer continuellement, méditer, c’est-à-dire s’assimiler intimement les dogmes fondamentaux, notamment le quadruple remède : “Les dieux ne sont pas à craindre, la mort n’est pas à redouter, le bien facile à acquérir, le mal facile à supporter”. Il faut pratiquer la discipline des désirs, savoir se contenter de ce qui est facile à atteindre, de ce qui satisfait les besoins fondamentaux de l’être, et renoncer à ce qui est superflu : se contenter de mets simples, de vêtements simples, renoncer aux richesses, aux honneurs, aux charges publiques, vivre retiré. Détente, sérénité, art de jouir des plaisirs de l’âme et des plaisirs stables du corps. Mais ces méditations ne peuvent être pratiquées dans la solitude : l’amitié est le chemin privilégié pour parvenir à la transformation de soi-même. Plaisir donc de la connaissance; plaisir suprême de contempler l’infinité de l’univers et la majesté des dieux; plaisir de la discussion et de l’amitié; plaisir d’une vie en commun; plaisir en fin de prendre conscience de ce qu’il y a de merveilleux dans l’univers dans l’existence. Savoir maîtriser sa pensée pour se représenter de préférence les choses agréables, ressusciter le souvenir des plaisirs du passé et jouir des plaisirs du présent, vivre dans une gratitude envers la nature. La méditation de la mort sert enfin à éveiller dans l’âme une immense gratitude pour le don merveilleux de l’existence. 

 

- Au total, la maîtrise de soi s’acquiert par la connaissance de la nature, connaissance qui a pour fin la sagesse, conçue comme un art de vivre; l’équilibre du corps et la sérénité de l’âme procurent au sage le plaisir souverain. Celui qui l’atteint ne connaît ni espoir ni crainte; il jouit d’un présent serein habité par le dynamisme joyeux de la vie. Régler donc l’usage du désir pour atteindre le bonheur. 

 

B) “La citadelle intérieure” (Pierre Hadot) 

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- Reprenons la problématique : qu’est-ce qu’être “maître de soi“, alors que tant d’angoisses écrasent le sujet, des troubles issus des passions jusqu’à la terreur de la mort ? Comment assurer le salut de l’âme ? Qu’est-ce que se conserver soi-même et maintenir le sujet, le soi, ferme et solide ? Ne faut-il pas se gouverner soi-même ? 

 

- Le stoïcisme dévoile la même intention que l’épicurisme : le même voeu de pacification et de pérennité spirituelle. La découverte du pouvoir que nous détenons de juger librement nous sauve et se révèle principe de vraie vie, de vie maîtrisée, ordonnée, unifiée, récupérant et dominant les forces de dispersion et d’aliénation. Comment survivre pleinement, sinon, par l’entendement et la volonté, construire à notre usage une “citadelle intérieure”, nous permettant de répondre à toutes les menaces de dislocation, quelles que soient les circonstances ? Si l’essentiel est de conserver sa liberté sur le trône comme dans les chaînes, c’est parce que cette indépendance s’avère condition même de notre survie authentique. En nous préservant dans notre liberté, nous nous sauvons et construisons cette “citadelle intérieure” : “Passer sa vie de la meilleure manière ; le pouvoir de le faire réside dans l’âme”. 

 

- Distinguons donc, nous dit Epictète dans ses Entretiens, ce qui dépend de nous (tout le domaine de nos opinions, pensées, jugements, représentations, volonté, désirs, aversions) et ce qui n’en dépend pas ( le corps, la beauté, la santé, la richesse, les honneurs…). Ce qui dépend de moi, c’est ce qui m’appartient réellement et qui, de ce fait, est vraiment moi, ce qui est ma propriété et sur quoi je peux agir immédiatement, ma faculté de penser les choses et de les vouloir, mon jugement. Ce qui ne dépend pas de moi, c’est ce qui ne m’appartient pas mais dépend toujours de circonstances extérieures situées au-delà de ma sphère d’activité : comme elles ne sont pas en mon pouvoir, ces choses me sont étrangères. Hors de moi, rien ne peut être bon ni mauvais, ni utile, ni nuisible. Tout est indifférent. 

 

- La tâche du sage est de bien faire la différence entre ces deux domaines, dessinant ainsi le périmètre de sa liberté et de son action : il faut s’attacher à transformer son rapport aux choses plutôt que les choses elles-mêmes (“changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde”, dira Descartes) qui nous échappent toujours à certains égards. Le sage est celui qui vit selon la raison et qui est exempt de passion; il est sans orgueil, sincère et pieux. Il règle ses désirs sur ce qui dépend de lui. Le souverain Bien est l’accord de la volonté et de la raison. Il s’agit de maîtriser des désirs qui entraînent à rechercher les “faux biens”, qui sont des biens incertains. Tout le travail de la morale porte sur nos idées : se maîtriser consiste à opérer un travail sur soi authentique. Il faut réfléchir à la relativité des valeurs, et nous convaincre que c’est nous qui décidons du bien et du mal de ce qui nous arrive. On peut ainsi résister aux outrages. Le sage éprouve les affections humaines, comme l’amour et l’amitié, mais pas au point d’en être l’esclave, ni de croire qu’elles sont immortelles. Le sage sait compatir aux douleurs d’autrui mais s’efforce de ne pas lui-même être malheureux. Cette maîtrise du désir ne peut se faire que progressivement. Il faut s’exercer à agir en tout avec modération : “on devient philosophe comme on devient athlète”. Ce travail sur soi-même est ardu car il faut affronter le mépris de ceux qui s’attachent aux biens incertains. C’est pourquoi le sage n’est jamais surpris par ce qui arrive, même par la mort. C’est celui qui supporte tout avec courage. 

 

- La volonté privilégiera ainsi le domaine du jugement libre. D’où la maîtrise de soi et la domination spirituelle. Ainsi gagnons-nous l’apathie, l’ataraxie, l’indifférence spirituelle, savoir la liberté et le bonheur. 

 

Transition : Etre maître de soi participe de toutes les forces de l’âme, de l’être, de l’entendement et de la volonté. Comment, pour l’épicurisme et le stoïcisme, vivre humainement et heureux ? Par le pouvoir sur soi, à savoir cette puissance d’accéder à des règles de pensée et d’action créant un sujet autonome. Ici se dessinent une sagesse, une maîtrise de soi permettant d’échapper à la dissolution qui nous menace. Cette maîtrise conditionne et autorise la survie du sujet. Sans action de soi sur soi, comment dépasser le stade de l’animal et de la servitude, comment se réaliser en tant qu’homme? Il nous reste toutefois à cerner encore davantage le noyau de la maîtrise de soi pour arriver à une ultime définition du pouvoir sur soi, acception qui sera la plus riche et qui nous fera saisir toute la plénitude de notre sujet. 

 

III) Etre maître de soi, c’est mépriser la mort 

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- Nous aboutissons à une troisième définition possible du pouvoir sur soi. Qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce pas, en profondeur, mépriser et dédaigner la mort, comme nous l’indiquent les grands sages et moralistes, de Platon à Hegel ? Le mépris de la mort ne forme-t-il pas le noyau de toute maîtrise de soi, si la mort, comme le souligne Hegel, semble être notre plus grand ennemi et l’objet de nos angoisses les plus vives ? Vaincre la peur de la mort, n‘est-ce pas, d’une certaine façon, s’approprier toutes les peurs et inquiétudes, et accéder à la liberté et au bonheur absolus ? On pouvait donc ici mobiliser le cours sur la mort et l’existence, notamment le corrigé de la dissertation donné au DS n° 1 : “faut-il redouter la mort ?” D’où la nécessité de bien apprendre le cours et de lire attentivement les corrigés des devoirs. 

 

A) La maîtrise de la mort comme maîtrise spirituelle 

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- Soulignons, avec Hegel, le rôle primordial que joue le rapport à la mort dans la genèse de la maîtrise/servitude. C’est par le tête-à-tête avec la mort que l’homme se constitue comme maître, comme Sage, comme Esprit se retrouvant soi-même : “C’est la mort qui fait progresser l’homme jusqu’à sa destinée finale, qui est celle du Sage pleinement conscient de soi, et donc conscient de sa propre finitude. Ainsi l’homme n’arrive pas à la Sagesse où à la plénitude de la conscience de soi, tant qu’à la suite du vulgaire il feint d’ignorer la Négativité qui est au fond même de son existence humaine, et qui se manifeste en lui et à lui non pas seulement comme lutte et travail, mais encore comme mort et finitude absolue” (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel). 

 

- Le pouvoir apparaît ainsi, dans son essence, comme un rapport de domination de l’homme sur l’homme : il s’agit d’une domination spirituelle, quand la mort, domptée et assumée, se fait chemin de la reconnaissance . Dans La phénoménologie de l’esprit, le pouvoir est perçu comme “maîtrise-servitude”, “maîtrise-obéissance”, relation inégalitaire entre deux consciences (cf. Texte de Hegel sur la dialectique du maître et de l’esclave étudié dans le cours sur autrui). Deux consciences s’affrontent en une lutte à mort. La reconnaissance par l’autre s’effectue sous la forme du défi ou du combat. Or, l’un des individus (l’esclave), glacé et pénétré par l’angoisse de la mort, refuse de s’élever au-dessus de la vie naturelle en risquant sa vie et ne peut que reconnaître la supériorité de l’autre conscience (le maître), qui risque tout et mesure ainsi sa grandeur. Le pouvoir s’engendre par la lutte à mort des consciences de soi opposées. Les hommes, en effet, sont mus par l’impérieux désir de se faire reconnaître dans leur valeur souveraine. Où l’on voit que la genèse du pouvoir sur l’autre se manifeste à travers un pouvoir sur soi-même : l’intériorisation, par un sujet, de sa mort, acceptée, assumée, dépassée. Le pouvoir sur autrui s’avère alors inséparable de la domination spirituelle, conçue comme renoncement à la vie naturelle. La mort méprisée et domptée, dominée et vaincue, peut fonder le pouvoir social. 

 

- Etre maître de soi, c’est donc contempler la mort, mettre à distance l’angoisse, dédaigner la simple existence biologique, accepter éventuellement de renoncer à la vie. Le maître, comme nous venons de le voir, est celui qui accepte de renoncer à l’existence immédiate et qui accède par là à l’esprit. L’homme n’est pas une simple espèce biologique, il est esprit méprisant la simple identité de vivant. Etre maître de soi, c’est accéder au spirituel. 

 

- Mais ne peut-on pas mépriser la mort, la dominer, autrement que par la lutte de la reconnaissance et par le sacrifice de la vie ? 

 

B) Etre maître de soi, c’est réapprendre le sens de la mort 

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- Nous utiliserons ici un certain nombre de références qui ont été développées dans le cours sur la mort, afin de rafraîchir la mémoire. 

 

- Reprenons ce que dit Epicure, lequel dessine une riche figure de la maîtrise de soi à travers la démystification du pouvoir de la mort : se gouverner authentiquement, accéder à une existence libre et épanouie revient à jouir pleinement de l’existence en conjurant les fantômes de notre imagination et de nos angoisses les plus irrationnelles. En effet, notre malheur, notre esclavage n’ont-ils pas leur source en nous-mêmes ? Etre maître de soi, c’est donc prendre conscience que tout est affaire de perspectives intellectuelles et affectives, que la signification des choses du monde est produite par le sujet et non pas imposée à lui. Tout part du sujet et va vers les choses, même la souffrance morale . Le bonheur ressortit donc à notre pouvoir créateur, notre liberté créatrice qu’exprime le renversement du regard sur le monde et les êtres. 

 

- Ainsi la mort n’est - elle pas un mal et ne faut - il pas la craindre, car elle est dissolution totale de l’être, de l’âme comme du corps. Selon Epicure, la mort n’est rien pour nous, elle ne doit pas nous faire renoncer au bonheur, puisque la crainte de la mort est absurde. C’est l’imagination qui nous abuse quand nous redoutons d’avoir à “vivre la mort”; l’imaginaire de la mort nous effraie (les images de la mort : danse macabre, squelette armé de la faux), non la mort elle-même. Si la mort est un fait qui ne dépend pas de nous, l’idée de la mort, elle, dépend de nous. Si nous sommes convaincus que la mort est la fin de tout, nous n’aurons ni à redouter ni à espérer une autre vie. Cette vie est alors la seule qui puisse nous apporter le bonheur, pourvu qu’elle soit sereine face à la mort. 

 

- De même, pour Montaigne dans les Essais, il faut dédramatiser la mort, en réinscrivant cette dernière dans la continuité de la vie, vie individuelle et naturelle. La crainte de la mort est ce qui la rend horrible; une excessive préparation à la mort est plus pénible que la mort elle-même. Montaigne fait cependant remarquer que c’est la mort qui donne son prix à la vie : la valeur d’une vie ne réside pas dans sa durée mais dans l’usage qu’on en fait. Chacun est seul face à sa mort, la mort n’est que l’expérience solitaire de notre unicité. Tout le sens de la mort d’un individu vient de sa vie. Réfléchir sur la mort, c’est donc apprendre à retrouver le chemin de nos existences singulières. 

 

- Mais comment s’exercer à la mort ? Il serait possible, selon Montaigne, d’approcher la mort dans certaines expériences limites et réaliser ainsi sa douceur, sa proximité peu dramatique à l’assoupissement. La mort n’est pas cet au-delà ni même ce point hors sensation d’Epicure, mais plutôt ce temps d’arrachement à soi où l’on se sent défaillir. Il existe, dans la vie, un échappement à soi susceptible d’un “après” et d’un souvenir : la perte de conscience. Montaigne relate un spectaculaire accident de cheval qui va lui assurer une expérimentation concrète des approches de la mort : évanoui, entre la veille et le sommeil, entre la vie et le mort, Montaigne ressent cet intervalle comme très agréable. Cet état de bien-être, où l’organisme s’abandonne à l’inconscience, Montaigne pense qu’il correspond à l’expérience des agonisants. Il y aurait donc un plaisir de l’affaibli qui correspondrait à un désir de retour vers l’inanimé : loin de ressembler à une lutte pour la vie, le fait de se laisser partir est la chose la plus naturelle; alors que la vie prend souvent l’allure d’un combat, d’un mouvement pénible contre les obstacles, le vivant cesse de résister à sa propre destruction en mobilisant de l’énergie, cesse de désirer et retombe dans la matière inerte. 

 

- En somme, selon Montaigne, la mort n’est pas une séparation douloureuse; elle n’est un combat, une résistance que pour le spectateur extérieur, alors que, pour l’agonisant, la vie semble déjà extérieure. Fermer les yeux, perdre la vie, c’est d’abord se libérer de la conscience, du souci. 

 

- Dès lors, on peut aimer la vie, tout en la quittant sans regret, comme si aimer la vie conduisait déjà à comprendre la mort, à refuser de demander à l’existence plus qu’elle ne donne, à apprécier jusqu’à son risque et son caractère éphémère : qui aime la vie du jour prend plaisir à s’endormir. Mourir est donc assimilable à un laisser-aller positif : oser s’approcher de l’inconnu, c’est déjà démystifier et supprimer les frayeurs nées de l’ignorance et de l’habitude. 

 

- Qui plus est, la nature nous habitue lentement au trépas, accoutumance qui prend la forme de la maladie et de la vieillesse : “nature même nous prête la main et nous donne courage. Si c’est une mort courte et violente, nous n’avons pas loisir de la craindre; si elle est autre, je m’aperçois qu’à mesure que je m’engage dans la maladie j’entre naturellement en quelque dédain de la vie…” (Essais, I, XX, 69). La maladie prépare avec une douceur diplomatique à la mort; mourir n’est alors pas contraire à la vie, s’il existe une forme de vie - la maladie - qui ouvre à la mort. La maladie n’est pas contraire à la vie, mais à la santé. La santé, en effet, est l’excès qui rend la vie plus excitante et en augmente la joie, alors que la maladie représente une vie qui se rend inhospitalière à elle-même. La vieillesse - ce néant dispensé à dose homéopathique - est ce qui épouse le mouvement même du temps par sa progressivité : le vieillard finit par se satisfaire de son présent de vieillard en y découvrant les plaisirs de la vieillesse; la conscience du déclin finit par s’effacer au profit de la conscience pleine d’un maintenant. Tout présent est nôtre, lorsque nous ne l’altérons pas par l’embellissement du passé (tendance sénile) ou l’idolâtrie de l’avenir (tendance juvénile), et lorsque la souffrance ne le désarticule pas. 

 

- Au total, maladie et vieillesse sont également deux initiations adaptées à la mort, le renversement qu’elles instaurent est trop lent pour être vécu comme arrachement, perte insupportable. Bref, on meurt toujours trop vite (choc, accident) ou trop lentement (maladie ou vieillesse) pour mourir vraiment. En fait, nous nous détachons du monde insensiblement dès notre plus jeune âge : la lente maturation du départ se prépare au fond de nous et il n’est besoin que d’une chiquenaude pour que la vie nous quitte tout à fait. La mort, en réalité, ne brise que les vivants : la mort qui survient existe si peu pour celui qui meurt, en comparaison de ce qu’elle signifie pour celui qui vit. 

 

- Etre maître de soi, pour Epicure ou pour Montaigne, consiste donc à penser la mort en tant que moment fort singulier à passer, comme objet d’un savoir ou d’une anticipation imaginaire, en dégageant une conduite proche du laisser-être. Il s’agit, par la maîtrise de notre représentation de la mort, de libérer la vie d’un fardeau insupportable pour en faire apparaître toute la saveur et la beauté. Etre maître de soi, c’est non seulement dominer ses craintes et ses anticipations imaginaires, construire sa vie comme une oeuvre d’art, dans la splendeur, la joie et l’autonomie, mais aussi jouir véritablement de l’existence et du monde tels qu’ils nous sont donnés dans la matière du temps et de la mort. La philosophie est alors bel et bien une réflexion rationnelle au service d’un art de vivre dont la finalité est le bonheur et la liberté, et le chemin la vérité : penser sa vie pour la vivre mieux, vivre sa pensée pour lui donner un véritable enracinement existentiel. 

 

CONCLUSION GÉNÉRALE

 

- Que pouvons-nous répondre à la question : “qu’est-ce qu’être maître de soi” ? 

 

- Nous avons rencontré trois riches figures de la maîtrise léguées par la tradition philosophique : être maître de soi, c’est d’abord se connaître, savoir ce que nous sommes, comprendre et interpréter les causes qui nous déterminent souvent à notre insu; l’ignorance de soi est un facteur d’aveuglement et d’esclavage, de sorte que la connaissance de soi constitue un authentique pouvoir sur soi. Mais la connaissance ne suffit pas : il convient aussi d’exercer sa volonté, d’atteindre la paix de l’âme en distinguant deux ordres de réalité - ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas - et en construisant à son usage une citadelle intérieure : il faut à l’homme une raison gouvernante, issue de la volonté et du jugement. Le pouvoir sur soi prend enfin la forme d’une maîtrise de la mort ou plutôt de notre peur de la mort : être maître de soi, c’est accéder au monde de l’esprit et de l’humanité en dédaignant la mort et la simple existence biologique; c’est également émanciper la vie d’une pesanteur encombrante pour en dégager la splendeur et en jouir pleinement, en acceptant ses limites et ses contraintes. 

 

- Etre maître de soi, se gouverner : cet exercice est possible et nécessaire. Le pouvoir peut s’appliquer au sujet lui-même. Il constitue une tâche vitale permettant au sujet de conduire sa vie, de résister aux forces de dislocation, d’accéder à la liberté et de s’inscrire dans la durée. Le pouvoir sur soi est une véritable thérapie de l’âme dont la finalité est l’acquisition de la paix spirituelle

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