Devoir de Philosophie

Etre ou ne pas etre

Publié le 07/03/2011

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À l'ère de la mondialisation et de l'éclatement des cultures, la reconnaissance sociale n'est plus ce qu'elle était. Pour Daniel-Marc Weinstock, professeur de philosophie à l'Université de Montréal, deux écoles de pensée s'affrontent: celle s'accommodant d'un certain individualisme et de la démocratie libérale ambiante et une autre, pour laquelle la reconnaissance suppose un changement radical de paradigme. Débats à finir. «De tous les temps, les philosophes se sont interrogés sur le concept de reconnaissance. Ils l'ont fait évoluer et continuent encore aujourd'hui de s'y intéresser. Plusieurs projets philosophiques, voire de société, se cachent derrière ces réflexions. L'histoire est là pour le prouver», explique d'entrée de jeu Daniel-Marc Weinstock. L'influence que Hegel et Kent ont eue et continuent d'avoir sur les sociétés modernes en posant la reconnaissance en tant que moteur de l'évolution sociale tend en effet à confirmer l'impact que peuvent avoir les penseurs sur les fondements sociaux de nos communautés. Pour le professeur de l'Université de Montréal (UdeM), les philosophes actuels ne font pas exception à la règle. En fait, selon Daniel-Marc Weinstock, deux grands courants de pensée caractérisent l'univers philosophique contemporain à l'égard de la reconnaissance. L'un plus anglo-saxon ou nord-américain, l'autre d'influence française ou européenne. Le parcours anglo-saxon Dans la communauté anglo-saxonne, en Amérique du Nord notamment, certains penseurs — dont Charles Taylor, philosophe et politologue québécois — s'attaquent aux idées inhérentes à la démocratie libérale, qui prône d'abord l'individualisme. Ils la critiquent et parlent de la nécessité d'élargir la notion de société juste. «Ils ne cherchent pas, précise Daniel-Marc Weinstock, à remplacer le cadre conceptuel, mais plutôt à rappeler aux libéraux qu'ils ont certains angles morts, qu'ils ont oublié certains éléments dans leur équation.» Suivant leurs réflexions, poursuit le professeur de l'UdeM, «le projet libéral est louable, mais parce que l'individualité suppose aussi le collectif, l'autonomie individuelle doit s'exercer à l'intérieur d'un certain cadre. En d'autres mots, dans certains cas, lorsque par exemple une culture est menacée ou qu'il y a risque d'assimilation, il peut, selon eux, être nécessaire de donner préséance au projet collectif plutôt qu'au simple libre choix individuel». L'exemple du Québec et de la loi 101 illustrent parfaitement ce courant de pensée. «Pour Charles Taylor, précise Daniel-Marc Weinstock, même si les mesures mises en place pour protéger la langue française au Québec peuvent sembler restrictives au plan individuel, elles demeurent acceptables parce qu'elles permettent de protéger les droits et d'assurer la survie culturelle d'une frange entière de la population. Il ne s'agit pas de renier le cadre conceptuel libéral, mais plutôt de le compléter en y apportant des nuances. C'est un enrichissement de la société juste et de la reconnaissance sociale telles que les conçoivent les libéraux.» L'école de pensée européenne De l'autre côté de l'Atlantique, le philosophe allemand Axel Honneth, lui, a entrepris d'aborder autrement les concepts de société juste et de reconnaissance sociale. Pendant que la pensée de Taylor pose les jalons de la société juste et tend à faire évoluer la population vers l'idéal, Honneth, lui, fait plutôt le choix de regarder le monde tel qu'il est et de partir des souffrances existantes pour construire et penser la société. Selon Daniel-Marc Weinstock, le philosophe allemand, «fait le pari que chaque expression de malaise social — pauvreté, délinquance, etc. — peut être interprété comme une absence de reconnaissance sociale et un grand besoin d'inclusion. Pour lui, les souffrances indiquent les changements à apporter et les zones sur lesquelles il faut travailler pour en arriver à une société plus juste. Dans son approche, la reconnaissance est le moteur de l'évolution sociale. Il s'inspire de la réalité pour construire, plutôt que de l'abstrait. Il va du bas vers le haut et non l'inverse. Il remet en cause le libéralisme et cherche à aller beaucoup plus loin, à construire sur de nouvelles bases. C'est beaucoup plus ambitieux». En fait, explique le professeur de l'Université de Montréal, la pensée de Honneth suppose un changement en profondeur des institutions qui tranche avec l'approche de compromis proposée par l'école de pensée anglo-saxonne. «Pour Taylor, le besoin de reconnaissance sociale commande des changements limités, dans des situations particulières, quand par exemple des minorités culturelles, linguistiques, voire religieuses, sont menacées, sans quoi les règles et normes libérales s'appliquent. Chez Honneth, le besoin de reconnaissance est au coeur de l'évolution sociale. Chaque souffrance est un indice de manque de reconnaissance et commande un changement ou un ajustement social important.» À chacun ses défis Du point de vue de Daniel-Marc Weinstock, chaque approche comporte son lot d'écueils. Comment en effet, questionne-t-il, «les Taylor et autres peuvent-ils justifier, en raison, le fait que le besoin de reconnaissance sociale se limite à quelques groupes? Comment entrevoient-ils la préservation des droits individuels dans un contexte de survie culturelle? Ils sont, affirme-t-il, constamment entre le marteau et l'enclume. Cette position affaiblit un peu la portée de leurs réflexions». À l'opposé, explique le professeur de l'UdeM, en présumant que toutes les souffrances sociales émanent d'un besoin de reconnaissance, Alex Honneth fait face à un défi moral majeur. «Comment, interroge Daniel-Marc Weinstock, peut-on être certain que toute expression de souffrance est synonyme de manque de reconnaissance et exige un correctif? En abordant globalement la société, Honneth néglige le fait que l'on puisse exprimer certaines souffrances sans avoir un réel motif de revendication. À l'inverse, il oublie que l'on peut avoir un véritable motif de revendication et ne pas l'exprimer.» Bien qu'imparfaites, les pensées développées de part et d'autre ont, pour Daniel-Marc Weinstock, le mérite de faire avancer les choses. «Que l'on soit plus à l'aise avec la formule anglo-saxonne ou européenne importe peu. La pensée à l'égard de la reconnaissance sociale, elle, évolue et permettra à terme que les choses changent. C'est l'histoire de la philosophie.»