Devoir de Philosophie

> Extrait de l'Antigone de Sophocle

Publié le 23/01/2020

Extrait du document

antigone

Surprise en train d’ensevelir le corps de son frère, Antigone vient d’être arrêtée et comparaît devant Créon.

créon. - Et toi, qui restes là, tête basse, avoues-tu ou nies-tu le fait ?

Antigone. - Je l’avoue et n’ai garde, certes, de le nier. créon (au garde.) - Va donc où tu voudras, libéré d’une lourde charge. (Le garde sort. A Antigone.) Et toi, maintenant, réponds-moi, sans phrases, d’un mot. Connaissais-tu la défense que j’avais fait proclamer?

Antigone. - Oui, je la connaissais : pouvais-je l’ignorer ? Elle était des plus claires.

créon. - Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?

antigone. - Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes!, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas? et cela, quand bien même tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis bien haut, pour moi, c’est tout profit : lorsqu’on vit comme moi, au milieu de malheurs sans nombre,' comment 'ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi, n’est pas une souffrance. C’en eût été une, au contraire, si j’avais toléré que le corps d’un fils de ma mère n’eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau. De cela, oui, j’eusse souffert; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle.

le coryphée. - Ah! qu’elle est bien sa fille! la fille intraitable d’un père intraitable. Elle n’a jamais appris à céder aux coups du sort.

créon. - Oui, mais sache bien, toi, que ces volontés si dures sont celles justement qui sont aussi le plus vite brisées. Il en est pour elles comme pour le fer, qui, longuement passé au feu, cuit et recuit, se fend et éclate encore plus aisément. Ne voit-on pas un simple bout de frein se rendre maître d’un cheval emporté ? Non, on n’a pas le droit de faire le fier, lorsque l’on est aux mains des autres. Cette fille a déjà montré son insolence en passant outre à des lois établies; et, le crime une fois commis, c’est une insolence nouvelle que de s’en vanter et de ricaner. Désormais, ce n’est plus moi, mais c’est elle qui est l’homme, si elle doit s’assurer impunément un tel triomphe. Eh bien! non. Qu’elle soit née de ma sœur, qu’elle soit encore plus proche de moi que tous ceux qui peuvent ici se réclamer du Zeus de notre maison, il importe : ni elle ni sa sœur n’échapperont à une morl infâme. Oui, celle-là aussi, je l’accuse d’avoir été sa complice pour ensevelir le mort. (A ses esclaves.) Appelez-la moi. Je l’ai vue dans la maison tout à l’heure, effarée, ne se dominant plus. C’est la règle : ils sont toujours les premiers à dénoncer leur fourberie, ceux qui manœuvrent sournoisement dans l’ombre. (Se retournant vers Antigone.) Ce qui ne veut pas dire que j’aie moins d’horreur pour le criminet saisi sur le fait qui prétend se parer encore de son crime.
ANTIGONE. - Tu me tiens dans tes mains : veux-tu plus que ma mort ?
créon. - Nullement : avec elle, j’ai tout ce que je veux.
antigone. - Alors pourquoi tarder ? Pas un mot de- toi qui me plaise, et j’espère qu’aucun ne me plaira jamais. Et, de même, ceux dont j’use sont-ils pas faits pour te déplaire ? Pouvais-je cependant gagner plus noble gloire que celle d’avoir mis mon frère au tombeau? Et c’est bien ce à quoi tous ceux que tu vois là applaudiraient aussi, si la peur ne devait leur fermer la bouche. Mais c’est - entre beaucoup d’autres - l’avantage de la tyrannie qu’elle a le droit de dire et faire absolument ce qu’elle veut.
créon. - Toi seule penses ainsi parmi ces Cadméens.
antigone. - Ils pensent comme moi, mais ils tiennent leur langue.
créon. - Et toi, tu n’as pas honte à te distinguer d’eux? antigone. - Je ne vois pas de honte à honorer un frère. créon. - C’était ton frère aussi, celui qui lui tint tête. antigone. - Certes, frère de père et de mère à la fois.
CRÉON. - Pourquoi donc ces honneurs, à son égard impies ?
Antigone. - Qu’on en appelle au mort : il dira autrement.
créon. - C’est le mettre pourtant sur le rang d’un impie.
Antigone. - Mais l’autre était son frère, et non pas son esclave.
créon. - Il ravageait sa terre : lui, se battait pour elle.
ANTIGONE. - Hadès n’en veut pas moins voir appliquer ces rites.
créon. - Le bon ne se met pas sur le rang du méchant. antigone. - Qui sait si, sous la terre, la vraie piété est là?
créon. - L’ennemi même mort n’est jamais un ami.
antigone. - Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent.
créon. - Eh bien donc, s’il te faut aimer, va-t’en sous terre aimer les morts! Moi, tant que je vivrai, ce n’est pas une femme qui me fera la loi.
Belles lettres, Édit, traduction. Mazon.
antigone

« CRÉON.

-Oui, mais sache bien, toi, que ces volontés si -dures sont celles justement qui sont aussi le plus vite brisées.

Il en est pour elles comme pour le fer, qui, longue­ ment passé au feu, cuit et recuit, se fend et éclate encore plus aisément.

Ne voit-on pas un simple bout de frein se ren,dre maître d'un cheval emporté? Non, on n'a pas le droit de faire le fier, lorsque l'on est aux mains des autres.

Cette fille a déjà montré son insolence en passant outre à des lois établies; et, le crime une fois commis, c'est une insolence nouvelle que de s'en vanter et de ricaner.

Désormais, ce n'est plus moi, mais c'est elle qui est l'homme, si elle doit s'assurer impunément un tel triomphe.

Eh bien! non.

Qu'elle soit née de ma sœur, qu'elle soit encore plus proche de moi que tous ceux qui peuvent ici se réclamer du Zeus de notre maison, il importe : ni elle ni sa sœur n'échapperont à une morl infâme.

Oui, celle-là aussi, je l'accuse d'avoir été sa complice pour ensevelir le mort.· (A ses esclaves.) Appelez-la moi.

Je l'ai vue dans la maison tout à l'heure, effarée, ne se domi­ nant plus.

C'est la règle : ils sont toujours les premiers à · dénoncer leur fourberie, ceux qui manœuvrent sournoise­ ment dans l'ombre.

(Se retournant vers Antigone.) Ce qui ne veut pas dire que j'aie moins d'horreur pour le criminet saisi sur le fait qui prétend se parer encore de son crime.

ANTIGONE.

-Tu me tiens dans tes mains : veux-tu plus que ma mort? CRÉON.

-Nullement : avec elle, j'ai tout ce que je veux.

ANTIGONE.

-Alors pourquoi tarder? Pas un mot de· toi qui me plaise, et j'espère qu'aucun ne me plaira jamais.

Et, de même, ceux dont j'use sont-ils pas faits pour te déplaire? Pouvais-je cependant gagner plus noble gloire que celle d'avoir mis mon frère au tombeau? Et c'est bien ce à quoi tous ceux que tu vois là applaudiraient aussi, si la peur ne devait leur fermer la bouche.

Mais c'est -entre beaucoup d'autres -l'avantage de la tyrannie qu'elle a le cirait de dire et faire absolument ce qu'elle veut.

CRÉON.

-Toi seule penses ainsi parmi ces Cadméens .

.

ANTIGONE.

-Ils pensent comme moi, mais ils tiennent leur langue.

CRÉON.

-Et toi, tu n'as pas honte à te distinguer d'eux? ANTIGONE.

-Je ne vois pas de honte à honorer un frère.

CRÉON.

-C'était ton frère aussi, celui qui lui tint tête.

ANTIGONE.

-Certes, frère de père et de mère à la fois.

- 73 - J. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles