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fois assurée, nous ne savons qu'en faire, ni à quoi l'employer !

Publié le 23/10/2012

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fois assurée, nous ne savons qu'en faire, ni à quoi l'employer ! Alors intervient le second ressort qui nous met en mouvement, le désir de nous délivrer du fardeau de l'existence, de le rendre insensible, « de tuer le temps «, ce qui veut dire de fuir l'ennui. Aussi voyons-nous la plupart des gens à l'abri du besoin et des soucis, une fois débarrassés de tous les autres fardeaux, finir par être à charge à eux-mêmes, se dire, à chaque heure qui passe : autant de gagné ! à chaque heure, c'est-à-dire à chaque réduction de cette vie qu'ils tenaient tant à prolonger ; car à cette oeuvre ils ont jusque-là consacré toutes leurs forces. L'ennui, au reste, n'est pas un mal qu'on puisse négliger : à la longue il met sur les figures une véritable expression de désespérance. Il a assez de force pour amener des êtres, qui s'aiment aussi peu que les hommes entre eux, à se rechercher malgré tout : il est le principe de la sociabilité. On le traite comme une calamité publique : contre lui, les gouvernements prennent des mesures, créent des institutions officielles, car c'est avec son extrême opposé, la famine, le mal le plus capable de porter les hommes aux plus folles licences : Panem et circenses ! Voilà ce qu'il faut au peuple. Le système pénitentiaire en vigueur à Philadelphie n'est que l'emploi de l'isolement et de l'inaction, bref de l'ennui, comme moyen de punition : or l'effet est assez effroyable pour décider les détenus au suicide. Comme le besoin pour le peuple, l'ennui est le tourment des classes supérieures. Il a dans la vie sociale sa représentation le dimanche ; et le besoin, les six jours de la semaine. Entre les désirs et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété : le but était illusoire : la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin : sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. — Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum : et c'est là la plus heureuse vie. Car il est bien d'autres moments, qu'on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu'on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde : c'est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes rares : elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d'eux, en somme, des solitaires au milieu d'une foule toute différente d'eux : ainsi se rétablit l'équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse : ils sont réduits au simple vouloir. Donc rien ne saurait les toucher, les intéresser (les mots l'indiquent de reste), sans émouvoir en quelque façon leur volonté, si lointain d'ailleurs que soit le rapport de l'objet à la volonté, et dût-il dépendre d'une éventualité ; de toute façon, il faut qu'elle ne cesse pas d'être en jeu, car leur existence est bien plus occupée par des actes de volonté que par des actes de connaissance : action et réaction, voilà leur élément unique. On en peut trouver des témoignages dans les détails et les faits ordinaires de la vie quotidienne : c'est ainsi qu'aux lieux fréquentés par les curieux, ils écrivent leur nom ; ils cherchent à réagir sur ce lieu même, parce qu'il n'agirait pas sur eux ; de même, s'ils voient une bête des pays étrangers, un animal rare, ils ne peuvent se contenter de le regarder, il leur faut l'exciter, le harceler, jouer avec lui, uniquement pour éprouver la sensation de l'action et de la réaction ; mais rien ne révèle mieux ce besoin d'excitation de la volonté que l'invention et le succès du jeu de cartes : rien ne met plus à nu le côté misérable de l'humanité... Les efforts incessants de l'homme, pour chasser la douleur, n'aboutissent qu'à la faire changer de face. A l'origine, elle est privation, besoin, souci pour la conservation de la vie. Réussissez-vous (rude tâche I) à chasser la douleur sous cette forme, elle revient sous mille autres figures, changeant avec l'âge et les circonstances : elle se fait désir charnel, amour passionné, jalousie, envie, haine, inquiétude, ambition, avarice, maladie, et tant d'autres maux, tant d'autres ! Enfin, si, pour s'introduire, nul autre déguisement ne lui réussit plus, elle prend l'aspect triste, lugubre, du dégoût, de l'ennui : que de défenses n'a-t-on pas imaginées contre SC El OPENI1AUER 12 eux ! Enfin, si vous parvenez à la conjurer encore sous cette forme, ce ne sera pas sans peine, ni sans laisser rentrer la souffrance sous quelque autre des aspects précédents ; et alors, vous voilà de nouveau en danse : entre la douleur et l'ennui, la vie oscille sans cesse... Mais le plus souvent nous nous détournons, comme d'une médecine amère, de cette vérité, que souffrir c'est l'essence même de la vie ; que dès lors la souffrance ne s'infiltre pas en nous du dehors, que nous portons en nous-mêmes l'intarissable source d'où elle sort. Cette peine qui est inséparable de nous, au contraire nous sommes toujours à lui chercher quelque cause étrangère, et comme un prétexte. (Monde, I, 325-32.) C) LES RACINES DU PESSIMISME « ÊTRE OU NE PAS ÊTRE ? « I. « L'ALTERNATIVE FACHEUSE « Maintenant enfin, grâce à toutes ces études de l'ordre le plus général, grâce à notre effort pour tracer une esquisse de la vie humaine dans ses traits élémentaires, nous devons être arrivés, dans la mesure où l'on peut se convaincre a priori à cette conviction que, par nature, la vie n'admet point de félicité vraie, qu'elle est foncièrement une souffrance aux aspects divers, un état de malheur radical ; nous pourrions donner bien plus de vie et de corps à cette idée, en nous adressant à l'expérience, à l'a posteriori, en descendant aux cas particuliers, pour nous mettre sous les yeux des images, pour nous peindre en des exemples notre misère sans nom, pour invoquer les faits et l'histoire, où il est bien permis aussi de jeter un regard et de chercher des lumières. Mais ce serait un chapitre sans fin, et qui nous ferait descendre des généralités, de cette hauteur qui est la situation propre du philosophe. En outre, un pareil tableau passerait aisément pour une pure déclamation sur notre triste destin, comme on en a fait souvent ; on l'accuserait là-dessus de partialité, sous prétexte que tous les traits de la peinture seraient des faits particuliers. Au contraire, nous échappons sûrement à ce reproche et à ce soupçon, avec notre façon froide, philo-

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