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Fromentin, Dominique (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Fromentin, Dominique (extrait). Dominique, roman sentimental d'inspiration autobiographique, présente la confession d'un homme mûr évoquant son amour de jeunesse pour Madeleine d'Orsel. Le récit semble l'héritier du romantisme, mais se détache de ses grands thèmes et de son esthétique : ainsi, quand le narrateur explique que la découverte de l'amour fut pour lui simultanée avec la perte de l'être aimé, et qu'il renonce sans combat à cet amour impossible, le style est retenu et juste, le lyrisme fait place à l'analyse, l'opposition entre l'individu révolté et la société s'efface devant la peinture de conflits et d'obstacles intérieurs. Dominique d'Eugène Fromentin Madeleine était perdue pour moi, et je l'aimais. Une secousse un peu moins vive ne m'aurait peut-être éclairé qu'à demi sur l'étendue de ce double malheur, mais la vue de M. de Nièvres, en m'atteignant à ce point, m'avait tout appris. Je restai anéanti, n'ayant plus qu'à subir une destinée qui fatalement s'accomplissait, et comprenant trop bien que je n'avais ni le droit d'y rien changer ni le pouvoir de la retarder d'une heure. Je vous ai dit comment j'aimais Madeleine, avec quelle étourderie de conscience et quel détachement de tout espoir précis. L'idée d'un mariage, idée cent fois déraisonnable d'ailleurs, n'avait pas même encouragé le naïf élan d'une affection qui se suffisait presque à elle-même, se donnait pour se répandre, et cherchait un culte uniquement afin d'adorer. Quels étaient les sentiments de Madeleine ? Je n'y songeais pas non plus. À tort ou à raison, je lui prêtais des indifférences et des impassibilités d'idole ; je la supposais étrangère à tous les attachements qu'elle inspirait ; je la plaçais ainsi dans tous les isolements chimériques, et cela suffisait au secret instinct qui, malgré tout, se loge au fond des coeurs les moins occupés d'eux-mêmes, au besoin d'imaginer que Madeleine était insensible et n'aimait personne. Madeleine, j'en étais certain, ne pouvait ressentir aucun intérêt pour un étranger que le hasard avait jeté dans sa vie comme un accident. Il était possible qu'elle regrettât son passé de jeune fille, et qu'elle ne vît pas approcher sans alarmes le moment d'adopter un pari si grave. Mais il n'était pas douteux non plus, en admettant qu'elle fût libre de toute affection sérieuse, que le désir de son père, les considérations de rang, de position, de fortune, ne la décidassent pour une union où M. de Nièvres apportait, en outre tant de convenances, des qualités sérieuses et attachantes. Je n'éprouvais contre l'homme qui me rendait si malheureux ni ressentiment, ni colère, ni jalousie. Déjà il représentait l'empire de la raison avant de personnifier celui du droit. Aussi le jour où, dans le salon de Mme Ceyssac, M. d'Orsel nous présenta l'un à l'autre en disant de moi que j'étais le meilleur ami de sa fille, je me souviens qu'en serrant la main de M. de Nièvres, loyalement, je me dis : « Eh bien ! s'il en est aimé, qu'il l'aime ! « Et tout aussitôt j'allai m'asseoir au fond du salon ; et là les regardant tous deux, bien convaincu de mon impuissance, plus que jamais condamné à me taire, sans aucune irritation contre l'homme qui ne me prenait rien, puisqu'on ne m'avait rien donné, je revendiquais pourtant le droit d'aimer comme inséparable du droit de vivre, et je me disais avec désespoir : « Et moi ! « À partir de ce jour, je m'isolais beaucoup. Moins qu'à personne, il m'appartenait de gêner des tête-à-tête d'où devait sortir l'intelligence de deux coeurs sans doute assez loin de se connaître. Je n'allai plus que le moins possible à l'hôtel d'Orsel. J'y jouais dorénavant un si petit rôle au milieu des intérêts qui s'y débattaient qu'il n'y avait pas le moindre inconvénient à m'y faire oublier. Source : Beaumarchais (Jean-Pierre de) et Couty (Daniel), Anthologie des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1988. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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