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Hans JONAS (1903-1993) La mise hors jeu des mécanismes écologiques et ses dangers

Publié le 19/10/2016

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Hans JONAS (1903-1993)

La mise hors jeu des mécanismes écologiques et ses dangers

Dans l'évolution du vivant nous nous rencontrons nous-mêmes, l'homme. C'est tardivement [...] qu'il est apparu. Son entrée dans le processus a constitué pour l'histoire de la vie un événement aux conséquences inouïes et il n'est pas encore possible de savoir s'il est lui-même à la mesure de ces conséquences. Avec l'homme, la puissance de la pensée est intervenue dans l'évolution ultérieure, et elle a mis hors jeu les mécanismes de l'équilibre biologique régulant jusqu'alors les systèmes écologiques. Dès lors, il n'y avait plus de modèles de comportement génétiquement fixés luttant chacun de leur côté pour leur part respective d'espace vital, à peu près invariable dans le résultat final ; ce fut au contraire le don de libre invention de l'Homo faber, répondant à la demande de l'instant, qui se mit à dicter unilatéralement, toujours à neuf, et de plus en plus vite, les conditions d'une symbiotique continuée. De l'époque paléolithique jusqu'à la technique scientifique, le parcours est certes long du point de vue de l'histoire humaine, mais fort court du point de vue de l'histoire de l'évolution, et, depuis l'expansion des sciences modernes de la nature au XVIIe siècle, le processus s'est accéléré de façon exponentielle. Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est le paradoxe de cette réussite formidable qui menace de s'inverser en catastrophe par destruction de sa propre base naturelle. 

Et la philosophie, qu'a-t-elle à faire avec cela? Jusqu'alors, elle a posé la question de la juste vie pour l'individu, celle de la bonne société, du bon État. Elle s'est depuis toujours occupée de l'action humaine, pour autant qu'il s'agissait d'une action d'humain à humain, mais elle ne s'est guère intéressée à l'homme en tant que force agissant au sein de la nature. Or voici que maintenant le temps en est venu. Il faut pour cela que l'homme soit compris de manière nouvelle dans l'unité de son corps-esprit, en vertu de laquelle d'un côté il est lui- même un être naturel, tout en dépassant de l'autre la nature. N'allons pas nous dissimuler à cet égard que l'usage pratique de l'esprit, donc sa façon de disposer du corps, s'est trouvé depuis le début et pour longtemps au service de ce corps de manière quasi exclusive : pour mieux satisfaire ses besoins, pour les servir plus largement, pour les assurer plus longtemps - et les augmenter constamment de nouveaux besoins qu'il convenait de combler. Au service du corps, l'esprit tourmente la nature. En outre, il ajoute sans cesse à tout cela ses propres besoins à lui, d'une dignité plus élevée que ceux du corps, mais affamés de substance comme ceux-ci : toutes les dépenses physiques d'une culture encore supérieure, qui multiplie encore davantage les agressions qu'une humanité déjà excessivement nombreuse inflige à la nature terrestre, laquelle va se rétrécissant. Effectivement, l'esprit a fait de l'homme la plus vorace de toutes les créatures. Et cela au rythme d'une progression ou l'espèce entière se trouve aujourd'hui poussée à consommer non plus le revenu capable de régénérer, mais le capital unique de l'environnement...

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