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Illusion comique, Corneille Texte 1 / Acte II, 2 « Quoi Monsieur, vous rêvez …vous refuser son coeur »

Publié le 22/09/2010

Extrait du document

illusion

 

Pbatique : Comment se met en place dans ce dialogue une parodie du héros généreux.

 

I. Valeurs de la noblesse

 

      1. Qualités intrinsèques et qualités visibles du généreux

a. Qualités intrinsèques

mises en évidence par Clindor : « âme hautaine « (221) ; « courage invaincu « (235) -> sens de courage.

Par opposition à Clindor, présenté par Matamore comme un « poltron «, un « traître « (231) ou traité de « veillaque « (245).

b. Mais, surtout, qualités visibles aux yeux de tous -> fama

(225) « nouveaux lauriers « ; (229) « qu’ajouterait leur perte à votre renommée «. Appel d’ailleurs au regard : « regarde, j’ai quitté cette effroyable mine « (249) ; « je vous vois aussi beau que vous étiez terrible « (254).

 

=> Ainsi Matamore nous est présenté, par le contraste même avec son valet, comme un homme de qualité. Dans quels domaines ? Ceux qui sont valorisés par la société et la littérature du temps, la guerre, propre des bellatores d’abord, l’amour courtois, ensuite.

 

      2. Valeur guerrière

(222) « tant de beaux faits «, + précision (223) « abattre des guerriers «, lexique de la guerre « armée «, « murailles «, « escadrons «, « batailles «, « armer «, « commandement «, « canon «, « soldats «, « ennemis «, « massacre, détruit, brûle, extermine «.

=> saturation de ce vocabulaire. Matamore a d’ailleurs la figure de l’emploi « effroyable mine « (249), confirmé par Clindor (254) « terrible « et il fait figure dans une mythologie nouvelle de « second Mars « (à la rime, 243)

Mais, précisément, tel Mars, il connaît le temps de la guerre et le temps de l’amour (cf. mythe des amours de Mars et Vénus) et Matamore est aussi un valeureux amoureux.

 

      3. Valeur amoureuse

Là encore sous égide mythologique « ce petit archer « ((247), Matamore se définit ainsi dans le vers final de sa tirade : « je ne suis plus qu’amour, que grâce, que beauté «. Confirmation de Clindor qui « ne [croit] point d’objet si ferme en sa rigueur / qu’il pisse constamment vous refuser son cœur «.

Cohérence dans la mesure où l’amour est un combat, l’objet de cet amour, un objet de conquête, même si, dans la tradition médiévale de l’amour courtois, Matamore ne se présente plus comme supérieur à l’ennemi mais comme prisonnier de son « bel œil « (251 : « ce bel œil qui tient ma liberté «).

 

    ➢ Ainsi, image d’un véritable héros, supérieur à tous, qui dans les armes comme dans les passions révèle son caractère supra-humain. Cependant, l’absence de modestie du principal intéressé et l’excès de cette présentation permettent d’en mettre en doute la réalité. Matamore, fidèle au programme de son nom (Matamoros : nom espagnol d’un faux brave de comédie qui ne cesse de se vanter de ses prétendus exploits contre les Maures // Capitan de la comédie italienne) n’est qu’un vantard, qu’un fanfaron. NB. Lorsque Corneille donne ce nom à ce personnage en 1636, il est déjà passé en français. C’est donc un indice permettant de percer l’illusion pour le spectateur de l’époque.

 

II. Une exaltation parodique

Les moyens du baroque au service de la moquerie comique.

 

      1. L’excès rhétorique sonne faux

a. Les hyperboles

¤ « Le seul bruit de mon nom renverse les murailles / Défait les escadrons, et gagne les batailles « (233 /234) : contraste seul + cause infime / effet considérable et dévastateur, soutenu par le rythme ternaire.

Idem dans « D’un seul commandement que je fais aux trois Parques / Je dépeuple l’Etat des plus heureux monarques « (237 / 238)

Ou « d’un souffle je réduis leurs projets en fumée « (241)

« Je vais t’assassiner d’un seul de mes regards « (244)

    ▪ Seul contre tous, refus de l’armée.

¤ Travail sur la quantité, minime du côté de Matamore, considérable du côté des ennemis :

« Mon courage invaincu contre les empereurs / N’arme que la moitié de ses moindres fureurs « (235-236)

« Je couche d’un revers mille ennemis à bas « (240)

 

b. Les effets d’accumulation

Multiplication des faits d’armes, appel aux dieux, parmi lesquels Matamore semble figurer en bonne place, + effets rythmiques « qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine « (250) soutenu par les jeux d’allitération ([k], [r], [t] -> sons durs) et d’assonance [i] stridents. Cf. aussi longueur de la phrase, au souffle puissant des vers 233 à 244.

 

      2. Le mouvement et sa mise en scène accompagnent cet emballement

Multiplication des évocations de faits d’armes, soutenus par le rythme (interrogatives, exclamatives, rythmes ternaires…) induit une mise en scène énergique, où Matamore met en scène sa puissance guerrière ou sa douceur d’amant.

Cf. d’ailleurs la remarque de spectateur saisi devant tant d’énergie fanfaronne de Clindor, qui en fait n’est pas dupe et ironiquement incite cette vantardise à se déployer : « O dieux ! en un moment que tout vous est possible./ Je vous vois aussi beau que vous étiez terrible «. (253-254).

Le personnage de Clindor, faire-valoir, est d’ailleurs ici l’initiateur de ce mouvement, par ses provocations en apparence naïves cf. v. 230.

 

      3. Matamore, personnage aux masques grossiers

cf. La rupture, d’autant plus perceptible qu’elle s’opère après un rejet au v. 245. Un simple « Toutefois « le fait passer de la colère extrême à la douceur extrême. Il souligne plus qu’un changement d’état d’âme, un changement de visage cf. « mine «, qu’il « quitte « comme on ôte un déguisement. Tout se joue sur un maladroit paraître.

 

CONCLUSION / Aidé par un Clindor ironique sous des dehors flatteurs, le spectateur a donc la satisfaction de lever une supercherie, de lever le voile d’une illusion. Il ne croit pas en la réalité de la valeur héroïque de Matamore présentée trop grossièrement pour être vraie. Il y voit un masque. Cependant, l’habileté de Corneille est de donner d’emblée des indices pour le coup de théâtre final, qui nous indiquera que ce que nous voyons là est une pièce dans la pièce, mais nous ne sommes pour l’instant en mesure de lever une partie du voile de l’illusion seulement. Nous croyons avoir affaire à un vrai fanfaron et nous découvrirons plus tard qu’il s’agissait, au sein même de la pièce, d’un acteur qui jouait le rôle d’un fanfaron.

 

Séquence III / Illusion comique, Corneille

Texte 2 / Acte II, 3 « Hélas ! s’il est ainsi …une vaine poursuite «

 

Problématique : Une déclaration d’amour qui, se jouant des attentes du spectateur, provoque un rire grinçant.

 

I. Le constat de l’amour non partagé

      1. Une déclaration d’amour inspirée de l’amour courtois

- l’homme aux pieds de sa belle :

    • Autour du terme « amour « : « les transports de mon amour extrême « (3), « je vous aime « (4), « mon fidèle amour « (17)

    • La métaphore topique du feu : « soupirs ardents « (7), « votre flamme « (11), « flammes si saintes « (27), « feu « (24,49)

    • La soumission de l’amant : « de si longs services « (16), « services, affection « (21)

- un amour malheureux (tradition pétrarquiste) : « je soupire, j’endure « (2), « quel malheur est le mien ! « (1), « Cruelle « (15), « Prenez quelque pitié des tourments que j’endure « (44)

- un amour inscrit dans la destinée des personnages (tradition néo-platonicienne) cf. réplique d’Adraste p. 39 > « Ciel «, 2 fois, « Cieux «, « idée « (cf. l’Idée platonicienne), « âme «, « yeux « (sens noble).

 

      2. Le ferme et insolent refus d’Isabelle : dimension comique de ce qui aurait pu être pathétique

L’appel à la pitié ne fonctionne pas :

    - Affirmation sans ambiguïté de l’absence d’amour d’Isabelle (antithèse soutenue par le rythme binaire de l’alexandrin, 6/6) : « (Que) bien que vous m’aimiez / je ne vous aime point « (14), « Des épines pour moi / vous les nommez des roses « (20), « Il vous fit pour m’aimer / et moi pour vous haïr « (37)

    - Elle n’entre pas dans le jeu de l’apitoiement qui aurait pu rendre pathétique la scène : « froideur « (59) = pas seulement parce qu’elle n’aime pas Adraste. Elle est très claire, son jeu d’antithèses souligne à quel point elle est hermétique à la souffrance d’Adraste. Cf. bas p. 39 & haut p. 40 quand il est question de plaindre Adraste.

    - Elle est insolente et met les rieurs de son côté : première réplique d’Isabelle p. 38, « Le Ciel m’eût fait plaisir d’en enrichir une autre « (36+38)

 

II. Contraste entre les deux personnages

      1. Isabelle et la stabilité : une sérénité que rien n’atteint

- « Allez trouver mon père et me laissez en paix « / « Allez continuer une vaine poursuite « + les deux dernières répliques

- les jeux de reprise de mots ou de structures qui soulignent qu’elle renvoie la balle sans être atteinte :

    • cf. répliques 1 à 2 variation sur le mot « amour «

    • répliques 3 à 4 : « service «

    • répliques 5 à 6 : « Ciel «

    • répliques 7 à 8 : « tourments «

puis jeu proche de la stichomythie (cf. « j’espère «) ( une première constance d’Isabelle : implacablement retourner à Adraste tous ses mots et arguments

- Imperturbablement phrases assertives, solidité des affirmations (cf. « Ce n’est pas le moyen de trouver votre compte, / Et d’un si beau dessein vous n’aurez que la honte « (51-52). Pas d’émotions, juste un ton insolent (vs les interrogatives et exclamatives du côté d’Adraste).

 

      2. Adraste et ses trois masques

Adraste, tout au contraire, est marqué par l’instabilité, la variation. Il révèle des visages différents au cours de la scène, l’un mettant en question la sincérité de l’autre.

    - Premier masque : l’amant pétrarquiste, qui en appelle à la plainte, à la pitié devant les tourments qu’il endure

    - Deuxième masque (= autre stratégie argumentative) : la destinée doit faire plier Isabelle (c’est écrit dans les cieux, elle ne doit pas résister)

    - Troisième masque : le recours à la force > qu’Isabelle le veuille ou non, elle sera sa femme. Cf. lexique de la contrainte.

Le ton et le jeu du personnage doivent s’en ressentir. C’est Adraste, ici, qui est la source du mouvement, de la variation. Variation d’autant plus sensible qu’elle contraste avec l’attitude d’Isabelle.

 

( De fait, les deux personnages en présence apparaissent non pas comme des amoureux, mais comme des adversaires. Comme dans la scène précédente, l’amour se trouve associé au combat.

 

III. L’amour et le combat : une déclaration qui tourne à l’affrontement

      1. La menace de la contrainte : un rire grinçant

Jeu avec les registres attendus :

- une situation qui pourrait être inquiétante (« un père y consent «) > le combat implacable + l’effrayante incapacité d’Adraste à entendre ce qui lui est dit (cf. son explication finale de la froideur d’Isabelle)

- mais tout de même une situation de comédie (cf. molière, cf. la comédie italienne) : le mariage malheureux prévu « avant la fin du jour « et qui sera déjoué

 

      2. La légèreté persiste car Isabelle n’exprime aucune crainte + ridicule final d’Adraste

Contrairement aux jeunes premières habituelles (cf. Mariane dans Tartuffe, Lucile dans le Bourgeois gentilhomme ou Elise dans l’Avare) Isabelle ne s’en laisse pas compter.

Elle a la verve combattante d’une servante sans en avoir la gouaille. Elle fait rire et la menace qui plane sur elle ne nous paraît pas bien sérieuse (cf. ses deux « allez « imperturbables, quoique peut-être agacés à la fin de la scène).

Mieux, elle fait d’Adraste non un personnage inquiétant, comme son troisième masque aurait pu cependant le faire ressentir au spectateur, mais un personnage ridicule : « vaine poursuite « (63), « l’incommode honneur d’une triste constance « (48)

 

      3. Finalement la menace permet de démonter l’illusion d’une déclaration d’amour  topique

Isabelle n’est pas dupe, et lève ainsi un voile pour les spectateurs. A cette époque, plus encore qu’à celle de DB, le topos n’est plus crédible. Les flammes, les feux, les tourments d’amour se trouvent ici décrédibilisés par l’indifférence moqueuse de la dame censée de les recevoir.

Cf. la phrase, qui peut être jouée de façon ironique (8) « j’en vois trop d’apparence «, d’autant que ce terme clé dans le baroque est placé à la rime avec « assurance «.

 

Séquence III / Illusion comique, Corneille

Texte  3 / Acte III, 7 Le monologue de Matamore

 

NB. Pour la situation du passage :

    ➢ Bizarrerie de la place (deux monologues à la suite, celui-ci après le monologue délibératif de Lyse)

    ➢ Effet de parenthèse de l’épisode Lyse / Clindor qui vient de s’achever : nous renouons ici avec le fil précédent, Géronte, père d’Isabelle a menacé Matamore de lâcher ses valets sur lui

    ➢ Personnage de Matamore, déjà connu du spectateur, donne une dimension comique à l’ensemble ;

 

Problématique / Fonctions de ce bref monologue

 

     I. Un monologue en mouvement

        1. Valeur d’intermède du monologue

* Début du monologue : le lien est renoué avec IV, 4 : menace du père d’Isabelle contre Matamore ( « Les voilà, sauvons-nous «. « Les « = « les diables de valets «

* Les deux derniers vers annoncent la suite : entrée en scène de Clindor et d’Isabelle à la scène 8

Un monologue qui a une place de transition dans la structure de l’acte.

 

        2. Une mise en scène dynamique induite par le texte

Ce dynamisme structurel est renforcé par celui du texte lui-même, qui implique un jeu de scène dynamique de Matamore, même s’il est seul en scène : cf. les impératifs (Matamore se donne des ordres à lui-même, à la première personne du pluriel) « sauvons-nous «, « avançons «, « fuyons «, « coulons-nous «.

Idem pour l’alternative contradictoire « courir / ne pas courir . Le jeu rappelle celui de la farce ou la tradition de la Commedia dell’arte. Cf expression de la peur excessive, surjouée sans doute « Tout le corps me frissonne « « trembler «. Forte implication physique induite, comme en des didascalies internes, par le texte du monologue.

 

        3. Au service de laquelle se trouve un personnage instable

    • Un caractère excessif et contrasté

         o Hyperbole : « de 2000 ans et + je ne tremblai si fort «

         o Antithèses : « glacé « / « se déglace « ; courir / immobilité

         o Oppositions hémistiches à hémistiches des 3 premiers vers

 

    • Effets rythmiques

         o Rythme haché, saccadé (à faire sentir à la lecture du passage) des alexandrins

         o Nombreuses exclamtives

 Ce rythme est celui de la peur

 

( Le risque de l’immobilité et du ralentissement de l’action qui menace tout monologue et qui est renforcé ici par la structure de lapièce, enchaînant bizarrement deux monologues (cf. pièce comme « monstre «, dans la préface)  se trouve ainsi surmonté par ce parti-pris baroque de mouvement, à tous les niveaux.

 

    II. Un moment burlesque qui permet cependant aux masques de tomber

        1. Une lâcheté de Matamore encore plus visible pour le spectateur

Relevé des termes et expressions montrant la lâcheté du personnage.

Cette lâcheté le rend ridicule et provoque donc le rire.

Le masque que prend Matamore (cf. II, 2, par exemple) lorsqu’il est en présence d’autres personnagesse fissure plus aisément encore quand il est seul. Les spectateurs perçoivent encore davantage qu’ils ont affaire à un soldat fanfaron (personnage type de la comédie italienne).

 

        2. Mais le personnage se leurre lui-même, ce qui contribue au comique de la scène

* Cf. les enchaînements sur le mode du faux raisonnement voire du sophisme qui soulignent la mauvaise foi du personnage à l’égard de lui-même. Ex.

      « s’ils sortent je suis mort,

      Car j’aime mieux mourir que leur donner bataille,

      Et profaner mon bras contre cette canaille

      Que le courage expose à d’étranges dangers «

* Ironie : « j’ai le pied pour le moins aussi bon que l’épée « or il n’arrive pas à courir, ce qui confirme son incompétence généralisée. Le fait de placer dans la bouche de ce personnage pareille phrase relève du clin d’œil de l’auteur à destination du spectateur : il joue de la double énonciation pour provoquer leur rire, sans que le personnage « marionnette « semble même se rendre compte du comique de ses propos.

 

        3. Préparation d’une autre tombée des masques à la faveur du secret

Fin du monologue. Alors que dans le texte une partie plus importante encore du masque de guerrier courageux de Matamore vient de se fissurer, il prépare aussi une nouvelle tombée des masques : le moment où, caché, Matamore va se rendre compte qu’Isabelle et Clindor le trompent.

Ainsi toute cette scène, apparemment brève transition de peu d’importance, met-elle en jeu des motifs importants pour la pièce, notamment tout ce qui relève de l’obscurité et de la lumière (très baroque), de la difficulté à distinguer l’apparence et l’essence (idem). Cf. « Coulons-nous à la faveur des ombres de la nuit « > tout à fait symptomatique que ce soit dans l’indécision visuelle nocturne que se révèle Matamore (plus ou moins complètement) la réalité de sa situation.

 

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