Jean-Pierre PHARABOD et Bernard PIRE Il faut savoir regarder autrement un phénomène
Publié le 19/10/2016
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Jean-Pierre PHARABOD et Bernard PIRE
Il faut savoir regarder autrement un phénomène
Le progrès en physique vient souvent de la volonté de regarder autrement un phénomène physique. La pesanteur fut d'abord considérée comme une propriété liée aux objets : cette pomme pèse 200 grammes et elle tombe vers le bas, pouvait-on dire avant Newton. On n'était pas loin de l'affirmation grecque selon laquelle la pomme retournait vers son lieu propre, qui était la terre. Newton adopta une autre perspective et découvrit que la terre et la pomme s'attiraient mutuellement. Sans abandonner cet acquis fondamental, un physicien francophone de Turin, Joseph Louis Lagrange, déplaça encore le point de vue : la Terre crée autour d'elle partout dans l'espace un « potentiel gravitationnel » et tout objet, telle une pomme, placé à proximité acquiert une énergie potentielle égale au produit de sa masse par la valeur du potentiel au point où il est. Cette notion de potentiel se réfère à une autre forme d'énergie, l'énergie cinétique acquise par tout corps animé d'une vitesse. L'énergie potentielle de la pomme peut éventuellement être échangée contre de l'énergie cinétique, en particulier lorsque la pomme tombe. La pomme dans le champ de gravitation de la Terre possède déjà une propension à acquérir une vitesse, elle est « potentiellement » déjà en mouvement : il ne lui reste qu'à se détacher de l'arbre pour « réaliser » cette potentialité. Cinq ans plus tard, Laplace fit l'analyse mathématique des propriétés de ce potentiel. En dehors de sa carrière scientifique, Pierre Simon Laplace connut une brillante carrière politique : après avoir été ministre de l'Intérieur en 1799, il reçut de Napoléon le titre de comte, puis devint marquis grâce à Louis XVIII. La rigueur scientifique n'empêche pas forcément l'opportunisme dans la conduite des affaires temporelles ! Mathématicien, plus que physicien, Lagrange développa des méthodes très générales pour résoudre les problèmes de physique newtonienne. Sa « mécanique analytique » lui permit d'abstraire, à partir des phénomènes physiques, des équations dont la résolution ne relevait plus que de l'art des mathématiques pures. Elle fut perfectionnée cinquante ans plus tard par le mathématicien irlandais Hamilton et servira de cadre naturel aux théories développées au XXe siècle. La mathématisation que connut ainsi la mécanique aura une profonde influence sur la physique moderne. Décrire un système physique, c'est aujourd'hui être capable d'écrire le lagrangien ou l'hamiltonien de ce système, du nom de deux fonctions inventées par Lagrange et Hamilton. Les connaître permet en principe de calculer toutes les propriétés physiques de l'objet considéré.
Le Rêve des physiciens, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 28-29.
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