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Jeu de l'amour et du hasard, acte I scene 1

Publié le 12/06/2011

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amour

\"Le Jeu de l'Amour et du hasard\", Acte I, scËne I, Marivaux, 1730 (Objet d'Ètude : ThÈ‚tre)

 

Introduction : Marivaux est un Ècrivain franÁais du XVIIIËme siËcle, siËcle des LumiËres qui voit l'Èmergence de revendications de la libertÈ ainsi que de l'ÈgalitÈ des hommes entre eux. Celles-ci poussent Marivaux ‡ traiter des thËmes tels que la libertÈ d'aimer ou la redÈfinition des relations maÓtres/valets. Il Ècrit pour les comÈdiens italiens dont il apprÈcie le jeu plein de fantaisie, explore et renouvelle le genre de la comÈdie sentimentale en donnant naissance ‡ 4 piËces devenues de grands classiques : La Surprise de l'amour, La Double Inconstance, mais surtout Les Fausses Confidences et Le Jeu de l'amour et du hasard.

La scËne ÈtudiÈe est la premiËre scËne, du premier acte, du Jeu de l'amour et du hasard. Elle joue le rÙle de scËne d'exposition et nous plonge immÈdiatement, avec un dÈbut \"in medias res\" dans une discussion entre Silvia, la jeune femme de la maison dans laquelle se dÈroule la piËce, et sa servante Lisette. Cette derniËre a assurÈ abusivement le pËre de sa maÓtresse, Orgon, de la joie ÈprouvÈe par sa fille, ‡ l'annonce de son prochain mariage.

Quelques rÈpliques nous restituent ces faits antÈrieurs et nous prÈsentent Silvia, jeune fille trËs inquiËte et indignÈe devant un mariage arrangÈ par son pËre, et sa servante, qui n'ayant pas les mÍmes attentes vis-‡-vis du mariage, ne comprend pas du tout ce qui trouve sa maÓtresse. Le ton monte ...

Nous verrons tout d'abord quel est le rÙle de Lisette dans cette scËne, puis quelles sont les craintes de Silvia et enfin, la place dans son argumentation de trois portraits de mauvais maris.

 

I. Le rÙle de Lisette

         A. L'expression du conformisme

                  1. Une servante surprise

%œ Forte ponctuation et exclamations \"Quoi [...] qu'il vous destine ?\" l.1, \"que voulez-vous de plus ?\" l.7, \"Voil‡ une pensÈe bien hÈtÈroclite\" l.21-22 !“ trahit la surprise et l'Èmotion d'une servante par rapport aux propos inattendus pour elle de Silvia.

%œ Opposition entre un comportement non conformiste \"vous n'Èpouserez pas\" et la destinÈe des filles de l'Èpoque \"celui qu'il vous destine\" l.1 !“ explicite la raison de son Ètonnement.

%œ RÈponse avec bon sens \"voil‡ une pensÈe bien hÈtÈroclite\" l.21-22 ‡ l'argument ridicule \"il est bel homme [...] et c'est presque tant pis\" !“ Lisette permet d'insister sur le cÙtÈ ‡ la fois Ètrange et ridicule de la pensÈe de Silvia.

 

                  2. Une vision conformiste du mariage

%œ Les expressions toutes faites \"celui qu'il vous destine\" l.1, \"votre futur\" l.4 pour caractÈriser Dorante avant mÍme qu'on prononce son nom, \"un amant de cette espËce-l‡\" qui aime et est aimÈ !“ Pour Lisette, le chemin de Silvia est tout tracÈ, le mariage est jouÈ d'avance.

%œ L'approche idyllique et sans expÈrience \"de mariage plus doux ? D'union plus dÈlicieuse\" l.8, ‡ rapprocher de \"se marier dans les formes\" l.12 !“ Pour Lisette, conformiste, le bonheur tient dans le respect des traditions, et non dans le dÈsir de chacun.

%œ Utilisation de proverbes \"tout en sera bon, dans cet homme-l‡, l'utile et l'agrÈable, tout s'y trouve\" l.15-16, \"y\" renvoyant curieusement ‡ l'amant, \"endroit\" supposÈ de plÈnitude et de bonheur et non personne !“ montre une rÈflexion limitÈe, et une argumentation fondÈe sur des principes.

 

                  3. Une vision du monde superficielle

%œ Jeu antithÈtique entre \"superflu\" et \"nÈcessaire\" dans \"ce superflu-l‡ sera mon nÈcessaire\", en rÈponse ‡ \"De beautÈ et de bonne mine, je l'en dispense, ce sont l‡ des agrÈments superflus\"  !“ met en Èvidence les ordres de prioritÈ inverses des deux femmes.

%œ Un jugement basÈ sur des rumeurs, avec l'accumulation \"On dit que votre futur est un des plus honnÍtes du monde, ..., qu'on ne saurait Ítre d'un meilleur caractËre\" l.4-7  !“ portrait moral, physique, intellectuel, social, Èlogieux, basÈ uniquement sur les apparences et des rumeurs.

%œ Termes globalisants \"presque point de fille\" l.12, \"un amant de cette espËce-l‡\" l.11, avec 2 pronoms indÈfinis \"tout en sera bon\", \"tout s'y trouve\" l.16 !“ PensÈe totalisante qui Èvacue la personnalitÈ spÈcifique de Dorante pour en faire l'homme ‡ Èpouser.

 

         B. La servante au thÈ‚tre : tradition et contrepoint

%œ Interjections \"Pardi\" l.15, \"Oui-da\" l.27, \"Vertuchoux\" l. 30, allusion aux mSurs libertines avec l'expression populaire \"l'Èpouser sans cÈrÈmonie\" l.13 !“ Langage caractÈristique des servants.

%œ Les trois questions rhÈtoriques \"Que voulez-vous de plus ?\" Peut-on se figurer de mariage plus doux ? D'union plus dÈlicieuse\" qui se veulent rassurantes, associÈ ‡ une vision traditionnelle du bonheur avec \"doux\" et \"dÈlicieuse\" !“ Lisette joue le rÙle traditionnel de confidente en poussant sa maÓtresse ‡ se dÈvoiler.

%œ Interruption de l'argumentation de Silvia sur la question grave et philosophique de la vÈritÈ et des apparences par \"Quel fantasque avec ses deux visages !\" l.54, puis la mÈtaphore de l'indiffÈrence \"Je gËle au rÈcit que vous m'en faites\" l.63, et enfin la derniËre \"Un mari ? c'est un mari ; vous ne deviez pas finir par ce mot-l‡, il me raccommode avec tout le reste\" l.77-78   !“ Lisette apporte un peu de lÈgËretÈ ‡ la piËce (typique de la comÈdie), et a aussi pour rÙle, plus spÈcifique, d'insister sur les points essentiels.

 

II. Les craintes de Silvia

         A. Un personnage inquiet

%œ \"cela m'inquiËte\" l.3, les interrogations \"On loue beaucoup [son caractËre] mais qui est-ce qui a vÈcu avec lui ? Les hommes ne se contrefont-ils pas, surtout quand ils ont de l'esprit ?\"l.36-38, les incertitudes \"peut-Ítre\" l.2, \"presque\" l.20, la rÈaction ‡ la premiËre tirade de Lisette \"tu es folle avec tes expressions\" !“ souligne la forte inquiÈtude de Silvia quant au mariage (arrangÈ) en tant qu'institution.

%œ La formulation finale \"Songe ‡ ce que c'est qu'un mari\" !“ traduit son angoisse et sa rÈflexion par rapport au mariage arrangÈ.

 

         B. Un personnage exigeant

%œ Refus d'accorder une importance au physique \"ce sont l‡ des agrÈments superflus\" l.28-29 et l'expÈrience \"volontiers un bel homme est fat, je l'ai remarquÈ\" l.23-24  !“ montre qu'elle exige davantage du mariage que son extÈrieur.

%œ RÈflexions \"on dit qu'il y ressemble, mais c'est un on dit\" l.17-18, et \"On loue beaucoup [son caractËre] mais qui est-ce qui a vÈcu avec lui\" l.36-37 !“ Silvia souligne le caractËre superficiel des rumeurs, et refuse d'Ítre trompÈe par les apparences

%œ A propos des rumeurs \"Et je pourrais bien n'Ítre pas de ce sentiment-l‡ moi\" l.18-19 !“ Elle recherche un amour profond et solide qui puisse la rendre heureuse et veut que ses exigences soient prises en compte, elle exprime le droit au bonheur.

 

         C. Les raisons de son inquiÈtude

%œ Opposition entre l'apparence en public et le caractËre cachÈ d'Ergaste, LÈandre et Tersandre !“ mauvaises expÈriences.

%œ Opposition entre \"l'homme raisonnable\" et \"l'aimable homme\" dans \"on a plus souvent affaire ‡ l'homme raisonnable qu'‡ l'aimable homme\" l.32-34 !“ elle veut une union du cSur et de l'esprit et non pas une union par Raison, avec un homme riche et de bon rang.

 

III. Le rÙle des portraits dans l'argumentation

         A. Le fruit d'une expÈrience personnelle

%œ Nombreuses occurrences du pronom personnel \"je\", insistance avec \"n'en ai-je pas vu, moi\" l.38, \"voila mon portrait ‡ venir\" l.73 !“ Une rÈflexion fondÈe sur son expÈrience, elle se sent concernÈe.

%œ Aveu \"rÈpondait-on ; je l'ai rÈpondu moi mÍme\", mais opposition \"Monsieur un tel [...] disait-on tous les jours d'Ergaste\" !“ Opposition ‡ l'opinion gÈnÈrale.

 

         B. Trois portraits d'hommes mariÈs : construction et gradation

%œ La proposition \"Ergaste s'est mariÈ ; sa femme, ses enfants, son domestique\" l.49, en parlant de LÈandre et Tersandre \"sa femme\" l.58 et 66 !“ Rappelle la situation de ces trois hommes, qui sont mariÈs et met en valeur le fait que l'ÈlÈment inchangÈ dans les personnes qu'ils font souffrir est leur propre femme.

%œ Ergaste a \"un visage sombre, brutal, farouche\" et \"devient l'effroi de toute une maison\" l.48, chez lui, LÈandre \"fait expirer de langueur de froid et d'ennui, tout ce qui l'environne\" l.60-61 et enfin Tersandre \"s'empor[te] contre sa femme\" l.66 !“ Progression dans la gravitÈ du comportement des hommes.

%œ Contraste entre \"un air serein\" de Tersandre et \"le teint plombÈ\" de sa femme !“ accentue le portrait de cette femme malheureuse ‡ qui Silvia ne veut pas ressembler.

 

         C. Trois portraits de fourbes

Deux aspects coexistent chez ces trois hommes mariÈs : l'aspect extÈrieur avec leur vie sociale et mondaine, et leur caractËre rÈel dans le privÈ :

%œ Ils sont prÈsentÈs comme des \"aimable[s] homme[s]\", Ergaste est qualifiÈ de \"galant homme\" l.42, ‡ la \"physionomie si douce, si prÈvenante\" l.46, \"cette physionomie si aimable\" l.53 en dehors de chez lui.

La question de rhÈtorique \"N'est-on pas content de LÈandre quand on le voit\" l.55 confirme que c'est un homme respectable en sociÈtÈ.

Tersandre prÈsente un aspect encore plus chaleureux : \"les bras ouverts, d'un air serein, dÈgagÈ\" l.67.

%œ Mais la description bascule avec \"un quart d'heure aprËs\" l.47 pour Ergaste, \"chez lui\" l.56 pour LÈandre. Il s'agit de trois hommes invivables, effroyable pour Ergaste, indiffÈrent pour LÈandre et violent pour Tersandre

%œ Ce dÈcalage est mis en valeur par des termes tels que \"physionomie\", \"visage\", \"air\", et mÍme \"masque\" montrant ainsi qu'un extÈrieur avenant peut Ítre un leurre, soutenant l'argumentation de Silvia.

 

Conclusion : Cette querelle entre Silvia et Lisette, qui ont tour ‡ tour l'avantage, permet de les dÈcrire, ‡ travers leur conception du mariage et du mari idÈal. Lisette, ‡ travers son rÙle traditionnel de confidente, pousse Silvia ‡ exprimer ses craintes quant au mariage et ‡ son futur mari. Le langage et l'humour typique des valets de comÈdie permettent d'allÈger cette scËne, grave par la description que fait Silvia de trois hommes terribles avec leurs femmes.

La critique des apparences portÈe par Silvia justifie par avance le stratagËme qu'elle va utiliser pour mieux connaitre la vÈritable personnalitÈ de son prÈtendant. Ce stratagËme, le travestissement maÓtre/valet, est typique des comÈdies de Marivaux, qui critique ainsi l'inÈgalitÈ sociale.

 

Texte ÈtudiÈ :

LISETTE

Quoi, vous n'Èpouserez pas celui qu'il vous destine ?

SILVIA

Que sais-je ? Peut-Ítre ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiËte.

LISETTE

On dit que votre futur est un des plus honnÍtes du monde, qu'il est bien

fait, aimable, de bonne mine, qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne

saurait Ítre d'un meilleur caractËre ; que voulez-vous de plus ? Peut-on se

figurer de mariage plus doux ? D'union plus dÈlicieuse ? SILVIA

DÈlicieuse ! Que tu es folle avec tes expressions !

LISETTE

Ma foi, Madame, c'est qu'il est heureux qu'un amant de cette espËce-l‡,

veuille se marier dans les formes ; il n'y a presque point de fille, s'il lui

faisait la cour, qui ne f˚t en danger de l'Èpouser sans cÈrÈmonie ; aimable,

bien fait, voil‡ de quoi vivre pour l'amour, sociable et spirituel, voil‡ pour

l'entretien de la sociÈtÈ : pardi, tout en sera bon dans cet homme-l‡, l'utile

et l'agrÈable, tout s'y trouve.

SILVIA

Oui dans le portrait que tu en fais, et on dit qu'il y ressemble, mais c'est un,

on dit, et je pourrais bien n'Ítre pas de ce sentiment-l‡, moi ; il est bel

homme, dit-on, et c'est presque tant pis.

LISETTE

Tant pis, tant pis, mais voil‡ une pensÈe bien hÈtÈroclite !

SILVIA

C'est une pensÈe de trËs bon sens ; volontiers un bel homme est fat, je l'ai

remarquÈ.

LISETTE

Oh, il a tort d'Ítre fat ; mais il a raison d'Ítre beau.

SILVIA

On ajoute qu'il est bien fait ; passe.

LISETTE

Oui-da, cela est pardonnable.

SILVIA

De beautÈ, et de bonne mine je l'en dispense, ce sont l‡ des agrÈments

superflus.

LISETTE

Vertuchoux ! si je me marie jamais, ce superflu-l‡ sera mon nÈcessaire.

SILVIA

Tu ne sais ce que tu dis ; dans le mariage, on a plus souvent affaire ‡

l'homme raisonnable, qu'‡ l'aimable homme : en un mot, je ne lui demande

qu'un bon caractËre, et cela est plus difficile ‡ trouver qu'on ne pense ; on

loue beaucoup le sien, mais qui est-ce qui a vÈcu avec lui ? Les hommes ne

se contrefont-ils pas ? Surtout quand ils ont de l'esprit, n'en ai-je pas vu

moi, qui paraissaient, avec leurs amis, les meilleures gens du monde ?

C'est la douceur, la raison, l'enjouement mÍme, il n'y a pas jusqu'‡ leur

physionomie qui ne soit garante de toutes les bonnes qualitÈs qu'on leur

trouve. Monsieur un tel a l'air d'un galant homme, d'un homme bien

raisonnable, disait-on tous les jours d'Ergaste : aussi l'est-il, rÈpondait-on,

je l'ai rÈpondu moi-mÍme, sa physionomie ne vous ment pas d'un mot ;

oui, fiez-vous-y ‡ cette physionomie si douce, si prÈvenante, qui disparaÓt

un quart d'heure aprËs pour faire place ‡ un visage sombre, brutal, farouche

qui devient l'effroi de toute une maison. Ergaste s'est mariÈ, sa femme, ses

enfants, son domestique ne lui connaissent encore que ce visage-l‡,

pendant qu'il promËne partout ailleurs cette physionomie si aimable que

nous lui voyons, et qui n'est qu'un masque qu'il prend au sortir de chez lui.

LISETTE

Quel fantasque avec ces deux visages !

SILVIA

N'est-on pas content de LÈandre quand on le voit ? Eh bien chez lui, c'est

un homme qui ne dit mot, qui ne rit, ni qui ne gronde ; c'est une ‚me

glacÈe, solitaire, inaccessible ; sa femme ne la connaÓt point, n'a point de

commerce avec elle, elle n'est mariÈe qu'avec une figure qui sort d'un

cabinet, qui vient ‡ table, et qui fait expirer de langueur, de froid et d'ennui

tout ce qui l'environne ; n'est-ce pas l‡ un mari bien amusant ?

LISETTE

Je gËle au rÈcit que vous m'en faites ; mais Tersandre, par exemple ?

SILVIA

Oui, Tersandre ! Il venait l'autre jour de s'emporter contre sa femme,

j'arrive, on m'annonce, je vois un homme qui vient ‡ moi les bras ouverts,

d'un air serein, dÈgagÈ, vous auriez dit qu'il sortait de la conversation la

plus badine ; sa bouche et ses yeux riaient encore ; le fourbe ! Voil‡ ce que

c'est que les hommes, qui est-ce qui croit que sa femme est ‡ lui ? Je la

trouvai toute abattue, le teint plombÈ, avec des yeux qui venaient de

pleurer, je la trouvai, comme je serai peut-Ítre, voil‡ mon portrait ‡ venir,

je vais du moins risquer d'en Ítre une copie ; elle me fit pitiÈ, Lisette : si

j'allais te faire pitiÈ aussi : cela est terrible, qu'en dis-tu ? Songe ‡ ce que

c'est qu'un mari. LISETTE

Un mari ? C'est un mari ; vous ne deviez pas finir par ce mot-l‡, il me

raccommode avec tout le reste.

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