Devoir de Philosophie

Kerouac, Sur la route (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

Kerouac, Sur la route (extrait). Ouvrage majeur de Kerouac et représentatif de la beat generation, Sur la route narre les pérégrinations libertaires d'un groupe de fils de l'Amérique moderne, dont Sal Paradise, le narrateur, qui a du mal à cacher sa fascination pour Dean Moriarty, figure tutélaire du roman. Dans son récit, Kerouac porte à son point le plus achevé la technique de l'écriture spontanée. Cette ode à la vitesse, qui dessine une coupe transversale de l'Amérique dans tous ses « états «, chante, sur fond de musique jazzy, les exclus de l'« american way of life « dans une glorification du corps, libéré de toute contrainte morale, voire sublimé par les substances illicites. Sur la route de Jack Kerouac (chapitre 13) Durant les quinze jours qui suivirent, nous fûmes unis pour le meilleur et pour le pire. En nous réveillant, nous décidâmes de gagner New York en stop ; là-bas, elle serait ma fille attitrée. J'avais comme une prémonition de furieuses complications avec Dean et Marylou et tous les autres, -- d'une nouvelle époque dans mes relations avec eux. D'abord il fallait travailler pour gagner assez d'argent pour le voyage. Terry brûlait de partir immédiatement, avec les vingt dollars qui me restaient. Ça ne me plaisait pas. Et, imbécile que je suis, je passai deux jours à examiner la question, tandis que dans les cafeterias et les bars nous consultions les offres d'emplois d'extravagants canards de LA que je n'avais jamais vus de mon existence, cela jusqu'au moment où mes vingt dollars se réduisirent à tout juste un peu plus de dix. Nous étions très heureux dans notre petite chambre d'hôtel. Au milieu de la nuit, je me levais car je ne pouvais dormir, je tirais la couverture sur les brunes épaules nues de la môme et scrutais la nuit de LA. Quelles nuits brutales, violentes c'étaient, et toutes remplies du gémissement des sirènes ! Le drame commençait juste de l'autre côté de la rue. Une vieille pension borgne, branlante, fut le théâtre d'une sorte de tragédie. La voiture de police s'était arrêtée en bas et les flics interrogeaient un vieux type aux cheveux gris. On sanglotait dans la maison. Je pouvais tout entendre, avec en plus le bourdonnement du néon de mon hôtel. De ma vie je ne me suis senti aussi triste. LA est la plus foisonnante en solitude et en brutalité des villes américaines ; New York a quelque chose de foutrement glacé en hiver mais on y sent comme une exaltation chaleureuse dans certaines rues. LA est une jungle. South Main Street, où Terry et moi allions nous balader en mangeant des hot-dogs, était un fantastique carnaval de lumière et de sauvagerie. Des flics bottés fouillaient les gens presque à tous les coins de rues. La pègre la plus carabinée du pays grouillait sur les trottoirs -- tout ça sous les étoiles pâles du Sud californien, noyées dans le halo brun du vaste campement désertique qu'est en fait Los Angeles. On pouvait humer le thé, l'herbe, j'entends la marijuana, qui surnageait dans l'air parmi des relents de chilis et de bière. Le flot magnifique, sauvage du bop s'exhalait des bistrots ; cela faisait un pot-pourri avec toutes les sortes de rythmes cow-boy et boogie-woogie de la nuit américaine. Ils avaient tous un air de famille avec Hassel. Des nègres extravagants avec des casquettes bop et des barbiches passaient en rigolant ; puis des épaves aux longs cheveux, à bout de fatigue, qui débarquaient droit de New York par la route 66 ; puis des vieux rats du désert, traînant leur ballot en quête d'un banc public à la Plaza ; puis des pasteurs méthodistes aux manches effilochées et, de temps en temps, un saint du genre « Fils de la Nature «, portant la barbe et la sandale. J'avais envie de les connaître tous, de parler à chacun, mais Terry et moi étions trop occupés tous les deux à chercher du pognon. On alla à Hollywood pour essayer de travailler au drugstore de Sunset and Vine. Quel bordel ! Des familles entières débarquaient en bagnole du fond de la cambrousse et restaient plantées sur le trottoir, bouche bée, pour lorgner quelque vedette de cinéma et la vedette de cinéma ne rappliquait jamais. Quand une limousine passait, ils s'élançaient pleins d'espoir au bord du trottoir et se baissaient pour regarder par la vitre : quelque cabot à lunettes noires siégeait là-dedans en compagnie d'une blonde à bijoux. « Don Ameche ! Don Ameche ! « « Non, Georges Murphy ! Georges Murphy ! « Ils grouillaient partout, se regardant les uns les autres. D'élégantes pédales, qui étaient venues à Hollywood pour les rôles de cow-boys, déambulaient, humectant leurs sourcils du bout de leurs doigts soignés. Les plus jolies petites poules du monde se trimbalaient en pantalon ; elles venaient avec l'espoir de devenir des starlets ; leur carrière se terminait dans des drive-ins. Terry et moi, on essayait de trouver du travail dans les drive-ins. Mais ça ne marchait nulle part. Un vaste flot frénétique d'automobiles hurlantes remplissait Hollywood Boulevard ; il y avait au moins un accrochage par minute ; chacun s'élançait vers un destin glorieux, le plus glorieux, et ne découvrait que désert et néant. Les petits snobs d'Hollywood se tenaient devant les restaurants chics, discutant exactement de la même manière qu'à New York ceux de Broadway, au Jacob's Beach, sauf que là-bas ils portaient des complets légers et étaient encore plus sottement prétentieux. Des prédicateurs, longs, cadavériques, passaient en frissonnant. De grosses rombières glapissantes traversaient le boulevard en courant pour prendre la queue aux quitte ou double. Je vis Jerry Colonna acheter une auto aux magasins Buick ; il était là, dans l'immense vitrine, en train de se caresser la moustache. Terry et moi, on mangea dans une cafeteria du centre qu'on avait décorée pour donner l'illusion d'une grotte, avec des nichons en métal jaillissant de partout et des grosses fesses anonymes en pierre, attributs de diverses divinités, et un doucereux Neptune. Les gens mangeaient des plats lugubres parmi les cascades, leurs visages verdoyant d'angoisse océanique. Tous les flics de LA avaient une dégaine d'élégants gigolos ; manifestement ils avaient rappliqué à LA pour faire du cinéma. Tout le monde venait pour le cinéma, même moi. Terry et moi en fûmes réduits finalement à chercher du boulot vers South Main Street parmi les laveuses de vaisselle et les garçons de café désabusés qui ne faisaient pas tout un plat de la débine, et même là, rien à faire. On avait encore des dollars. « Mon pote, je vais chercher mes fringues chez Sis et nous partons en stop à New York, dit Terry. Allons, mon pote. Faut faire ça. Si tu ne connais pas le boogie, je te montrerai le truc ! « La dernière phrase, c'était une chanson à elle qu'elle n'arrêtait pas de chanter. On fonça chez sa soeur, parmi les fragiles bicoques mexicaines, quelque part au-delà d'Alameda Avenue. J'attendis dans une ruelle obscure qui longeait les cuisines mexicaines, parce qu'il ne fallait pas que sa soeur me vît. Des chiens passaient au galop. De petites lampes éclairaient les petits sentiers à rats. Je pouvais entendre Terry et sa soeur qui discutaient dans la nuit chaude et ouatée. J'étais prêt à n'importe quoi. Source : Kerouac (Jack), Sur la route, trad. par Jacques Houbard, Paris, Gallimard, coll. « Folio «, 1976. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles