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La chance des échanges

Publié le 22/02/2012

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23 mars 1990 - Un quart de siècle de croissance, interrompue deux fois seulement, en 1975 et 1982, c'est la performance indiscutable de l'économie mondiale depuis 1963. Comme la production, les échanges ont suivi une pente ascendante en volume ( c'est-à-dire sans tenir compte des effets de prix et de change), mais avec un dynamisme différent. Sur cette période, qui couvre la fin des Trente glorieuses, la crise des années 74-83, puis l'expansion retrouvée de la deuxième partie des années 80, la production a été multipliée par 2,7 tandis que le commerce international a été multiplié par 4. Cette autonomie des échanges s'accentue depuis cinq ou six ans, ce qui permet à Arthur Dunkel, l'actuel directeur général de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ( GATT), d'écrire dans son rapport de décembre 1989 : " A l'évidence, le commerce mondial n'est pas seulement stimulé par la croissance de la production mondiale, mais il est l'un des moteurs de la poursuite de l'expansion. " La doctrine américaine de l'après-guerre, selon laquelle la liberté du commerce serait l'instrument de la prospérité générale, n'a pas reçu de démenti. En 1962-1963, réagissant à l'apparition d'un nouveau bloc commercial en Europe de l'Ouest, la Communauté économique européenne ( CEE), l'administration démocrate américaine a relancé les négociations commerciales multilatérales ( NCM). Le Kennedy Round ( 1964-1967) a permis de réduire à moins de 10 % la moyenne des droits de douane mondiaux sur les produits industriels, tout en reconnaissant, pour la première fois, les intérêts spécifiques des pays en développement. Les cycles suivants du GATT, le Tokyo Round ( 1973-1976) et l'Uruguay Round ( 1987-1990), élargissent encore la négociation multilatérale : une centaine de pays sont désormais concernés et l'on ne parle plus seulement de droits de douane, mais aussi de toutes les limitations non tarifaires ( marchés publics réservés, normes, subventions). Enfin, l'agriculture et les services font aussi l'objet de discussions. Toutefois les résultats brillants du commerce mondial et la négociation quasi permanente sur la liberté des échanges ne doivent pas faire illusion. Il y a des gagnants et des perdants dans la compétition commerciale. Les pays en développement, pris dans leur ensemble, font partie de la deuxième catégorie. Spécialisés dans le commerce des produits primaires, agricoles et minéraux, ils ont subi une détérioration presque permanente des termes de l'échange-à l'exception, pour les pays producteurs de pétrole, de brèves périodes dans les années 70. Le pari gagné du Japon dans les années 60, puis des " nouveaux dragons " d'Extrême-Orient, a été de fonder leur décollage économique sur les produits technologiques de grande consommation ( appareils photo, montres, jouets, électronique). D'autres aussi, comme le Brésil, ont développé des industries de biens de consommation ou intermédiaires qui leur ont permis de prendre des parts considérables du marché mondial. Reste que la domination des pays riches sur le commerce mondial n'a en rien diminué. Elle est même allée en se renforçant. De plus, sans que le libre-échange soit jamais réellement menacé, les tensions ont souvent été vives dans le commerce international. La politique a fait irruption plus d'une fois sur le terrain du commerce. Par exemple dans toutes les restrictions liées à la guerre froide, comme les interdictions d'exportation de produits technologiques vers les pays de l'Est dans le cadre du Cocom ou l'embargo céréalier décidé par les Etats-Unis à l'encontre de l'URSS après l'invasion de l'Afghanistan. L'arme du pétrole a été utilisée par deux fois par les pays arabes producteurs de brut contre Israël et ses alliés occidentaux. L'Afrique du Sud a été mise au ban des nations commerçantes à cause de sa politique d'apartheid. Outre ces cas relativement rares, les tensions au jour le jour n'ont pas manqué entre pays partenaires, notamment dans les domaines de l'acier et de l'agriculture. Les Etats-Unis, restés de très loin le premier importateur mondial, ont perdu progressivement, depuis le début des années 70, leur suprématie à l'exportation. L'apparition d'un déficit commercial géant, au milieu des années 80, a ravivé dans ce pays les tentations protectionnistes. Bien que le président Ronald Reagan et son successeur, George Bush, aient opposé leur veto aux lois les plus ouvertement protectionnistes souhaitées par le Congrès, ils ont renforcé leur arsenal législatif contre les " pratiques déloyales ", se réservant le droit d'en juger de manière unilatérale. A l'opposé, deux pays ont accumulé des excédents commerciaux considérables : le Japon-surtout envers les Etats-Unis-et l'Allemagne fédérale-surtout envers les autres pays d'Europe. Les autres grandes nations commerçantes-la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Suisse-se sont en revanche installées dans un déficit commercial chronique ( compensé partiellement par les services). Une troisième catégorie de pays, ceux du bloc de l'Est, ont vu leurs échanges, entre eux et avec le reste du monde, se développer moins vite que la moyenne du commerce mondial. La conversion des pays socialistes à l'économie de marché, si elle se réalise, devrait élargir, dans des proportions qu'on aurait eu peine à imaginer voici encore un an, le champ du libre commerce. La multiplication des accords commerciaux, avec la CEE, avec les Etats-Unis, montre bien l'espoir que les pays de l'Est placent dans le développement de leurs échanges en monnaies convertibles-en attendant la normalisation des transactions entre eux. Le commerce international, après la conclusion de l'Uruguay Round, devrait encore connaître bien des années fastes. SOPHIE GHERARDI Bilan économique, 1989

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