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LA MODERNITE DES YEUX D'ELSA, L. ARAGON, 1942 : l'exploitation de la poésie traditionnelle et la « poésie de contrebande ».

Publié le 11/09/2006

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Les Yeux d’Elsa, composé entre 1940 et 1942, est un recueil de lutte et de protestation, défini par son contexte d’écriture – la seconde guerre mondiale ; il s’agit donc d’une poésie de résistance, au même titre que celle de Paul Eluard ou de l’éditeur d’Aragon, Pierre Seghers. Les événements imposent une forme et une tactique : Aragon doit contourner la censure ; à ce titre, le poème est à la fois traditionnel du point de vue des formes littéraires choisies (mètres, strophes classiques) et moderne avec notamment l’exploitation de l’allusion et de la référence savante dans le principe de la « poésie de contrebande «.    I. L’exploitation des éléments traditionnels.    - Jusqu’à la seconde guerre, Aragon s’était consacré à la poésie surréaliste, en rupture radicale avec la tradition (rejet des genres et des règles poétiques traditionnels), puis avait écrit surtout en vers libres. Dans Les Yeux d’Elsa, il revient à des formes traditionnelles : vers pairs uniquement (l’alexandrin domine), strophes traditionnelles (huitains, quintils, quatrains, tercets, distiques). Il s’agit d’être accessible au plus grand nombre de lecteurs.    - Mais les règles traditionnelles sont également convoquées jusqu’à l’excès : la poésie d’Aragon en rajoute toujours : insistance sur les diérèses, jeux sur les césures, et surtout jeu sur les sonorités : le recueil est gonflé d’allitérations, d’assonances, de jeux de reprises d’un vers à l’autre (voire d’une poésie à l’autre), d’homophones… La modernité vient de l’exagération et de la systématisation de ces procédés.    - Ainsi les caractéristiques de la poésie traditionnelles sont exploitées par Aragon dans le but de faire renouer la poésie avec ses origines : la musicalité, l’oralité, le chant. La plupart des poèmes sont traversés par des termes évoquant les instruments, la voix, le chant, la musique. Il s’agit en effet pour le poète de dire la guerre et l’occupation, de la dénoncer, en recherchant une forme poétique propre à ce propos. (cf. « La nuit de Dunkerque « et la répétition de « Je crierai «).    II. La « poésie de contrebande «.    Cette forme poétique, c’est celle de la « poésie de contrebande «, principe mis au point par Elsa Triolet et Louis Aragon dès le début de la seconde guerre. Les Yeux d’Elsa multiplie les niveaux de lecture : en apparence poèmes d’amour (« les yeux d’Elsa «, « Plus belle que les larmes «,« Cantique à Elsa «), poèmes célébrant des couples célèbres du passé (les « Plaintes «) ou des poètes (Musset dans « Les nuits «, Verlaine dans « Fêtes Galantes «), poèmes d’inspiration médiévale (« C «, « Chanson de récréance «, « Imité de Camoëns «, « Lancelot «), les poèmes d’Aragon s’attachent tous aux différents aspects de la guerre pour les dénoncer : les combats sanglants des « Nuits «, l’occupation et son « monde à l’envers « dans les images de carnaval des « Folies Giboulées « et de « Fêtes galantes «, l’appel à la résistance dans « la chanson de récréance «…  La « poésie de contrebande « est la transposition moderne d’une poésie médiévale, le « trobar clus «, ou « art fermé des troubadours « : les références savantes et culturelles sont des énigmes à déchiffrer ; d’où l’abondance du vocabulaire savant et très rare ainsi que d’un lexique d’ancien français dans le recueil. Or c’est précisément la littérature médiévale qui est la plus utilisée par Aragon pour ce jeu sur le double-sens, en permettant de crypter les appels à la résistance et les dénonciations du poète :    - L’amour courtois ou « fin amor « :    Le « fin amor «, « amour raffiné «, forme sublimée de la relation amoureuse que l’on appelle aussi « amour courtois « se caractérise par un code amoureux dans lequel le chevalier voue admiration et soumission totale à sa Dame : l’image de la femme est idéalisée à l’excès, hyperbolique, et l’amant doit accomplir des épreuves, des hauts faits pour la mériter. Il doit aussi la chanter, procéder à son éloge permanent, célébrer ses qualités morales et physiques.  Le fait que le genre du blason (« Les yeux d’Elsa «) domine le recueil, puisque celui-ci porte le nom du premier poème, signifie cette relation amoureuse entre le poète et Elsa, femme idéalisée qui est à la fois muse et Dame, au sens médiéval du terme (« Ce que dit Elsa «). La femme est en permanence idéalisée et célébrée, figurant l’espoir et la liberté pour Aragon et les hommes en général.  Les références aux amours médiévales sont nombreuses : le troubadour Bertrand de Borne dans « Pour un chant national «, Lancelot dans le poème du même nom, pour son amour pour la reine Guenièvre, Tristan et Yseut dans « La chanson de récréance « ou « Ce que dit Elsa «, le chevalier amoureux et blessé et l’ « éternelle fiancée « de « C «…  Mais la célébration de la femme permet aussi et surtout une célébration de la France : les deux figures (la patrie et la femme aimée) sont superposées (« C «, « Lancelot «). Il s’agit d’un « chant national « avant d’être une poésie d’amour. Notons ainsi que le seul fait de célébrer une femme juive (Elsa), en plein antisémitisme nazi et français, est encore une contrebande.    - L’épopée chevaleresque :    Aragon s’identifie à la figure du chevalier traversant des épreuves (par exemple celle des ponts dans « C «) et guerroyant. Il s’agit en effet de renvoyer et de s’opposer à la « culture « des années d’occupation : les nazis utilisaient le moyen-âge comme réservoir d’une mythologie aryenne et virile (Lohengrin ou Perceval, personnages de la littérature médiévale repris dans les opéras de Wagner, eux-mêmes récupérés par la propagande nazie).  Aragon lutte donc sur le terrain de l’adversaire, en montrant que les nazis ont une interprétation abusive et erronée du folklore médiéval : Perceval est ainsi arraché à Wagner par Aragon, qui en fait un héros de la résistance. Ou encore Aragon s’approprie la figure historique de Richard Cœur-de-Lion, qui fut lui-même poète et emprisonné.    De plus, le poète adopte le principe de l’épopée, écriture naturellement hyperbolique célébrant la gloire de héros notamment par le récit de leurs exploits. Ce qui plait à Aragon dans l’épopée, c’est qu’elle sert souvent à fonder sur un passé (plus ou moins légendaire) une identité nationale. Ainsi L’Iliade d’Homère (évoqué dans la « Plainte pour le grand descort…«) et la Grèce, L’Enéide de Virgile (évoqué au début de la « Plainte pour le quatrième centenaire d’un amour «) et Rome, la Franciade de Ronsard, elle même appuyée sur l’épopée de Roland à Roncevaux (« Plus belle que les larmes «, p.92), ou les Lusiades du portugais Camoëns (cf. « Imité de Camoëns «).  L’épopée est interprétée par un « aède «, un chanteur (troubadour ou trouvers) auquel s’identifie Aragaon, comme il s’identifie à Homère (« Plainte pour le grand descort… «). La chanson de geste est censée stimuler les héros, comme le poète le fait dans « Plus belle que les larmes «, et de nature guerrière : les résistants et les soldats sont des « paladins français au trépas « (« Plainte pour le quatrième centenaire… «), ou sont « partis pour la croisade « (« pour un chant national «), ils trouvent « le défaut de l’armure « ennemie et « l’étrier du traître « (« Lancelot «). La section « les nuits « est encore plus spécifiquement épique puisque ces poèmes relatent les combats, exaltant le sacrifice et l’héroïsme (cependant vain puisque Pétain signera une reddition qu’Aragon récuse) des soldats avec lesquels il avait combattu dans le nord.

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« - L'épopée chevaleresque : Aragon s'identifie à la figure du chevalier traversant des épreuves (par exemple celle des ponts dans « C ») et guerroyant.

Il s'agiten effet de renvoyer et de s'opposer à la « culture » des années d'occupation : les nazis utilisaient le moyen-âge comme réservoird'une mythologie aryenne et virile (Lohengrin ou Perceval, personnages de la littérature médiévale repris dans les opéras deWagner, eux-mêmes récupérés par la propagande nazie).Aragon lutte donc sur le terrain de l'adversaire, en montrant que les nazis ont une interprétation abusive et erronée du folkloremédiéval : Perceval est ainsi arraché à Wagner par Aragon, qui en fait un héros de la résistance.

Ou encore Aragon s'approprie lafigure historique de Richard Cœur-de-Lion, qui fut lui-même poète et emprisonné. De plus, le poète adopte le principe de l'épopée, écriture naturellement hyperbolique célébrant la gloire de héros notamment parle récit de leurs exploits.

Ce qui plait à Aragon dans l'épopée, c'est qu'elle sert souvent à fonder sur un passé (plus ou moinslégendaire) une identité nationale.

Ainsi L'Iliade d'Homère (évoqué dans la « Plainte pour le grand descort…») et la Grèce,L'Enéide de Virgile (évoqué au début de la « Plainte pour le quatrième centenaire d'un amour ») et Rome, la Franciade deRonsard, elle même appuyée sur l'épopée de Roland à Roncevaux (« Plus belle que les larmes », p.92), ou les Lusiades duportugais Camoëns (cf.

« Imité de Camoëns »).L'épopée est interprétée par un « aède », un chanteur (troubadour ou trouvers) auquel s'identifie Aragaon, comme il s'identifie àHomère (« Plainte pour le grand descort… »).

La chanson de geste est censée stimuler les héros, comme le poète le fait dans« Plus belle que les larmes », et de nature guerrière : les résistants et les soldats sont des « paladins français au trépas » (« Plaintepour le quatrième centenaire… »), ou sont « partis pour la croisade » (« pour un chant national »), ils trouvent « le défaut del'armure » ennemie et « l'étrier du traître » (« Lancelot »).

La section « les nuits » est encore plus spécifiquement épique puisqueces poèmes relatent les combats, exaltant le sacrifice et l'héroïsme (cependant vain puisque Pétain signera une redditionqu'Aragon récuse) des soldats avec lesquels il avait combattu dans le nord.. »

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