Introduction «Le vrai sage [...] doit savoir se dominer soi-même et demeurer à la marge des passions et des nécessités de la masse sans s'isoler, sans s'éloigner de la réalité dans laquelle il vit, mais en aidant les autres dans la limite du possible.«1 Cette citation, qui se réfère au comportement idéaliste d'un sage stoïcien, montre quelques similtudes avec la conduite d'Antoine, le protagoniste du roman Comme je suis devenu stupide (Martin Page). Antoine sait bien se dominer lui-même et demeurer à la marge des passions de la masse. Il préfère lire au lieu d'aller aux fêtes; et de plus, il ne boit pas d'alcool. Il est plutôt un observateur qu'un participant de la vie. Cependant, il y a aussi des différences. En étant qu'un observateur, Antoine s'éloigne de la réalité. Antoine, âgé de 25 ans, victime des conséquences de ses capacités intellectuelles, se décide à changer sa manière de vivre en devenant stupide. «Peut-être que pour rentrer dans la réalité, il apprend un peu à devenir un fantôme, à ne pas se laisser blesser par toutes les choses qui pourraient le blesser. À ne plus trop croire au monde, en fait, pour faire partie du monde.«2 Ce changement reflète, comme le montre la citation, plus que le «simple« processus de devenir stupide, contrairement à ce que le lecteur espérait découvrir dans le titre du livre Comme je suis devenu stupide. La problématique n'est pas seulement l'intélligence du protagoniste et sa manière de la gérer, mais par contre celle de trouver une nouvelle façon de vivre pour être heureux. Le roman offre beaucoup d'oppotunités pour des interprétations métaphoriques: L'art de la philosophie étant de comprendre et interpréter le monde et l'existence, comme le fait Antoine, il n'est pas étonnant qu'on puisse trouver quelques traces stoïciennes dans son comportement. Le but de ce travail est de découvrir ces attitudes stoïciennes en ce qui concerne le comportement et les idées d'Antoine. La question n'est pas s'il vit ou s'il ne vit pas de manière stoïcienne, mais celle d'analyser ses attitudes et pensées sous une perspective philosophique (version simplifiée dans le cadre de ce travail). Apathie, autarcie et imperturbalité L'éthique du stoïcisme aspire à la libération des passions (pour arriver à l'apathie) afin qu'on se contente par l'autosuffisance (autarcie) et l'imperturbabilité (tranquillité). En ce qui concerne Antoine, on peut dire qu'il arrive à un état similaire à l'apathie en s'éloignant des passions: «Il essayait d'être aussi objectif sur lui-même que sur les autres, il constatait qu'en essayant de tout comprendre, il avait appris de ne pas vivre, à ne pas aimer [...].«3 L'apathie «conseille, en fait, que [...] [le stoïcien] prend les choses comme elles arrivent, sans les juger en bien Citation originale: «El verdadero sabio [...] debe saber dominarse a sí mismo y mantenerse al margen de las pasiones y necesidades del vulgo sin retirarse, sin apartarse de la realidad en que vive, sino socorriendo a los demás en la medida de lo posible.« Appa rue dans: Bregante Otero, Jesús: Diccionario Espasa literatura española. Espasa, Madrid 2003. P. 920 2 Martin Page sur: www.fluctuat.net/livres/interview/page.htm. Date: 31 juillet 2011 3 Page, Martin: Comme je suis devenu stupide. Édition J'ai lu, Paris 2006. P. 55 1 1 ou en mal et sans développer une disposition affective face à elles«.4 En outre, Antoine est indifférent par rapport à son existence. Il «ne voulait pas vivre, mais il voulait pas mourir non plus«5. Bien qu'il souffre «d'une depression depuis vingt-cinq ans«6 et son indifférence par rapport à son existence pourrait être considérée comme un symptôme de sa maladie, néanmoins il est évident qu'il n'éprouve aucun sentiment de passion. Son état peut donc être appelé apathique. De plus, on peut observer une certaine imperturbabilité dans la conduite d'Antoine; il semble aller son propre chemin sans se laisser distraire par l'opinion ou le comportement des autres: «S'il avait reçu de nombreuses et profondes blessures, cela n'avait en rien durci son caractère «7. Quand Antoine réfléchit aux avantages d'une vie «stupide«, il nomme «les éléments bénéfiques qui y nagent comme les oligo-éléments: le bonheur, une certaine distance, une capacité à ne pas souffrir de [...] [son] empathie, une légèreté de vie, d'esprit« 8. On peut donc conclure qu'il souffre des «oligo-éléments« contraires, ceux qui «nagent« dans l'intélligence. C'est-à-dire, il n'a pas assez de distance pour vivre heureusement à cause de son empathie. Par conséquent, il souffre, tandis que la doctrine sto ïcienne aspire à être heureux. Néanmoins, l'apathie n'est pas «une sorte d'invulnérabilité de l'âme, [...] un sage stoïcien, comme tout le monde, éprouve certainement des sentiments negatives. Il diffère des autres par endurer ses sentiments, et, ainsi, ils n'influent pas du tout sa joie«.9 Antoine remplit les conditions pour atteindre l'état d'un sage stoïcien , mais il n'arrive pas à être heureux. Comment peut-on expliquer ce fait dans le cadre du modèle stoïcien? Il faut regarder le logos et l'autoconnaissance comme la base de l'état apathique, tranquille et autarcique pour trouver le problème philosophique d'Antoine. Le logos et l'auto-connaissance L'état de l'apathie, de l'autosuffisance et de la tranquillité est atteint par l'acceptance de soi-même comme une partie intégrante de la nature. L'éthique du stoïcisme appelle à la connaissance de soi-même (pour pouvoir se dominer) et en même temps à l'adaptation des conduites, des habitudes et des attitudes, comme nous l'avons déjà vu dans la citation introductrice. Cela conduit à l'autoperfectionnement (oikeiosis). Pour s'identifier comme une partie intégrante de la nature il faut la comprendre: La nature est structurée par le fonctionnement logique de l'environnement (logos), c'est-à-dire le comportement des être humains et celui de la nature. Le logos se caractérise donc par la suivie des certains principes. Pour devenir un sage stoïcien, il faut, par conséquent, analyser ces principes. Citation originale: «[...] advises, in effect, that [...] [the stoic] takes things as they come to him, without judging them to be good or bad and without developing an affective disposition towards them.« Apparue dans: Holowchak, M. Andrew: The stoics: A guide for the perplexed. Continuum, London 2008. P. 48 5 Ibid., p. 39 6 Page, Martin: Comme je suis devenu stupide. Édition J'ai lu, Paris 2006. P. 21 7 Ibid., p. 13 8 Ibid., p. 72 9 Citation originale: «[...] a sort of invulnerability of the soul, [...] a Stoic sage, like anyone else, certainly feels his troubles. He differs from others in that he endures his troubles, and, thus, they not at all affect his happiness.« Apparue dans: Holowchak, M. Andrew: The stoics: A guide for the perplexed. Continuum, London 2008. P. 48 4 2 La base de la doctrine stoïcienne est aussi le scepticisme face à la capacité de l'être humain «de connaître et dominer la réalité: la vérité appartient au monde trascendant et prétendre savoir est aussi une vanité; il n'y a que le savoir considérable du «nosce te ipsum«, «connais toi-même«, comme une partie de la prise de conscience de la propre mortalité« 10. Si Antoine est arrivé aux états de l'apathie, de l'autosuffisance et de la tranquillité, quoique sans être heureux, at-il déjà rempli les conditions de connaître lui-même, le logos et sa position dans le principe du logos? Lui, sans en étant conscient (s'il n'a pas lu de livres stoïciens), se comporte suivant le modèle stoïcien: D'un côté il observe son environnement et ne peut pas s'empêcher «d'analyser et de tenter et de comprendre comment ce bazar tient et marche«11. Il connaît donc «les contingences et les multiples déterminismes pesant sur les être humains«12. D'un autre côté il réflète son comportement et ses pensées, c'est à dire lui-même, ainsi qu'il atteint l'auto-connaissance. Cela comprend aussi qu'il analyse sa propre position dans le principe du logos. «Il n'est pas possible de vivre en étant trop conscient, trop pensant«13. Antoine aspire à l'auto-connaissance consciemment en voulant comprendre son environnement et lui-même; par conséquent, il «s'intéresse à trop de choses [...] - et [...] [veut même] comprendre les raisons de [...] [son] désintérêt- en payant le prix par une certaine solitude«14. De plus, l'histoire de Comme je suis devenu stupide même est preuve des réflexions d'Antoine concernant luimême et son environnement, qui sont la base du changement qui y est décrit. Il sait bien que «les hommes simplifient le monde par le langage et la pensée, ainsi ils ont des certitudes« 15 et il prend ses distances à l'égard de cette simplification pour pouvoir comprendre en observant. Cependant, il n'a pas trouvé un équilibre entre l'intégration au logos et la connaissance de son individualité, obtenue par l'auto-connaissance. Il comprend le logos, mais il n'y participe pas: «Je n'ai plus la force d'être moi, plus le courage, plus l'envie d'avoir quelque chose comme une personnalité. Une personnalité, c'est un luxe qui me coûte trop cher. Je veux être un spectre banal. J'en ai assez de ma liberté d e pensée, de toutes mes connaissances [...]« 16. On pourrait identifier la «personnalité« comme la manque d'équilibre décrite. Il a entendu, il a analysé, il est devenu une personne consciente du logos et d'elle-même, mais il a oublié d'y participer au lieu de l'observer. Pour revenir à la citation au début: Il sait se dominer lui-même et demeurer à la marge des passions et des nécessités de la masse, mais pas «sans s'isoler, sans s'éloigner de la réalité« 17. De plus, il essaie trop de comprendre. Le savoir du logos contient aussi la conscience du fait «que les choses sont divisées en propres et étranges. Nous avons en main les propres, les étranges sont en main étrage. Il faut Citation originale: «[...] de conocer y dominar la realidad: la verdad pertenece al mundo trascendente y la pretensión de sabiduría es una vanidad más; la única sabiduría apreciable será la del nosce te ipsum, ,conócete a tí mismo', como parte de la toma de conciencia de la propia caducidad.« Apparue dans: Arellano, Ignacio: Francisco de Quevedo. Sintesis, Madrid 2006. P. 51 11 Page, Martin: Comme je suis devenu stupide. Édition J'ai lu, Paris 2006. P. 21. 12 Ibid., p. 28 13 Ibid., p. 49 14 Ibid., p. 48 15 Ibid., p. 50 16 Ibid., p. 22 17 Citation originale: «[...] sin retirarse, sin apartarse de la realidad«. Apparue dans: Bregante Otero, Jesús: Diccionario Espasa literatura española. Espasa, Madrid 2003. P. 920 10 3 que les choses étranges ni nous pertubent ni affligent«18. S'il mène à être heureux de considérer qu'il n'y a rien à savoir et que la realité des choses étranges ne peut pas être dominée, le processus de «devenir stupide« implique de l'accepter. Le fait qu'Antoine lit beaucoup, qu'il a terminé plusieurs études, montre bien qu'il vit dans un monde théorique au lieu de participer à la vie. De plus, encore une fois, son empathie est le problème qui l'empêche de ne pas être affligé par les choses étranges. Résultats Antoine se comporte d'une manière stoïcienne en essayant de comprendre les principes et le comportement de son environnement (logos) en analysant lui-même et sa façon de vivre. Il arrive donc à l'auto-connaissance et obtient une compréhension du logos. Cependant, il échoue de se comporter comme une partie intégrante au logos, même s'il en est conscient: «Je ne veux pas être totalement intégré, mais je ne veux pas non plus être désintégré«19. Le problème d'Antoine est donc celui de trouver l'équilibre entr e la conscience de son intégration au logos et celle de son individualité. Néanmoins, il réussit à vivre l'état de l'apathie et l'autarcie et de l'imperturbalité. L'objectivité l'aide à prendre distance aux choses qu'il analyse et la tentative de comprendre tout sans simplifier lui permet d'avoir une certaine distance à la masse. Cependant, il ne peut pas profiter de cet état parce qu'il pense trop et il souffre «de cette sorte d'asocialité qui vient de trop de tolérance et de compréhension«20, il est donc isolé. La base de ce problème est son empathie. La solution suivant le modèle stoïcien serait endurer ces souffrances et ne pas être affligé ou perturbé par les «choses étranges«. Le processus de «devenir stupide« peut être interpreté comme manière de terminer le processus de devenir un sage stoïcien. Antoine veut gagner de la distance aux sentiments des autres pour ne plus se laisser blesser et en même temps il veut s'intégrer dans la société et commencer à vivre dans la réalité. S'il y réussit, il sait se dominer lui-même «et demeurer à la marge des passions et des nécessités de la masse sans s'isoler, sans s'éloigner de la réalité dans laquelle il vit, mais en aidant les autres dans la limite du possible.« 21 Et voilà ce qui caractérise le sage stoïcien, comme nous avons vu au début de ce travail. Finalement, on peut dire qu'Antoine se comporte d'une manière philosophique. Si son plan fonctionne et il sera intégré à la fin, il a réussi à être une partie de la société au lieu de s'exclure. Mais il diffère encore des autres (c'est-à-dire des personnes qui n'ont pas pensé trop) en savant pourquoi il se comporte comme il le fait. Il vit plus consciemment à cause de son savoir. Même s'il essaie de prendre ses distances pour ne pas vivre consciemment. Citation originale: «[...] que las cosas se dividen en propias y ajenas. Las propias están en nuestra mano y las ajenas en mano ajena. Las ajenas no han de perturbarnos ni afligirnos.« Apparue dans: Arellano, Ignacio: Francisco de Quevedo. Sintesis, Madrid 2006. P. 51 et s. 19 Page, Martin: Comme je suis devenu stupide. Édition J'ai lu, Paris 2006. P. 55 20 Ibid., p. 12 21 Citation originale: «El verdadero sabio [...] debe saber dominarse a sí mismo y mantenerse al margen de las pasiones y necesidades del vulgo sin retirarse, sin apartarse de la realidad en que vive, sino socorriendo a los demás en la medida de lo posible.« Apparue da ns: Bregante Otero, Jesús: Diccionario Espasa literatura española. Espasa, Madrid 2003. P. 920 18 4