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L'animal, hors de la loi par J.Y.Goffi (Philosophie Magazine n°2)

Publié le 22/02/2012

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Les mauvais traitements que nous infligeons aux animaux doivent-ils être sanctionnés par la loi ? Pour Thomas Regan, philosophe américain aux thèses discutées dans le monde anglo-saxon, nous avons des obligations morales envers tout mammifère âgé d'un an et plus. Seules les personnes et les choses sont reconnues en droit français : l'animal n'étant pas une personne, il est une chose et, plus précisément, un bien meuble. On reconnaît de plus en plus que son statut d'être vivant doué de sensibilité s'accommode mal de ce régime, mais l'inscription de cette reconnaissance dans le droit est loin d'être acquise. Vouloir conférer des droits aux animaux semble le comble de l'absurdité tant il semble évident que nous ne formons pas de société juridique avec eux. Ne parlons-nous pas de loi de la jungle pour désigner une compétition brutale et meurtrière, qu'aucune règle de droit ne vient modérer ou humaniser ? Certains philosophes contemporains ont relevé le défi, comme l'Américain Thomas Regan. Au même titre que Peter Singer, partisan utilitariste de la libération animale, il défend l'existence de droits de l'animal, sans pour autant faire des bêtes des sujets de droit. Dans son livre The Case for Animal Rights (1984), il concède d'emblée que les animaux ne peuvent être que des patients moraux: s'ils ont des droits, ils n'ont aucun devoir. Leurs droits sont comparables à ceux qui justifient les protections particulières dont bénéficient, en droit français, les incapables juridiques et les enfants, par exemple. Thomas Regan contourne ainsi l'objection selon laquelle l'existence ou l'expression d'une volonté rationnelle sont seules constitutives de droits. Il ne propose pas de justifier l'attribution de droits juridiques, mais de détecter la présence de droits moraux. La distinction est d'origine stoïcienne : les droits juridiques sont inscrits dans le droit positif qui leur confère un caractère contraignant. Ils sont susceptibles de varier selon les temps et les lieux; leur validité est conventionnelle. Les droits moraux sont censés découler de la nature même des choses : ils sont accessibles à l'inspection attentive de la droite raison. Ils n'ont donc pas besoin d'être inscrits dans le droit pour être reconnus. Au contraire, si tel ou tel système juridique particulier les méconnaît, c'est l'indice de sa perversité. Par conséquent, les droits moraux ont valeur de modèle pour les législateurs qui rédigent des systèmes juridiques. Les droits moraux constituent, selon Thomas Regan, une sorte de périmètre protecteur autour des entités ayant une valeur inhérente. Distincte de la valeur intrinsèque, simple fonction des expériences heureuses ou malheureuses que chacun peut éprouver, la valeur inhérente s'attache aux êtres dont la vie mentale est suffisamment complexe pour que ce qui leur arrive leur importe. La valeur est une propriété inhérente à de tels êtres, non un bien intrinsèquement désirable qui leur serait attaché de façon contingente, comme d'éprouver du plaisir ou voir ses préférences satisfaites. Parmi les éléments de cette complexité, Thomas Regan repère les croyances et les désirs, la perception, la mémoire et le sens du futur, une identité psychophysique à travers le temps, la capacité à agir de façon intentionnelle, etc. Tout cela se retrouve chez les mammifères normaux âgés de un an et plus, note Thomas Regan. Ils se qualifient donc parmi les titulaires de droits moraux. Mais comment doit-on les traiter si l'on veut que ces droits soient respectés ? Dans le cas de l'expérimentation sur l'animal, il arrive que des expériences soient mal contrôlées, mal documentées, mal interprétées, bref qu'elles soient inutiles. Beaucoup font, en outre, cruellement souffrir les animaux qui y sont « enrôlés » (nous savons tous ce que cela veut dire, dans le langage courant, que d'être traité comme un cobaye) et qui sont souvent « sacrifiés » à l'issue de l'expérience. On pourrait répondre que, lorsque l'expérimentation sur l'animal s'accompagne de bonnes pratiques (protocoles expérimentaux rigoureusement conçus, animaleries bien tenues, personnel formé et expérimentateurs en possession des certificats nécessaires), elle permet des progrès significatifs en biologie et en médecine. Au demeurant, elle est réglementaire dans de nombreux domaines : par exemple, pas question de délivrer une autorisation de mise sur le marché d'un médicament si toutes sortes de tests impliquant des animaux n'ont pas été menés en amont. Il ne semble donc pas absurde de soutenir que les bénéfices apportés par cette pratique sont plus importants que les dommages et les risques qui s'y attachent. Thomas Regan juge cette argumentation fondamentalement défectueuse, car elle présuppose que des individus ayant une valeur inhérente peuvent être traités comme de simples ressources dont on dispose à sa guise. Elle est aveugle au fait qu'il s'agit d'une violation caractérisée de leurs droits et, à ce titre, une pratique moralement condamnable. Cette critique s'applique aussi à des pratiques comme l'alimentation carnée, la chasse et la pêche, les zoos, l'élevage industriel, etc. Le philosophe américain considère comme injustes les usages auxquels les hommes soumettent les animaux. Mettre fin à cette injustice requiert une reconfiguration en profondeur de nos modes de vie : le végétarisme devient ainsi moralement obligatoire. Ici, les considérations théoriques de haute volée rejoignent des questions pratiques concrètes. C'est peut-être ce qui explique une certaine résistance aux thèses de Regan.

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