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Le Chagrin et la Pitié

Publié le 22/02/2012

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Mémoire 1971 -   Ce film dure quatre heures. Il pourrait durer deux ou trois heures de plus, on ne s'en lasserait pas , il passionnerait encore. C'est que ce film nous concerne tous, concerne tous les Français, qu'ils aient ou non vécu l'occupation allemande et, parmi ceux qui la vécurent, quelle qu'ait été alors leur attitude et quelles que soient aujourd'hui leurs opinions sur ce qui s'est passé en France pendant les années noires,.    Certes, il ravive de funestes souvenirs, certes; il bouscule des légendes rassurantes, certes, il dérange, fait mal et donne par moments envie de hurler ou de pleurer. Mais nul ne pourra nier la sincérité, la lucidité des auteurs, l'inlassable curiosité avec laquelle ils ont mené leur quête. Et tous ceux qui préfèrent à l'euphorie des mythes ou simplement à l'oubli l'inconfortable vérité l'accueilleront comme un salutaire examen de conscience.    Les problèmes qu'avaient l'intention d'aborder dans leur film Marcel Ophüls et André Harris étaient si nombreux et si vastes qu'ils éprouvèrent le besoin de les cristalliser en un point précis et de choisir, pour porter témoignage, une ville de la province française. Après avoir pensé à Limoges, à Toulouse, à Lyon, ils se décidèrent finalement pour Clermont-Ferrand. Le Chagrin et la Pitié commence donc par être une chronique de la vie à Clermont Ferrand entre 1940 et 1944. Deux frères, Alexis et Louis Grave, fermiers dans un village voisin de la ville, ouvrent le débat...    Mais, sous la poussée de l'histoire, ce cadre local éclate rapidement. Venus de tous les horizons (et de tous les pays intéressés), une multitude de personnages - hommes politiques, chefs militaires, modestes citoyens, anciens combattants, résistants et collaborateurs - se succèdent sur l'écran et évoquent selon leur point de vue les événements auxquels ils participèrent. A cette suite de récits, de confidence, d'aveux, de plaidoyers ou de commentaires souvent contradictoires se mêlent des documents d'époque, admirablement choisis et montés. Ainsi se compose peu à peu une sorte de tapisserie sur la trame de laquelle nous déchiffrons les signes enchevêtrés du malheur, de la honte, de l'indifférence, du courage et de la peur, et qui est la tapisserie de la France.    Chaque film a ses vedettes. Celui-ci à les siennes, qui sont tantôt des personnalités connues (Pierre Mendès France racontant avec un humour discret son procès et son évasion  Georges Lamirand, ancien ministre de Vichy, parlant du maréchal  Anthony Eden le général Spears et bien d'autres ...), tantôt des acteurs anonymes du drame, tel ce paysan auvergnat, résistant de la première heure, qui dit en mots tranquilles pourquoi, à son retour de Buchenwald, il n'a pas cherché à se venger de celui qui l'avait dénoncé  tel ce capitaine de la Wehrmacht devenu un bourgeois cossu, persuadé d'avoir été jadis un occupant modèle et pétri de bonne conscience  tel cet homosexuel, ancien agent secret britannique, qui reconnaît avoir eu des " faiblesses " pour un officier nazi  tel surtout Christian de la Mazière, dont les interventions d'une absolue franchise tentent d'expliquer l'aberration des Français engagés chez les Waffen SS.    Le Chagrin et la Pitié pourrait n'être que la somme de ces extraordinaires documents humains. Un dossier de ce genre eût suffi à nous passionner. Mais le film de Marcel Ophüls et André Harris est beaucoup plus que cela. C'est une véritable oeuvre cinématographique, qui s'impose par sa composition, sa progression dramatique, son rythme et la puissance de ses images. Les auteurs ont littéralement mis en scène la matière historique dont ils disposaient. Ils l'on rendue chaude et vivante. Ce film rigoureux et qui remue tant de cendres devient entre leurs mains une sombre épopée.    Nul ne peut ignorer cette leçon d'histoire. Il faut avoir vu le Chagrin et la Pitié.

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