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Le Grand Meaulnes, Première Partie, La Fête Étrange

Publié le 18/01/2011

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meaulnes

Henri-Alban Fournier est né le 3 octobre 1886 à la Chapelle-d'Angillon, dans le Cher. e 1er juin 1905, ce jeune lycéen de 18 ans vient de visiter « le Salon de la Nationale « au Petit Palais. En descendant l'escalier de pierre, son regard croise celui d'une grande jeune fille blonde, élégante. Il la suit à distance jusqu'à sa maison du boulevard Saint Germain. Il revient plusieurs fois sous ses fenêtres. Mais la jeune fille est fiancée, son destin est tracé. Cette rencontre sera transposée dans Le Grand Meaulnes. Pendant huit ans, il s'efforcera de raconter son histoire en l'associant à ses plus chers souvenirs d'enfance. Parallèlement au Grand Meaulnes, il écrira également des nouvelles et des poèmes.

Le roman retrace l'histoire d'Augustin Meaulnes, racontée par son ancien camarade de classe, François Seurel, devenu son ami. François Seurel et Augustin Meaulnes sont tous deux écoliers dans un petit village de Sologne près de Vierzon. Lors d'une escapade, Augustin Meaulnes arrive par hasard dans un domaine mystérieux où se déroule une fête étrange et poétique, pleine d'enfants. Parmi les festivités, des promenades en barque sur un lac sont offertes aux convives; Meaulnes y rencontre une jeune fille dont il tombe instantanément amoureux. Il ne fait cependant que la croiser et n'aura plus l'occasion de la revoir. En effet, la fiancée tant attendue s'est enfuie, le mariage n'a pas lieu et la fête prend tristement fin.

Extrait du chapitre « La fete etrange (suite) « de la première partie. Pendant la fête, Francois se retire dans la partie la plus paisible et la plus obscure de la demeure, partie dans laquelle il se trouve des enfants, et surtout dans laquelle il fait la recontre d’une jeune fille.

I. Transgression de sa propre identité

II. Balancement entre le passé et le futur

 

Le Grand Meaulnes, écolier de Saint-Agathe, transgresse sa propre identité. Il devient en fait, non pas une autre personne mais un personnage, le personnage d'un conte : « Meaulnes, la tête à demi cachée dans le collet de son manteau, comme dans une fraise, se sentait un autre personnage «.  Et, cette perte d'identité se dévoile dans cette volonté de ne plus avoir de nom puisque le nom est à la base même de notre identité, nous constitue en tant qu'individu. Si les autres, les invités ne savent pas son nom, ils ne savent pas qui il est et lui, de cette façon, il peut se mettre dans les habits de qui il veut. Ses nouveaux habits vont donc lui permettre cette transgression de lui-même. Le Grand Meaulnes devient ainsi, l'espace de quelques pages un autre personnage, comparé d'ailleurs à un chasseur : « Il était là, dans son grand manteau, comme un chasseur à demi penché, prêtant l'oreille [...] «.Plus tard aussi, lors de la deuxième journée de fête, Meaulnes, comme Narcisse regarde son reflet dans l'eau, mais il voit en fait « un autre Meaulnes « : « Il s'aperçut lui-même reflété dans l'eau, comme incliné sur le ciel, dans son costume d'étudiant romantique «. Cette image de lui-même nous renvoie donc dans une autre époque, au début du XIXème siècle, mais elle permet aussi de définir le personnage d'Alain-Fournier, un personnage qui dans ce reflet dévoile déjà son destin, celui d'un personnage romantique sous le signe de la perte. Toutefois, il n'est pas si facile de s'oublier totalement et, d'ailleurs, Augustin conserve sous sa nouvelle toilette sa « blouse d'écolier «, une blouse qui l'ancre dans son passé, qui lui rappelle sa véritable identité. Alors même qu'il se sent bien parmi les autres invités, qu'il lui semble avoir franchi ce pas vers l'altérité, ce pas qui l'inclut dans le domaine de l'Autre, cette blouse est là pour lui rappeler qui il est : « Un peu angoissé à la longue par tout ce plaisir qui s'offrait à lui, craignant à chaque instant que son manteau entr'ouvert ne laissât voir sa blouse de collégien, il alla se réfugier un instant dans la partie la plus paisible et la plus obscure de la demeure «. Et, c'est cette blouse, qui le mène donc, pour la première fois près de celle qu'il aimera, même si cette première rencontre n'en est pas une véritablement. Pourtant, avant le surgissement de cette angoisse, le Grand Meaulnes semblait s'être « intégré « à cette société festive : « Il n'y avait pas un seul de ces convives avec qui Meaulnes ne se sentit à l'aise et en confiance «. En fait, la plupart des invités ne se connaissent pas les uns les autres, il n'est donc pas le seul inconnu de la fête, même si sans doute il en est l'unique « intrus «. Les déguisements aidant, personne ne se doute de sa « tricherie «, comme il la nomme lui même. Personne donc ne le considère comme quelqu'un de différent, comme un étranger. Le regard de l'Autre n'est pas hostile et conditionne donc son inclusion dans le groupe, dans le groupe des invités. Sous le signe de la festivité, de la cérémonie, le groupe social devient un tout, un collectif nécessaire à la réalisation de toute fête. Les invités de ces noces, sont pourtant, eux aussi étranges : venus de la ville ou de la campagne, marins ou paysans, même s'ils sont tous habillés en tenues de fête, ils ne sont en aucun cas les invités auxquels on s'attendrait dans un tel décor, dans un château. De plus, seules deux générations sont présentes : des « vieilles gens « et « grands-parents « d'un côté, et des « adolescents et enfants « de l'autre, comme si l'âge adulte, celui qui attend le héros au tournant, était exclu, exclu de cette fête, de ce conte, de la vie. Les adultes n'ont pas leur place dans ce décor merveilleux, un décor de conte, ces contes que les grands-parents racontent aux enfants, des enfants qui dans cette fête du Grand Meaulnes sont les seuls qui soient véritablement déguisés et les seuls à faire la loi. Ce renversement de situation est la première information que le Grand Meaulnes reçoit de cette fête de la bouche d'un enfant, avant même de se déguiser, de s'introduire dans ce monde d'inconnus : « Est-ce que nous n'avons pas toutes les permissions ?... Même celle de nous faire mal, s'il nous plaît... «. Et, c'est justement la douleur que le Grand Meaulnes remporta de son voyage merveilleux, mais non une douleur physique, sinon la douleur de la perte, la perte de la personne aimée, une perte qui lui fera abandonner le monde de l'enfance. C'est donc bien dans un monde de transgression, une transgression qui définit la fête en général, qu’Alain-Fournier introduit son personnage. La fête est donc un renversement des interdits et, Augustin est d'emblée posé comme un transgresseur de cette loi, n'est-il pas entré dans ce monde en la violant, en s'introduisant dans un domaine privé ?

 

L'étrange fête dans laquelle Meaulnes s'est métamorphosé, dans laquelle il s'est mêlé aux autres invités, aux jeux enfantins, poursuivant dans une folle farandole un « grand Pierrot blafard «, est le décor où il va rencontrer l'amour. Cette rencontre est elle aussi étrange car elle met en scène deux éléments essentiels le déguisement, une fois de plus et la musique. Avant même que ne se produise la véritable rencontre entre Meaulnes et Yvonne de Galais, ces deux éléments entrent déjà en jeu. Meaulnes, comme nous l'avons déjà souligné, a revêtu un grand manteau sur sa blouse d'écolier, or, quand il entrevoit pour la première fois celle qu'il désirera plus tard, celle-ci est vêtue de la même façon :« C'était une sorte de petit salon-parloir ; une femme ou jeune fille, un grand manteau marron jeté sur ses épaules tournait le dos, jouant très doucement des airs de rondes ou des chansonnettes «. Ainsi, celle qu'il ne connaît pas encore par son nom, se rapproche déjà de lui à travers ses habits, dans une sorte de ressemblance dans ce monde d'apparence, où chacun joue le rôle que Frantz Galais, pour fêter ses noces, a désiré afin que « la maison où sa fiancée entrerait ressemblât à un palais en fête «, afin donc que le château lui-même soit sous le signe de l'apparence. Yvonne donc d'emblée, ressemble au Grand Meaulnes, il y a avant même que leurs regards ne se croisent, une sorte d'harmonie entre eux, une sorte d'indice de leur destinée. Mais, Yvonne est aussi, immédiatement posée comme appartenant à un monde féminin, un féminin dont l'âge n'est pas identifié d'abord: « une femme ou une jeune fille «,  même si ensuite, sans avoir vu encore son visage, elle est qualifiée de « jeune fille «. S'agit-il ici d'une anticipation involontaire du narrateur-personnage qui raconte l'histoire de son ami ? Ou plutôt du désir de Meaulnes de penser que cette femme ne peut être que quelqu'un de son âge, quelqu'un envers qui il se sent déjà attiré. Cette attraction sans doute, est aussi liée à un autre fait. Si le héros se réfugie dans cette salle, c'est parce qu'il est attiré par le son d'un piano, un piano que ne peut que lui évoquer son enfance puisque lui-même, au chapitre XI, pense: « C'était comme un souvenir plein de charme et de regret. Il se rappela le temps où sa mère, jeune encore, se mettait au piano l'après-midi dans le salon, et lui, sans rien dire, derrière la porte qui donnait sur le jardin, il l'écoutait jusqu'à la nuit... On dirait que quelqu'un joue du piano, quelque part ? Pensa-t-il « Ce passage n'est pas sans rappeler celui qui a lieu dans le château : Deux femmes « jeunes « au piano, un enfant qui écoute en se taisant (Meaulnes, dans le chapitre XIV, se mêle à des enfants, comme s'il en était un). Etrange coïncidence ? Sans doute non. En effet, c'est le souvenir de son enfance qui le mène droit au château, vers cette allée « balayée à grands ronds réguliers comme on faisait chez

lui pour les fêtes « .Ce château le transporte dans son enfance, dans un passé lui aussi sous le signe de la fête. Il s'agit déjà d'un indice. Toutefois, c'est surtout le son de la musique, de cette musique maternelle qui le berce d'abord au chapitre XI, et qu'il écoute ensuite dans ce salon-parloir, qui lui rappelle cette enfance. Meaulnes est plongé tout à coup dans un univers protecteur, « la partie la plus paisible et la plus obscure de la demeure «, « une pièce silencieuse «. Dans cet univers maternel, Meaulnes est « plongé dans le bonheur le plus calme du monde «. La fête du Grand Meaulnes est donc un véritable retour à l'enfance, à une pré-enfance même. Ce retour nous rapproche de l'idée selon laquelle, de façon générale, la fête serait un retour aux origines, à un pré-temps.

Ainsi, c'est en pleine fête que Meaulnes devient l'Autre, mais un autre lui-même lorsque justement en plein cœur de la fête il s'est souvenu de qui il était. Cependant, à ce moment, Meaulnes dans sa rêverie ne se plonge pas consciemment dans le monde de l'enfance, mais dans celui d'un âge adulte idéalisé. Lui pourtant qui semble fuir cette maturité semble déjà s'y précipiter : « Il put imaginer longuement qu'il était dans sa propre maison, marié, un beau soir et que cet être charmant et inconnu qui jouait au piano, près de lui, c'était sa femme... «. Une fois de plus, Meaulnes devient une Autre lui-même. Deux visions de lui-même qui délimitent, dans le temps, ce qu'il est alors : une vision passée et une vision future. Meaulnes dans cette étape charnière de la vie, semble balancer entre le passé et le futur, tentant de savoir pour lequel des deux il doit opter, cherchant peut-être un futur qui le ramènerait au passé.

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