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Le Meurtre Dans La Mythologie

Publié le 17/01/2011

Extrait du document

Au commencement était le meurtre.

Au commencement de l’humanité, de tant de cultures et de tant de religions. Le meurtre d’Abel par son frère Caïn qui inaugure l’apparition du mal dans la race humaine. Le meurtre du père des dieux, Chronos, par son fils Zeus, point de départ de la mythologie antique. Le cadavre sanglant de Remus, transpercé par le glaive de son jumeau Romulus qui préside à la fondation d’une petite cité du Latium, qui finira par étendre son empire sur tout le monde connu, la ville de Rome.

Le meurtre du fils, cloué sur la croix romaine, voué à ce supplice non pas seulement par ses bourreaux, mais aussi par son père, qui l’a abandonné. Meurtre que les croyants célèbrent depuis deux millénaires par l’étrange cannibalisme de l’eucharistie.

Ainsi, toute naissance est issue de la mort, et de la mort violente. La libido, le désir de vie, ne pouvait pour Freud se concevoir sans la présence en chacun de nous d’une funeste pulsion de mort, à l’encontre de celles et ceux que nous aimons le plus .

Et pourtant le meurtre est par excellence l’acte abominable, pour toutes les sociétés, des plus antiques à notre société moderne. Il est l’acte qui se donne immédiatement à la conscience humaine comme mal absolu. Du « tu ne tueras point « de la Bible à la moderne abolition de la peine de mort, réside le même fil conducteur de refus et de protestation contre la barbarie du crime.

Comment comprendre cette contradiction qui traverse à la fois notre inconscient et nos sociétés ? Comme souvent, l’étude des mythes fondateurs de notre civilisation peut devenir révélatrice. La mythologie grecque regorge d’exemples en tous genres de meurtres commis dans le cadre resserré du cercle familial : meurtre du père, de la mère, du frère, du fils, de la fille. Il faudrait des heures pour tous les dénombrer. Je me contenterai d’en citer quelques uns, de les analyser et d’en esquisser une interprétation symbolique et donc humaine.

 

Tous ces meurtres en effet se produisent dans un lieu clos, traversé par toutes les tensions, le chaudron bouillonnant du cadre familial. Il ne s’agit pas de n’importe quelle famille, mais la plupart du temps de familles royales qui présentent une caractéristique évidente ; les événements qui s’y déroulent ont des répercussions sur la société tout entière. Ces familles sont des microcosmes qui sont en quelque sorte la représentation symbolique de la société qu’elles dominent. Les meurtres dont elles sont le théâtre rejaillissent sur l’humanité alentour. Il en va ainsi de la peste qui décime Thèbes après le meurtre commis par Œdipe sur son propre père.

Il ne s’agit donc pas de meurtres de droit commun, mais de meurtres fondateurs, dont les répercussions dépasseront largement le cadre familial, pour s’élargir à la fois dans l’espace, à la société prise dans sa globalité, et dans le temps, sur la longue suite des générations futures. Ainsi, dans la famille des Atrides, le meurtre initial commis par Atrée sur les enfants de son propre frère Thyeste, va rebondir en cascade sur plusieurs générations maudites.

    rappel mythologique sur les Atrides —

On retrouve cette dimension temporelle du crime dans de nombreuses familles de la mythologie ; celle des dieux par exemple,

    rappel mythologique Ouranos-Chronos-Zeus —

ou celle d’Œdipe.

Le meurtre initial apparaît comme une souillure indélébile, un péché originel qui va retomber sur toutes les générations successives. Et ce cycle infernal n’aurait pas de fin si n’intervenait pas , dans la cascade des crimes, un événement lui aussi fondateur, mais fondateur d’un ordre nouveau,  qui libère la famille – et donc la société - concernée de la malédiction initiale, j’y reviendrai.

I LES RAISONS DU MEURTRE

Dans ce cadre, il est intéressant de s’interroger sur les raisons de l’acte criminel, qui diffèrent sensiblement suivant les cas. Je veux parler ici des raisons littérales, qui poussent les meurtriers à commettre leur acte, et non des raisons symboliques.

La première d’entre elles c’est évidemment l’intérêt personnel, toujours en relation avec le pouvoir et/ou le sexe. C’est ainsi qu’au retour de la guerre de Troie, Clytemnestre égorge son époux Agamemnon car pendant les dix années qu’a duré son absence, elle a pris Egisthe comme amant, et le retour du roi apparaît comme une catastrophe pour le couple adultère qui règne sur Mycènes. De même Atrée assassine les enfants de son frère Thyeste pour se venger de l’infidélité de son épouse Erope, qui est devenue l’amante de Thyeste et pour éliminer celui-ci de la course au pouvoir dans la cité de Mycènes. Dans le mythe thébain, le roi Laïos, prévenu par les dieux qu’un fils pourrait le détrôner, tente d’éliminer son fils Œdipe en le faisant abandonner dans une forêt sauvage. Il en va de même pour le combat mortel d’Eteocle et Polynice, les enfants d’Œdipe, qui se disputent la royauté de Thèbes.

C’est pour la même raison que Chronos dévore un a un ses enfants : il craint que ne s’accomplisse la prophétie qui lui a annoncé qu’un de ses fils le détrônerait. Et symétriquement, l’assaut mené par Zeus contre son père dans l’Olympe procède de la même volonté de puissance, de la même ambition de s’emparer du trône.

Mais il existe aussi dans les récits mythiques des exemples de meurtres qui ne s’expliquent pas par l’intérêt personnel, mais par des raisons qui relèvent d’un ordre collectif ou d’un ordre moral.

Ainsi les enfants de Clytemnestre Electre et Oreste ourdissent le meurtre de la mère, incités par le dieu Apollon,  pour venger la mort d’Agamemnon. Nul enjeu de pouvoir ou de gain, dans le meurtre de Clytemnestre, mais le seul désir de venger la victime et punir la criminelle.

Parfois c’est la raison d’état qui conduit au crime ; Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie pour que l’armée grecque puisse traverser la mer. Créon fait exécuter sa nièce Antigone, coupable d’avoir désobéi aux ordres, en ensevelissant son frère Polynice, pour faire respecter les lois de la cité .

Parfois aussi, le meurtre mythologique est le fruit d’un malentendu. Il en va ainsi du meurtre du père par Œdipe, victime de l’ironie du destin. Il a fui sa terre natale et ses parents adoptifs par crainte de la prophétie qui faisait de lui un parricide, et voilà qu’en arrivant à Thèbes il accomplit sans le savoir son horrible destin.

Ainsi donc les raisons du crime sont de tous ordres : il n’y a pas que la volonté de puissance qui arme le bras des meurtriers il y a aussi des causes qui les dépassent totalement, ou même des causes inconscientes.

II LA CONSCIENCE CRIMINELLE

On peut alors se demander comment le criminel perçoit lui-même son crime. Curieusement, lorsqu’il s’agit d’un crime crapuleux, le remords n’est quasiment jamais présent. Dans l’enchevêtrement des meurtres pour le pouvoir ou par passion amoureuse, ni remords ni souillure. Le parricide commis par Zeus n’enlève à celui-ci rien de son éclat. Lorsque Médée la magicienne, trompée par son époux Jason, égorge ses deux enfants, elle n’est pas loin de recevoir l’absolution de ce meurtre puisque le dieu Apollon lui procure un char tiré par deux chevaux ailés pour fuir les lieux de son crime.

Tout se passe comme si cette humanité – ou ce panthéon – criminels vivent en deça des lois de notre morale, dans un univers où il est nécessaire de tuer pour survivre et où la loi du plus fort fait office d’éthique.

Il en va bien différemment des meurtres commis au nom d’une loi morale. Ainsi Oreste, meurtrier de sa mère, va-t-il être rongé par un affreux remords, personnifiés par la figure des trois Erynies qui vont sans cesse le poursuivre et le déchirer avec leur ongles d’airain. De même Œdipe, qui au yeux de la morale moderne ne nous apparaît pas comme un coupable, mais comme une victime de pièges divins, va-t-il souffrir abominablement de la prise de conscience de ses actes, au point de se crever les yeux sous l’empire du remords.

En d’autres termes la perception du meurtre mythologique est diamétralement opposée à nos propres critères éthiques ; la mythologie justifie le meurtrier de droit commun mais condamne celui dont le bras frappe au nom d’un principe supérieur.

 

III LE SENS CACHÉ DES MYTHES

Manifestement, à l’aune d’une conscience humaniste et moderne, les meurtres familiaux de la mythologie défient l’entendement. Il faut donc aller au delà du sens apparent de ces crimes pour tenter d’en définir le sens symbolique.

Si l’on se réfère à l’ouvrage de Freud, Totem et tabou, on apprend que dans la horde primitive le meurtre initial du père résulte d’une conspiration des fils, lassés de la dictature paternelle, imposée par la force. A l’issue de ce crime, une ère nouvelle apparaît, fondée sur l’union des fils, c’est à dire que le monde des rapports de force cède la place à l'émergence d'un monde d'alliances et de solidarité. C’est le passage de l’hostilité des premiers temps au climat de concorde et d’entente venant lier les membres d’une fratrie d’un sincère attachement, c’est la naissance du concept d’humanité.

 

Eh bien dans les mythes de l’antiquité, on retrouve cette structure. Le meurtre initial est fondateur d’un renversement de l’ordre ancien. La mort de Chronos inaugure une ère nouvelle et définitive dans l’Olympe où les dieux se partagent un pouvoir que refusait de déléguer leur aïeul. Il en va de même dans le cycle des Atrides. Oreste, pourchassé impitoyablement par les Erynies, va finir par gagner Athènes où il sera jugé par les dieux de lumière que sont Athena et Apollon. C’est le mythe de la lumière qui pénètre dans l’inconscient. Et les dieux vont l’acquitter. Au total, le meurtre de la mère apparaîtra comme un bien. Et les terribles Erynies, convaincues, vont se changer en Euménides (bienveillantes) qui vont prodiguer leurs bienfaits à Oreste, qui mourra chargé d’années. En d’autres termes, à partir du basculement de point de vue qu’entraine le jugement des dieux, la même réalité change diamétralement. Un ordre nouveau est atteint, qui met fin à la malédiction des Atrides et inaugure le règne lumineux de l’Attique.

De même dans la descendance d’Œdipe : c’est le refus d’Antigone qui permet la révolution morale de la cité. Le sacrifice d’Antigone n’aura pas été vain : les lois non écrites prennent désormais le pas sur les lois iniques de Thèbes, à l’ancien testament succède le nouveau.

Le meurtre mythologique a donc un sens au niveau collectif, il est l’acte créateur des temps nouveaux qui vont succéder aux temps obscurs. Mais il a aussi un sens au niveau individuel. Observons en effet que dans le meurtre au sein du cercle familial, il est souvent question de meurtre gémellaire, entre frères et souvent frères jumeaux. Pensons à Atrée et Thyeste, Etéocle et Polynice, ou à Remus et Romulus. En d’autres termes, il s’agit du meurtre du double, c’est à dire, au fond , du meurtre de soi même. Dans le fratricide, le sujet, à travers l’autre, frappe sa propre image, il frappe un double narcissique. Et c’est pour lui le seul moyen de se construire et de s’identifier. La mort du double, c’est le symbole de notre triomphe sur les forces obscures qui nous gouvernent, et notamment les forces du désir, qui font de nous d’éternels insatisfaits, et nous rendent esclaves perpétuels de nos objets de désir. Pour s’élever il faut d’abord se vaincre soi même.

C’est pourquoi le théâtre de ces opérations criminelles, la famille, est si important. La famille n’est qu’une galerie de miroirs qui me renvoient mille images contradictoires de moi même. Pour me définir, je dois définitivement les briser, faire volets en éclats les mirages qui m’entourent, pour me retrouver en face de l’unique réalité, pour enfin affronter le regard pétrifiant de Méduse, c’est à dire mon propre regard.

 

En ce sens et pour conclure, le meurtre symbolique est paradoxalement une victoire définitive de la vie sur la mort. Que ce soit pour l’humanité ou pour l’individu, il est une victoire contre le non-être, l’acte de naissance d’une humanité supérieure, l’acte de naissance d’un être supérieur.

 

« ainsi qu'au retour de la guerre de Troie, Clytemnestre égorge son époux Agamemnon car pendant les dix années qu'aduré son absence, elle a pris Egisthe comme amant, et le retour du roi apparaît comme une catastrophe pour lecouple adultère qui règne sur Mycènes.

De même Atrée assassine les enfants de son frère Thyeste pour se venger del'infidélité de son épouse Erope, qui est devenue l'amante de Thyeste et pour éliminer celui-ci de la course au pouvoirdans la cité de Mycènes.

Dans le mythe thébain, le roi Laïos, prévenu par les dieux qu'un fils pourrait le détrôner, tented'éliminer son fils Œdipe en le faisant abandonner dans une forêt sauvage.

Il en va de même pour le combat morteld'Eteocle et Polynice, les enfants d'Œdipe, qui se disputent la royauté de Thèbes. C'est pour la même raison que Chronos dévore un a un ses enfants : il craint que ne s'accomplisse la prophétie qui lui aannoncé qu'un de ses fils le détrônerait.

Et symétriquement, l'assaut mené par Zeus contre son père dans l'Olympeprocède de la même volonté de puissance, de la même ambition de s'emparer du trône. Mais il existe aussi dans les récits mythiques des exemples de meurtres qui ne s'expliquent pas par l'intérêt personnel,mais par des raisons qui relèvent d'un ordre collectif ou d'un ordre moral. Ainsi les enfants de Clytemnestre Electre et Oreste ourdissent le meurtre de la mère, incités par le dieu Apollon, pourvenger la mort d'Agamemnon.

Nul enjeu de pouvoir ou de gain, dans le meurtre de Clytemnestre, mais le seul désir devenger la victime et punir la criminelle. Parfois c'est la raison d'état qui conduit au crime ; Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie pour que l'armée grecquepuisse traverser la mer.

Créon fait exécuter sa nièce Antigone, coupable d'avoir désobéi aux ordres, en ensevelissantson frère Polynice, pour faire respecter les lois de la cité . Parfois aussi, le meurtre mythologique est le fruit d'un malentendu.

Il en va ainsi du meurtre du père par Œdipe,victime de l'ironie du destin.

Il a fui sa terre natale et ses parents adoptifs par crainte de la prophétie qui faisait de luiun parricide, et voilà qu'en arrivant à Thèbes il accomplit sans le savoir son horrible destin. Ainsi donc les raisons du crime sont de tous ordres : il n'y a pas que la volonté de puissance qui arme le bras desmeurtriers il y a aussi des causes qui les dépassent totalement, ou même des causes inconscientes. II LA CONSCIENCE CRIMINELLE On peut alors se demander comment le criminel perçoit lui-même son crime.

Curieusement, lorsqu'il s'agit d'un crimecrapuleux, le remords n'est quasiment jamais présent.

Dans l'enchevêtrement des meurtres pour le pouvoir ou parpassion amoureuse, ni remords ni souillure.

Le parricide commis par Zeus n'enlève à celui-ci rien de son éclat.

LorsqueMédée la magicienne, trompée par son époux Jason, égorge ses deux enfants, elle n'est pas loin de recevoirl'absolution de ce meurtre puisque le dieu Apollon lui procure un char tiré par deux chevaux ailés pour fuir les lieux deson crime. Tout se passe comme si cette humanité – ou ce panthéon – criminels vivent en deça des lois de notre morale, dans ununivers où il est nécessaire de tuer pour survivre et où la loi du plus fort fait office d'éthique. Il en va bien différemment des meurtres commis au nom d'une loi morale.

Ainsi Oreste, meurtrier de sa mère, va-t-ilêtre rongé par un affreux remords, personnifiés par la figure des trois Erynies qui vont sans cesse le poursuivre et ledéchirer avec leur ongles d'airain.

De même Œdipe, qui au yeux de la morale moderne ne nous apparaît pas comme uncoupable, mais comme une victime de pièges divins, va-t-il souffrir abominablement de la prise de conscience de sesactes, au point de se crever les yeux sous l'empire du remords. En d'autres termes la perception du meurtre mythologique est diamétralement opposée à nos propres critèreséthiques ; la mythologie justifie le meurtrier de droit commun mais condamne celui dont le bras frappe au nom d'unprincipe supérieur. III LE SENS CACHÉ DES MYTHES Manifestement, à l'aune d'une conscience humaniste et moderne, les meurtres familiaux de la mythologie défientl'entendement.

Il faut donc aller au delà du sens apparent de ces crimes pour tenter d'en définir le sens symbolique. Si l'on se réfère à l'ouvrage de Freud, Totem et tabou, on apprend que dans la horde primitive le meurtre initial dupère résulte d'une conspiration des fils, lassés de la dictature paternelle, imposée par la force.

A l'issue de ce crime, uneère nouvelle apparaît, fondée sur l'union des fils, c'est à dire que le monde des rapports de force cède la place à. »

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