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Les cléricalismes de la pensée zéro. L'éditorial de Bernard Ginisty, directeur de Témoignage Chrétien

Publié le 22/02/2012

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"Nous naviguons constamment entre deux curés ; les curés laïques et les curés ecclésiastiques ; les curés cléricaux anticléricaux, et les curés cléricaux cléricaux ; les curés laïques qui nient l'éternel du temporel …], et les curés ecclésiastiques qui nient le temporel de l'éternel." Ces lignes de Charles Péguy illustrent parfaitement les cabales des dévots qui agitent régulièrement la République. Le sens de l'appel de TC, dont toute l'histoire montre sa résistance "aux curés ecclésiastiques", c'est d'affirmer que la richesse de la démocratie passe par la discussion, et non le refoulement, des raisons du vivre ensemble qui inspirent les citoyens. Ce n'est pas une simple affaire sémantique d'avoir remplacé les mot "religion" par le mot "spirituel" dans le préambule de la Charte européenne, il s'agit bien d'un acte de refoulement. Vouloir ignorer officiellement que des grandes religions font partie de l'héritage fondamental de l'Europe pour le meilleur et parfois pour le pire, n'est pas simplement inculte. C'est refuser de savoir, ne serait-ce que pour s'y affronter et s'en distancier, à quel point notre modernité a été façonnée par des siècles de culture religieuse. Le concept même de laïc est issu d'une théologie cléricale de la société. Exiler les expressions historiques des religions et leur patrimoine symbolique hors du champ de la laïcité, c'est risquer de voir le religieux resurgir de façon sauvage. Il ne faut pas s'étonner que la République voit se multiplier des sectes et se précipite alors vers les Églises instituées pour leur demander de bien vouloir l'aider à distinguer ce qui serait secte de ce qui serait religion ! La laïcité n'est pas un univers aseptisé qui nous dispenserait d'affirmer dans le débat public les raisons de vivre, d'aimer et de construire une société. Les grands fondateurs de la laïcité, dont Pierre Pierrard vient de nous donner une superbe anthologie (Anthologie de l'humanisme laïque, Albin Michel, 2000) étaient des anticléricaux convaincus non parce qu'ils étaient irréligieux, mais parce que leurs exigences spirituelles étaient plus fortes que celles des cléricaux. On nous trouvera toujours, à TC, à côté de ceux qui se battent contre l'empiètement des cléricalismes religieux dans le vie de la cité. Mais ce n'est pas pour servir la soupe à des cléricalismes de la pensée zéro pour qui les sources religieuses de l'engagement devraient rester absentes de l'espace public. En se libérant des emprises cléricales, la société n'a pas fermé le débat sur les grandes options qui inspirent la vie, mais l'a situé chez chaque citoyen. la laïcité constitue l'espace où chacun peut risquer sa parole propre, au lieu de rester noyé dans le pseudo consensus d'une pensée unique dont le vide s'emplit de la religion de la marchandise. Paul Ricoeur nous invite à fuir ce consensus minable pour "une pratique du dissensus mis en oeuvre par une éthique de la discussion". Il poursuit : "il y a un noyau du poétique qui est le sacré, le religieux, la parole originaire. Ca c'est le problème des convictions. Et le problème de la communauté politique est de pouvoir partager cette conviction en la retraduisant dans le langage de chacun, dans sa philosophie, dans sa liberté laïque.

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