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Les étapes d'un calvaire

Publié le 22/02/2012

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3 octobre 1940 - Les premières pierres de l'édifice ont été posées dès le 22 juillet 1940 par la création d'une commission pour la révision des naturalisations puis, le 27 août 1940, par l'abrogation du décret-loi du 21 avril 1939, qui empêchait la propagande antisémite dans la presse. La loi portant statut des juifs a suivi le 3 octobre 1940 : elle exclut les juifs de la fonction publique ainsi que des professions libérales et proclame ouvertement la notion de " race juive " alors que, jusque-là les ordonnances allemandes, de crainte de heurter l'opinion française, ne font référence qu'à la " religion juive ". Ce statut sera renforcé le 2 juin 1941. Les juifs d'Algérie , quant à eux, ne sont plus considérés comme citoyens français à partir du 7 octobre 1940. La loi, à la fois antisémite et xénophobe livre les " étrangers de race juive " à l'arbitraire policier en conférant aux préfets le pouvoir de les interner dans des camps spéciaux. Le Commissariat général aux questions juives (CGQJ), véritable ministère aux affaires juives, est créé par Vichy le 29 mars 1941 dans le but d'éliminer les juifs de la vie civile, politique, économique, culturelle, ainsi que de les dépouiller de leurs biens et de provoquer à leur égard des mesures de police " commandées par l'intérêt national ". Organisé par Xavier Vallat, le CGQJ passera entre les mains de Darquier de Pellepoix quand il s'agira, selon la volonté allemande, d'attenter à la vie des juifs. Le CGQJ dispose d'une police aux questions juives, la PQJ, plus tard Section d'enquête et de contrôle (SEC), qui se signale par de nombreux abus. Ce sont essentiellement les forces de police régulières qui mèneront rafles et arrestations contre une population juive évaluée de 300 000 à 330 000 personnes réparties en 1941 par moitié dans chacune des deux zones avec environ 50 % de juifs étrangers. Suscitées par la section antijuive de la Gestapo, dirigée par Dannecker, les arrestations massives de juifs par la police française débutent le 14 mai 1941 dans l'agglomération parisienne. Elles ne visent que des hommes, Polonais, Tchèques et même Autrichiens (au total 3 747), qui sont dirigés vers deux camps du Loiret sous administration préfectorale, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. La deuxième opération a lieu à partir du 20 août 1941 et touche 4 232 juifs, dont un millier de Français. Le camp de Drancy, sous administration française et sous contrôle étroit de la Gestapo, est créé pour eux. Le 12 décembre 1941, 700 juifs français, surtout des notables, sont arrêtés par la Feldgendarmerie et internés à Compiègne, tandis que les nazis sortent de Drancy 53 juifs pour une exécution massive. Plus de 10 % des résistants fusillés au Mont-Valérien sont juifs, alors que le pourcentage des juifs dans la population française est à peine de 0,7 % . La première déportation des juifs de France a lieu de 27 mars 1942. Elle concerne 1 112 juifs, des hommes, pour moitié juifs français de Compiègne, pour moitié juifs apatrides de Drancy. En juin 1942 s'est installée à Paris une nouvelle direction de la police allemande et des SS avec, à sa tête, le général SS Oberg assisté par le colonel SS Knochen, commandant de la police de sûreté et des services de sécurité, la Sipo-SD, au sein de laquelle opère la Gestapo. Internements Du côté français, Laval et son chef de la police, René Bousquet, obtiennent un renforcement de l'autorité de Vichy en zone occupée en contrepartie d'une collaboration policière accrue contre les ennemis communs au Reich et à Vichy : les juifs, les communistes, les gaullistes, les terroristes. Les mesures antijuives en zone occupée s'intensifient : les ordonnances allemandes relèguent les juifs au rang de parias, en particulier la huitième, du 29 mai 1942, qui prescrit aux juifs de plus de six ans révolus le port de l'étoile jaune en public avec la mention " juif ". En juin 1942, s'engagent des négociations policières franco-allemandes au sujet, cette fois, de l'arrestation massive de familles juives, la décision ayant été prise à Berlin le 11 juin de commencer la déportation de tous les juifs de l'Europe de l'Ouest. Le 25 juin, la Gestapo se fixe comme objectif à moyen terme la déportation de 40 000 juifs : 10 000 juifs apatrides doivent être arrêtés en zone libre et livrés par Vichy, comme s'y est engagé Bousquet le 16 juin 30 000 juifs doivent être trouvés en zone occupée, la Gestapo insistant pour que 40 % de ces juifs soient de nationalité française. La Gestapo souligne aussi la nécessité de l'exécution par les seules forces de police française de cette opération massive. En conseil des ministres, le 26 juin, Laval paraît disposé à refuser l'engagement de la police française en zone occupée et ne semble pas au courant de l'accord donné par Bousquet au sujet des 10 000 juifs de la zone libre. Bousquet décide d'accepter l'engagement exclusif de la police française avec pour seule concession allemande le fait que les juifs français seront épargnés pour le moment. Ce qui a été conclu le 2 juillet entre Bousquet et les chefs de la police nazie en France a été entériné en partie par Pétain et par Laval, le 3 juillet, et confirmé en totalité par Laval aux chefs SS le lendemain. Comme l'écrit Dannecker à Eichmann : " Le président Laval a proposé que, lors de l'évacuation de familles juives de la zone non occupée, les enfants de moins de seize ans soient emmenés eux aussi. Quant aux enfants juifs qui resteraient en zone occupée, la question ne l'intéresse pas. " Ainsi le feu vert pour la déportation des enfants juifs, presque tous nés en France, est-il donné par Vichy aux SS qui vont bientôt s'en servir. A partir de la rafle du Vel' d'Hiv', et pendant onze semaines, c'est au rythme de trois convois de mille juifs chacun par semaine que va se dérouler la déportation des juifs de France. Une première réaction de protestation s'ébauche avec la lettre envoyée le 22 juillet à Pétain par les cardinaux et archevêques de France assemblés à Paris : " Nous ne pouvons étouffer le cris de notre conscience. " Dans la première quinzaine d'août 1942, Vichy expédie à Drancy trois mille cinq cents juifs qui étaient internés dans les camps de la zone libre. La grande rafle de la zone libre menée à partir du 26 août permet à Vichy de livrer encore six mille cinq cents juifs aux SS beaucoup moins que les chiffres prévus. Elle suscite cependant de vives protestations de larges secteurs dans l'opinion publique, appuyées et parfois précédées par les interventions vigoureuses et efficaces des prélats catholiques et du pasteur Boegner. La déclaration la plus retentissante est celle de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse la plus déterminante, celle du cardinal Gerlier, archevêque de Lyon et primat des Gaules. Poussé par l'admirable abbé Chaillet, Mgr Gerlier couvre l' " enlèvement " d'une certaine d'enfants juifs que la préfecture de Lyon allait transférer à Drancy. Cette réaction humanitaire de l'opinion publique française, surtout en zone libre, où elle a évidemment plus de facilités pour s'exprimer, entraîne immédiatement pour le sort des juifs des répercussions bénéfiques. Mais la Gestapo achève en 1942 de fournir à Auschwitz le contingent prévu en juin de quarante mille déportés, en faisant arrêter par la police française en zone occupée les juifs baltes, yougoslaves, bulgares, hollandais, roumains, grecs et en déportant également de Pithiviers un millier de juifs français qui ont tenté de passer la ligne de démarcation. La protection italienne Après l'invasion de la zone libre par les allemands, en novembre 1942, les autorités militaires italiennes protègent, dans leur nouvelle zone d'occupation, les juifs français et étrangers contre les mesures de Vichy (apposition obligatoire de la mention " juif " sur les titres d'identité et sur la carte d'alimentation) ainsi qu'en empêchant, au besoin par la force, les arrestations de juifs. Des pressions allemandes s'exercent sur Mussolini, qui se décide, le 18 mars 1943, à transférer aux autorités françaises les pouvoirs de police sur les juifs dans sa zone d'occupation. Le lendemain même, il se ravise sous l'effet d'un document relatant les atrocités nazies à l'Est contre les juifs. Le Duce confie le traitement de la question juive dans la zone d'occupation italienne à sa police civile. L'inspecteur général Lo Spinoso, chargé de cette mission, se fait conseiller par Angelo Donati, juif italien dont l'efficacité fut remarquable, et il continue à protéger systématiquement les juifs. Pendant le premier semestre de 1943, la section antijuive de la Gestapo alimente les trains de déportation avec les juifs français détenus pour avoir commis des infractions, avec des rafles menées conjointement par des policiers français et allemands à Marseille, par la préfecture de police à Paris, par la gendarmerie de la zone sud mais les SS ont conscience que la défaite de Stalingrad accentue les réticences de Vichy. Ils tentent d'obtenir de Laval la révocation des naturalisations de juifs obtenues depuis 1927. Mais la chute de Mussolini, le 25 juillet, rend Laval circonspect, et la loi prévue ne sera pas publiée. En représailles, les SS décident d'inclure, systématiquement cette fois, les juifs français dans les déportations mais ils ne reçoivent de Berlin d'autre renfort policier qu'un commando d'une dizaine d'hommes dirigé par Aloïs Brünner, l'un des plus redoutables délégués d'Eichmann. Ce commando déclenche une terrible chasse aux juifs sur la Côte d'Azur. Le 8 septembre, en effet, les Alliés ont prématurément rendu public l'armistice signé par les Italiens, empêchant ceux-ci, de transférer en Italie, afin de les transporter en Afrique du Nord, une vingtaine de milliers de juifs réfugiés dans la région niçoise. Le remplissage des trains (quatorze convois en 1944, dont deux de 1 500 personnes) s'effectue par la poursuite à Paris de rafles par la préfecture de police visant les juifs étrangers (plus de 4 000), ainsi que par des rafles en province menées parfois par la police allemande et visant indistinctement juifs français et juifs étrangers. La nomination de Darnand au poste de secrétaire général au maintien de l'ordre et le rôle accru de sa milice facilitent les arrestations de juifs français ainsi que les fusillades ou exécutions sommaires (environ un millier). Heureusement, les organisations juives ont dissous à temps leurs foyers plus ou moins clandestins d'enfants juifs, sauf en deux cas : celui d'Izieu (Ain), où Klaus Barbie fait rafler quarante-quatre enfants le 6 avril 1944, et celui des foyers de l'UGIF, dans la région parisienne liquidés le 20 juillet par Brünner, qui déporte plus de trois cents enfants par le dernier grand convoi de Drancy, le 31 juillet. SERGE KLARSFELD Le Monde du 11 mai 1985

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