Devoir de Philosophie

Les Raisons Qui Poussent Un Auteur À Raconter Sa Vie/ Les Difficultés Qu'Il Rencontre.

Publié le 16/10/2010

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INTRODUCTION 

 

Pour commencer:

 

- "Dans les années 80, on a assisté à un regain d’intérêt pour les « récits de vie «. L’édition, la télévision et la radio livrent au public des tranches de vécu : témoignages divers, biographies ou encore récits historiques répondent vraisemblablement à une attente collective, à une attention pour l’authentique et l’existentiel. Si on s’intéresse aux grands hommes du passé, on prend plaisir aussi à écouter les « muets de l’histoire «. Devant ce succès qui ne se dément pas, on peut se demander ..."

 

ou encore:

 

"Pascal disait que le moi est une "chose haïssable". Face aux " déballages " quotidiens dont les médias se font les relais, voire les instigateurs, on peut affirmer, sans courir de grands risques, que cette opinion n'est plus de mise... Aux moyens de communication traditionnels - radio, télé, papier - s'est ajouté le Web et les récits de vie, journaux intimes, confessions et règlements de compte, sans oublier l'indispensable " home page " du site personnel, nous inondent de confidences. Tout le monde se raconte, s'analyse, s'exhibe et jure de dire la vérité. Les lecteurs se cherchent, se trouvent et se perdent dans ces morceaux de vie. La faute à qui ? A Rousseau, dit-on. En 1761, le penseur met son cœur à nu et ce désir de sincérité modifie l'image de l'écrivain. Chateaubriand le lui reprochera en arguant qu'il ne faut pas parler de ses faiblesses. Voilà déjà deux conceptions différentes de l'autobiographie qui nous amènent à réfléchir sur le genre..."

 

 

 

 

DEVELOPPEMENT 

 

- Quelles sont les difficultés à se peindre soi-même?

 

1. Reconstituer le souvenir ("le travail de mémoire"): il s'agit de retrouver l'état d'esprit, les circonstances, les détails du passé. Toute l'oeuvre de Proust en montre la difficulté. A la mémoire sensorielle, involontaire, succède l'effort de la conscience pour reconstruire le souvenir à partir du "kaléidoscope" des sensations.

En outre, la distance qui sépare le moment raconté et la narration introduit une autre difficulté: le "je" qui s'exprime, même honnête, n'est pas identique au "je" qui vient de vivre la réalité. 

Rousseau insiste sur l'importance capitale du souvenir dans l'élaboration de œuvre. Avec lui, naît une autre vérité : la vérité artistique est chargée de plus de poids que le réel : " De tout ce qu'on dit, de tout ce qu'on fait, de tout ce qui se passe en ma présence, je ne sens rien, je ne pénètre rien. Le signe extérieur est tout ce qui me frappe. Mais ensuite tout cela me revient : je me rappelle le lieu, le temps, le ton, le regard, le geste, la circonstance, rien ne m'échappe.".

 

2. (travail de mémoire - suite)L'autobiographe doit prendre une distance par rapport aux événements. Ceci explique qu'il raconte le plus souvent son enfance. L'adulte porte alors un regard sur son passé qui peut éclairer son présent. Il y cherche les raisons de son évolution. Cette démarche s'apparente bien sûr à la psychanalyse et rencontre les mêmes difficultés. Il faut se connaître, retrouver les événements enfouis ou occultés par l'inconscient, parfois mettre à jour les parties les plus sombres de sa personnalité. L'auto-analyse est une entreprise difficile puisqu'on se heurte à ces barrages inconscients et que l'on peut avoir tendance, pour les contourner, à se complaire dans la "bonne conscience", la justification, l'admiration de soi ou au contraire, la haine et le mépris dirigé contre soi.

Roman de l'enfance, de l'apprentissage, le genre s'inscrit dans l'autobiographie quand il est écrit à la première personne et que l'on peut réunir auteur, narrateur et héros en une seule personne. 

 

Deux trames se mêlent alors: le passé de l'enfant et le présent de l'auteur qui commente le récit.

 

a. Le cadre de l'enfance: l'auteur-narateur-héros est à la quête de ses origines; il cherche qui il est en évoquant ses parents et les relations qu'il entretenait avec eux. (Sido, Colette)

b. Les apprentissages: à l'école, il apprend à connaître les réalités de la vie; les mystères de la nature, les mécanismes de la vie sociale, l'expérience de l'amour (voir L'enfant de J. Vallès).

c. L'action: les différentes épreuves subies le préparent à sa vie d'adulte. Parfois, le héros découvre sa vocation littéraire et le roman participe à la construction de sa personnalité. Sartre, dans "Les Mots", raconte comment orphelin de père, il a été élévé par son grand-père et sa mère. Enfant prodige pour leur plaire, il trouve sa vérité dans l'écriture.

 

3. Il est impossible de raconter toute une vie. Il faut donc choisir, trier et ordonner les événements. Les critères sont forcément subjectifs et répondent à une thèse implicite.Chez J.J. Rousseau, l'obsession de la transparence (présente dans l'épitaphe : "intus et in cute" (intérieurement et sous la peau))s'exprime par la volonté de tout dire: se dévoiler pour lui, c'est échapper aux corruptions de la société. 

 

4. Cette thèse s'adresse nécessairement à quelqu'un. L'auteur doit déterminer qui sera son destinataire: lui-même (journal intime), son entourage, ses contemporains ou encore la postérité (Rousseau). L'image qu'il donnera de lui dépendra étroitement de ce choix.

 

5. La principale difficulté reste certainement la mise en forme des souvenirs. En effet, l'écriture qui s'intercale introduit une distance, une différence. Elle transforme la réalité, aussi honnête soit-on. Ainsi en est-il des mots qui toujours altèrent, déforment ou embellissent les sentiments. Rousseau avoue ses difficultés à écrire: "Mes manuscrits raturés, barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu'ils m'ont coûtée. Il n'y en a pas un qu'il ne m'ait fallu transcrire quatre ou cinq fois avant de le donner à la presse." Non seulement, Rousseau ne pratique pas l'écriture spontanée, mais il se contraint à un travail considérable du style.

On peut chercher ce que l'on ignore sur soi mais s'il est rare qu'on trouve ce manque, il est encore plus rare qu'on parvienne à le traduire avec des mots et des figures de langage.

 

- Pourquoi écrire sur soi?

 

* Pour "abréger" ou "allonger" le temps, disait Rousseau: on bannit les mauvais moments pour ne garder que les plus heureux

* Pour témoigner. On peut envisager ici le "devoir de mémoire" que s'est imposé Primo Levi, par exemple mais aussi toutes les autobiographies qui témoignent d'une époque, d'une classe sociale et de ses moeurs; d'une lutte personnelle contre la maladie, la toxicomanie ou encore l'inceste.

* Pour exorciser un passé douloureux: Pr. Levi, G. Pérec poursuivent cet objectif.

*Pour persuader le lecteur, pour se réhabiliter, se justifier: ainsi, Rousseau qui écrit pour un lecteur posthume.

*Pour "donner corps à l'indicible", écrit Annie Ernaux: forme particulière d'autobiographie au "croisement de la sociologie et de l'histoire". Elle parle alors de la "nécessité absolue d'écrire".

 

- Les scrupules de l'autobiographe:

 

"Vous me direz que cela ne vous regarde pas, que s'il me plaît de poursuivre ma conversation avec l'enfant que je fus, cette touchante scène de famille vous laisse de glace, que vous vous fichez complètement de ce marmot. C'est votre droit."

 

I.Le lecteur s’intéresse à « cette touchante scène de famille « car

 

1. d'une façon générale, les hommes rencontrent toujours les mêmes difficultés, se posent les mêmes questions à chaque grande étape de la vie, quelle que soit la génération. Les souvenirs d'un enfant renvoient donc aux nôtres.

Exemple : Cohen portait à sa mère et il raconte le naufrage de son enfance après qu'il l'eut perdue.

 

2. Le lecteur approche d’une façon concrète une époque, une vie quotidienne ; il retrouve ses propres racines, son « héritage culturel «, ce qu’il cherche à fuir ou à découvrir.

Exemple : S. de Beauvoir / Pérec

 

3. Il peut acquérir une connaissance de la psychologie : témoignage sur la complexité de l’homme, sur ses faiblesses et sa grandeur

Exemple : "Les Confessions"

 

II.Cependant, aujourd’hui, nous assistons à une inflation de récits de vie :

 

1. la banalité a des limites: elle peut susciter l'ennui. Si tout le monde se met à raconter une vie ordinaire, le récit de vie perdra vite tout intérêt.(voir "Misadventures" de Sylvia Smith)

 

2. Ce qu'on dit sur un divan n'intéresse en principe que le névrosé qui se soulage. A moins que le public se fasse voyeur et aime l’exhibitionnisme : curiosité, malsaine peut-être, ou besoin pathétique de se retrouver en l'autre, de se sentir moins seul, de s'assurer de sa "normalité". (phénomène de la "télé-réalité" - voir article ci-dessous, dans "thèmes associés")

 

III.Synthèse : le récit de vie ("les scènes de famille") est intéressant s'il permet au lecteur de s'enrichir, de progresser dans la connaissance de soi et des autres, de découvrir un destin unique à une époque où tout le monde cherche à se ressembler. Il suscite alors le rêve, éveille la curiosité, élargit l'ouverture d'esprit.

 

 

 

CONCLUSION 

 

 

 

 

 

 

  Ressources 

 

 

Contexte 

 

- Marcel Proust: 

«Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.« 

 

" Depuis Proust, depuis Céline, depuis Sartre, on assiste à une contamination du roman par l'autobiographie." écrit Michel Raymond dans Le roman, Colin, coll.CURSUS,1988,p.81. Réponse: cet article passionnant de J. Garcin: 

 

- Une inflation de journaux intimes Le tout-à-l'ego par JÉRÔME GARCIN 

 

En France, le moi se porte bien. Il prospère, il enfle, il triomphe et menace les libraires qui, depuis le début de l'année, ne savent plus où placer, sans menacer l'équilibre général de leur officine, les 564 pages du journal intime de Michel Polac (PUF), les 1 300 pages de celui de Marc-Edouard Nabe (Rocher), les 510 pages de celui de Renaud Camus (Fayard), les 584 pages de celui, romancé, de Stéphane Zagdanski (Pauvert), les 440 pages de celui de Jean-Louis Kuffer (Campiche), et maintenant les 646 pages de celui de Maurice G. 

Dantec (Gallimard). Un vrai concours de lancer de poids ! On ajouterait volontiers à cette liste non-exhaustive les récents journaux intimes de Jean Chalon (Plon), Bernard Delvaille (Table ronde) et Michel del Castillo (Seuil), si ces derniers, ignorant que la mode est non seulement à la suffisance mais aussi au ressentiment, ne consacraient l'essentiel de leurs carnets à faire l'éloge des grands écrivains qu'ils ont eu le privilège de rencontrer ou à 

commenter l'actualité dont ils ont été les témoins. On voit par là combien ces trois rescapés du journal à l'ancienne, moitié mondain, moitié militant, sont anachroniques. Car le diariste en vogue n'a pas tant de scrupules. Même s'il se déteste, il se préfère à ses 

contemporains. La place lui manque toujours pour reproduire les lettres élogieuses qu'on lui envoie et citer les articles dithyrambiques qu'on lui consacre. La pléiade ne suffirait pas 

à sa vanité. Il se réclame d'Amiel, pour le narcissisme, et de Léautaud, pour l'aigreur. 

Esquissons donc son portrait. 

C'est, le plus souvent, un hypocondriaque à forte tendance misogyne. Un mec, si vous préférez. Il ne compte plus ses conquêtes, apprécie, comme Michel Polac, les femmes sans culture, et peut, tel Renaud Camus, consacrer deux pages (213-214) à mesurer,palper, étudier, admirer, qu'il soit dressé ou au repos, son sexe. Question subsidiaire : les femmes seules auraient-elles donc la vertu de cultiver, dans leurs journaux intimes, la compassion (Annie Ernaux), l'amour absolu (Dominique Rolin) et l'amitié (Françoise Giroud) ? 

C'est, en outre, un prétendu misanthrope. Il n'aime rien tant que poser en martyr et s'habiller en Alceste. De s'être exilé au Canada (Dantec), éloigné en Angleterre (Zagdanski) ou retiré dans son château (Camus) lui offre, croit-il, la hauteur nécessaire pour mépriser la société littéraire. En vérité, il ne s'intéresse qu'à elle et attend, avec une pathétique impatience, qu'elle reconnaisse son génie. Résultat : l'égotiste qui clame son indépendance d'esprit tourne en rond dans le même marigot. Camus est " fasciné " par 

Nabe, que Polac tient pour " un mégalo sans charme ", lui préférant le " suicidaire " Houellebecq, que Kuffer juge " abject ", tandis que Zagdanski fait de Nabe son " meilleur ami ", lequel aime bien Polac mais plus encore Sollers, que Maurice G. Dantec trouve "touchant", que Polac déteste, qui " indiffère " Camus, mais dont Zagdanski dispute à Nabe le statut de fils spirituel au cours d'un dîner de connivence à la Closerie des Lilas. Où l'on constate que les ennemis du politiquement correct, quand ils sont rassemblés,finissent par former un bataillon très conventionnel. 

C'est également un bilieux qui répond à la morale du moi haïssable par le protocole du moi haïssant. Il ne critique pas ses pairs, il les insulte - " salaud " étant, d'après mes comptes, l'adjectif le plus employé. Il fonctionne à l'exécration comme la voiture écologique au GPL. Parfois, elle dérape. Cela donne chez Camus des pages dans lesquelles il accuse les juifs de phagocyter une radio de service public ou, chez Nabe, une fielleuse nécrologie du " sinistre pédaloïde Jean-Paul Aron succombant à son sida ". 

Même s'il prétend à la gauche, c'est un réactionnaire dans l'âme. Maurice G. Dantec ne s'est-il pas choisi pour devise la phrase du plus farouche adversaire de la Révolution, Joseph de Maistre : " On n'a rien fait contre les opinions quand on n'a pas attaqué les 

personnes " ? Convaincu d'être un génie incompris, accablé par la nullité et la complaisance des écrivains auxquels le succès réserve un sort meilleur, il ne trouve de réconfort que dans la littérature classique, l'illusion d'une aristocratie de plume, et le respect d'une grammaire implacable. Le meilleur exemple est Renaud Camus. Cet 

homme, qui avoue écrire " comme un vieil académicien ", est totalement constipé quand,au nom de la langue française, il traque les barbarismes et les solécismes, et affreusement diarrhéique quand il raconte ses nombreuses aventures homosexuelles. On ne quitte pas 

l'intestinal. 

Enfin, s'il faut bien admettre que le diariste ne manque ni de talent ni de caractère, il lui faut sans cesse les massacrer, les noyer dans un brouet noir dont lui seul pense qu'il supplée à une oeuvre. Or, pendant qu'Amiel rédigeait son monumental " Journal intime ", que plus personne ne lit, Balzac donnait " la Comédie humaine " et Flaubert, son exact contemporain, s'il ne négligeait pas non plus de pourfendre la bêtise humaine, travaillait à révolutionner le roman français. 

Nouvel Observateur - N°1855

 

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