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L'illusion comique de Pierre Corneille ; Acte I - Scène 2

Publié le 16/10/2010

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illusion

 

Corneille est né en 1606, à Rouen. C'est au cours de ses études chez les Jésuites qu'il découvre la grande passion de son existence, le théâtre. Il mènera une vie de bourgeois tranquille mais une vie littéraire riche,  prolifique et variée. Réduire, comme c'est souvent le cas, sa réputation à celle d'un auteur de tragédies classiques est très restrictif. C'est en effet oublier que sur les trente-trois pièces qu'il a écrites, la moitié sont des comédies ou des tragi-comédies. Après l'écriture de quatre comédies, c'est seulement à partir du Cid, qui lui vaut un immense succès mais aussi des attaques violentes, qu’il se lancera dans la tragédie classique avant de revenir dix années plus tard à des pièces comiques tel que Le Menteur.  Détrôné plus tard par Racine, il mourra dans l'oubli en 1684. L'Illusion comique, jouée pour la première fois en 1636 est une comédie baroque, en vers, qui raconte l'histoire d'un père à la recherche de son fils. Sur les conseils d'un ami il vient consulter Alcandre, magicien de grande réputation, pour lui demander son aide afin de retrouver son fils Clindor disparu. Cet extrait de la scène 2 présente la réponse du mage.

      Quelle est la symbolique des personnages dans cette scène ?

      Nous étudierons successivement le personnage magique d'Alcandre puis le rôle dramatique de Pridamant.

 

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      Personnage du merveilleux, le magicien possède trois caractéristiques essentielles.

 

Alcandre conscient de son pouvoir apparaît aux yeux de tous comme un grand magicien. Dorante en fait largement l'éloge. Il connaît tout et possède une science infuse, "grand démon du savoir" v.90. Alcandre sait d'instinct ce qui amène Pridamant à venir lui demander son aide "Tu cherches en tous lieux ce fils si mal traité ?". Cette question oratoire du magicien n'attend aucune réponse, elle montre uniquement au père tous les pouvoirs en la possession du sorcier. Il se permet également de couper la parole à Dorante alors qu'il voulait lui expliquer la raison de leur venue "Dorante, c'est assez, je sais ce qui l'amène" v.102. Cette impolitesse du magicien souligne son agacement car l'ami de Pridamant remettait en cause ses capacités en lui exposant la situation pour lui évidente. Alcandre promet au père désespéré qu'il retrouvera son fils. Pour cela, il emploie l'impératif "Commencez d'espérer" v. 122 ainsi que le futur "vous saurez par mes charmes" v. 122 et "vous reverrez" v. 124. Le mage fait même une première révélation à Pridamant "ce fils plein de vie et d'honneur" v.124. Dès le début de l'entretien il rassure le père à propos de la condition de son enfant.

Alcandre est également présenté comme un sage. Il possède  en effet en plus du savoir la sagesse liée à son art. Il se permet de porter un jugement  sur  l’attitude que Pridamant a eu envers son fils, "Vieillard, n'est-il pas vrai que son éloignement / Par un juste remords te gène incessamment," v.104-105. Le magicien va jusqu'à qualifier les sentiments du père, "juste" veut dire que Pridamant a raison de regretter son comportement passé et qu'il a eu tort d'agir de la sorte. Le sorcier utilise aussi un vocabulaire dépréciatif pour désigner la conduite du père envers Clindor, "obstination" v.106, "sévère" v.106, "banni" v.107, "sévérité" v.108 et "si mal traité" v.109. Alcandre n'approuve pas et condamne l'attitude de Pridamant contre son fils. Connaissant les conséquences de ce comportement, "peine" v.103 et "misère" v.107, la sagesse du magicien est évidente. Par cette sentence, le mage réaffirme sa puissance et s'impose comme juge à son interlocuteur ainsi placé en position de faiblesse.

Dans cette scène, Alcandre s'illustre comme dramaturge. Il tire les ficelles de l'intrigue et il crée l'illusion. Il va, en effet, révéler grâce à ses pouvoirs le destin de Clindor, comme un auteur nous informe sur les personnages de sa pièce, "vous saurez par mes charmes" v.122. Il présentera un "spectacle" tel un metteur en scène. A l'époque de Corneille, dramaturge et metteur en scène ne faisait qu'un. Plus encore, Alcandre laisse entendre à Pridamant qu'il va sous peu faire apparaître son fils, "vous reverrez" v.124. Ce verbe formé à partir de "voir" se réfère directement au théâtre dont il a la même étymologie. L'art d'Alcandre est une magie visuelle, tout comme le théâtre. Le magicien est donc bien l'équivalent d'un dramaturge. Le "théâtre dans le théâtre" qui sera au cœur de toute la pièce commence à se mettre en place dès la scène 2 de l'acte I.

 

      Alcandre sorcier très puissant est aussi un sage. Il est également   le dramaturge dans l'Illusion comique. Pridamant, autre personnage de cette scène, qui apparaît au début et à la fin de la pièce, est le père éploré venu chercher des informations sur son fils Clindor disparu. Il possède lui aussi plusieurs traits de caractères particuliers.

 

Pridamant est un être faible qui a échoué dans son devoir d'éducation à l'égard de son fils. Ce dernier, Clindor a fui la demeure familiale pour échapper à la dureté de son père, "Qu'une obstination à te montrer sévère / L'a banni de ta vue et cause ta misère" v.106-107. Pridamant reconnaît de lui-même ses échecs, "Il est vrai, j'ai failli" v.114, ainsi que ses torts dans la fugue de Clindor, "mon injuste rigueur" v.112, "mes injustices" v.114 et "mes débiles ans" v.117. Il n'a pas seulement échoué dans l'éducation de son enfant mais également dans sa recherche, "Tant de travaux en vain" v.115. Il n'a rien réussi en ce qui concerne son fils.

Pridamant est aussi un personnage abattu par le constat de son échec éducatif dont il souffre amèrement, "un juste remord qui te gêne incessamment" v.105, "repentir" v.108 et "mes regrets cuisants" v.116, ainsi que du fait de la perte de son enfant. Les trois personnages de cette scène emploient un champ lexical de la douleur pour évoquer les maux ressentis par Pridamant, "ce père affligé" v.96, "les douleurs" v.96, "ses malheurs" v.97, " ta misère" v.107, "ma douleur" v.111 et "grands supplices" v.115. Le tourment du père est manifeste et en dernier recours il n'a d'autre alternative que de faire appel au magicien pour soulager sa peine, "Donne enfin quelque borne à mes regrets cuisants, / Rends-moi l'unique appui de mes débiles ans" v.116-117.

Ce père meurtri fait enfin l'éloge d'Alcandre certes pour s'attirer sa sympathie et obtenir son aide dans sa quête mais aussi certainement pour ce convaincre lui-même du bien-fondé de sa démarche.  A cette fin, Pridamant y dédie la majorité des vers de sa réplique. Il souhaite ainsi montrer au mage que malgré ses erreurs passées, sa volonté de retrouver son fils et sa foi en ses capacités sont grandes. Il use de nombreuses formules pour flatter Alcandre qui ne semble pas insensible aux compliments, "Oracle de nos jours qui connais toutes choses" v. 110, "Tu sais trop quelle fut mon injuste rigueur" v.112 et "Et vois trop clairement les secrets de mon cœur" v.113. Il utilise également quelques impératifs qui ont plus une valeur d'imploration que d'ordre donné au magicien, "Donne enfin quelque borne" v.116 et " Rends-moi" v.117. Il emploie ce temps car il ne doute pas des pouvoirs de ce dernier et se persuade qu'il va réussir à répondre à ses attentes. Il pose deux questions à Alcandre qui pour lui est forcément détenteur des réponses, "Où fait-il sa retraite ? En quels lieux dois-je aller ?" v.120.

 

Le personnage de Pridamant tient un rôle dramatique eu égard à son échec paternel et de la souffrance qu'il éprouve.

 

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      Les deux personnages principaux de cette scène, Alcandre et Pridamant, tiennent des rôles différents et complémentaires. Pridamant est un père désespéré qui a échoué dans toutes ses tentatives pour retrouver son fils, dont il est responsable de la fuite, alors qu'Alcandre est un grand magicien, il va l'aider dans sa quête. L'attitude plutôt dramatique et désemparée du père s'oppose à l'assurance  et aux pouvoirs surnaturels du sorcier.

      Les rôles ainsi définis seront-ils toujours les mêmes à la fin de la pièce, dans l'acte V ?

 

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