Lilongwe
Extrait du document
«
- 0 ( L::::J,
~
LES DOSSIERS PHILO
toute vision concurrente.
Le récit alternatif qu'elle
oppose à la version officielle renverse la charge
de la preuve: c'est
à l'autre de prouver qu'il n'y a
pas de conspiration, que son propre récit est vrai.
Le doute subsiste parce qu'il est entretenu par les
conspirationnistes.
C'est
un fonds de commerce
nécessaire pour les partisans des théories du com
plot : en opposant aux faits des faisceaux d'indi
ces, ils développent une argumentation circulaire
qui disqualifie a priori toute vision opposée.
Or
la théorie du complot n'a de théorie que le nom.
Car
ce qui confère son caractère scientifique à une
théorie, c'est la possibilité d'en démontrer l'éven
tuelle fausseté en produisant des exemples qui lui
échappent.
C'est, suivant Karl
Popper, la falsifia
bilité qui donne
à un énoncé son statut théori
que :
« Une théorie qui n'est réfutable par aucun
événement qui se puisse concevoir est dépour
vue
de caractère scientifique.
» (Conjectures et
réfutations) De ce point de vue, la « théorie »
du complot, dans son fonctionnement, est fon
dée
sur une usurpation récurrente.
Une explication globalisante
La vision conspirationniste s'enracine dans le
besoin humain d'apporter une cohérence
à la fluc
tuation contingente des événements.
Elle hyper
trophie ce besoin
et lui répond en développant
une lecture globale fondée sur l'existence d'un
complot.
Cette vision procède d'une erreur qui
est de croire que tous les événements
ont pour
cause une volonté délibérée de certaines person
nes qui auraient intérêt
à ce que les choses se
passent ainsi.
« La théorie sociologique du
complot[
...
] est fondée sur l'idée que tous
les phénomènes sociaux
-et notamment
ceux que l'on trouve en général malve-
nus, comme la guerre, le chômage, la
pauvreté,
la pénurie- sont l'effet direct
d'un plan ourdi
par certains individus
ou groupes puissants.
» (Karl Popper,
Conjectures et réfutations) Or, précise
Popper, « la vision conspirationniste
de
la société ne peut pas être vraie, car
elle revient
à supposer que tous les résul
tats,
même ceux qui pourraient sembler
spontanés
à première vue, sont le résultat
voulu des actions d'une personne intéressée
à ces
résultats» (La Société ouverte et ses ennemis).
16
Suivant cette ambition de justification totali
sante, rien n'arrive
par hasard, et si d'aventure
ce fut le cas, la main des puissants continue de
veiller dans l'ombre.
À qui profite le crime ?
Selon Popper, la théorie du complot renoue avec
« un type assez primitif de superstition » : « Ce
sont les Sages de Sian, les monopoles, les capi
talistes ou les impérialistes qui
ont pris la place
des dieux de l'Olympe homérique.
» (Conjectures
et réfutations) Pour Hannah Arendt, « le désir
qu'ont
les masses d'un mande complètement cohé
rent », les prédispose à se tourner vers des idéo
logies qui élimineraient
« les coïncidences en
inventant un pouvoir suprême et universel.
»
(Les Origines du totalitarisme) Dans la théorie
du complot, on assiste bien
à la construction d'un
pouvoir fictif
pour expliquer le réel.
Le pouvoir
totalitaire est également coutumier de ces tech
niques de propagande.
« Le Parti finirait par
annoncer que deux et deuxfont cinq et il fau
drait le croire.
[ ...
] Et le terrible n'était pas que
le Parti tuait ceux qui pensaient autrement, mais.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓