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Mauriac, Thérèse Desqueyroux (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Mauriac, Thérèse Desqueyroux (extrait). Jugée pour avoir tenté d'empoisonner son mari, Bernard, Thérèse Desqueyroux vient d'obtenir un non-lieu. Sur le trajet du retour vers la propriété familiale, elle se livre à un récit de son passé et tente d'explorer à travers le prisme de sa subjectivité son propre mystère, se préparant à la confrontation avec son époux. Victime et prisonnière de la médiocrité d'un milieu pesant, avide de liberté et de lucidité, l'énigmatique Thérèse est aussi une tragédienne porteuse de mort, vouée à un destin inexorable auquel elle s'asservit elle-même, un « monstre « justifiant de son crime par l'insignifiance de sa victime. En cela, elle représente toute l'ambiguïté de l'univers mauriacien. Thérèse Desqueyroux de François Mauriac (chapitre 9) Thérèse souriait. Dans le bref intervalle d'espace et de temps, entre l'écurie et la maison, marchant aux côtés de Bernard, soudain elle avait vu, elle avait cru voir ce qu'il importait qu'elle fît. La seule approche de cet homme avait réduit à néant son espoir de s'expliquer, de se confier. Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu'ils ne sont plus là ! Durant tout ce voyage, elle s'était efforcée, à son insu, de recréer un Bernard capable de la comprendre, d'essayer de la comprendre ; -- mais, du premier coup d'oeil, il lui apparaissait tel qu'il était réellement, celui qui ne s'est jamais mis, fût-ce une fois dans sa vie, à la place d'autrui ; qui ignore cet effort pour sortir de soimême, pour voir ce que l'adversaire voit. Au vrai, Bernard l'écouterait-il seulement ? Il arpentait la grande pièce humide et basse, et le plancher pourri par endroits craquait sous ses pas. Il ne regardait pas sa femme, -- tout plein des paroles qu'il avait dès longtemps préméditées. Et Thérèse, elle aussi, savait ce qu'elle allait dire. La solution la plus simple, c'est toujours à celle-là que nous ne pensons jamais. Elle allait dire : « Je disparais, Bernard. Ne vous inquiétez pas de moi. Tout de suite, si vous voulez, je m'enfonce dans la nuit. La forêt ne me fait pas peur, ni les ténèbres. Elles me connaissent ; nous nous connaissons. J'ai été créée à l'image de ce pays aride et où rien n'est vivant hors les oiseaux qui passent, les sangliers nomades, je consens à être rejetée ; brûlez toutes mes photographies ; que ma fille même ne sache plus mon nom, que je sois aux yeux de ma famille comme si je n'avais jamais été. « Et déjà Thérèse ouvre la bouche ; elle dit : « Laissez-moi disparaître, Bernard. « Au son de cette voix, Bernard s'est retourné. Du fond de la pièce, il se précipite, les veines de la face gonflées ; balbutie : « Quoi ? Vous osez avoir un avis ? émettre un voeu ? Assez. Pas un mot de plus. Vous n'avez qu'à écouter, qu'à recevoir mes ordres, -- à vous conformer à mes décisions irrévocables. « Il ne bégaie plus, rejoint maintenant les phrases préparées avec soin. Appuyé à la cheminée, il s'exprime d'un ton grave, tire un papier de sa poche et le consulte. Thérèse n'a plus peur, elle se moque de lui : il est grotesque. Peu importe ce qu'il dit avec cet accent ignoble et qui fait rire partout ailleurs qu'à Saint-Clair, elle partira. Pourquoi tout ce drame ? Cela n'aurait eu aucune importance que cet imbécile disparût du nombre des vivants. Elle remarque, sur le papier qui tremble, ses ongles mal tenus ; il n'a pas de manchettes, il est de ces campagnards ridicules hors de leur trou, et dont la vie n'importe à aucune cause, à aucune idée, à aucun être. C'est par habitude que l'on donne une importance infinie à l'existence d'un homme. Source : Mauriac (François), Thérèse Desqueyroux, Paris, Grasset, 1927. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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