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Melville, Moby Dick (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Melville, Moby Dick (extrait). Les principes masculin et féminin se répartissent harmonieusement entre l'océan et le ciel, la métaphore insiste sur un état d'harmonie, une permanence heureuse et puissante du monde. Ce moment précède immédiatement la rencontre de Moby Dick. Le dénouement du roman, violent, se trouve annoncé de façon musicale par les longues phrases lyriques, aériennes, qui rejouent le silence et le bruissement léger. Le capitaine Achab, trop tôt prévenu de la précarité de sa vie par la baleine blanche, perçoit ici pour la première fois la douceur possible du monde, sa beauté, son avènement sans menace. Moby Dick de Herman Melville (chapitre 132, « la Symphonie «) C'est un jour clair d'un bleu d'acier. Le double firmament de la mer et du ciel se confondait dans cet azur partout répandu ; toutefois, la transparence douce et pure du ciel pensif avait un air féminin, tandis qu'une respiration lente et puissante, pareille à celle de Samson endormi, soulevait la mer robuste et virile. Ici et là, dans les hauteurs, glissaient les ailes blanches de menus oiseaux immaculés, tendres pensées de ce ciel féminin ; dans l'abîme bleu et sans fond s'agitaient de puissants léviathans, des espadons et des requins, pensées vigoureuses, inquiètes, meurtrières du viril Océan. Si le contraste existait en profondeur, il n'était extérieurement qu'ombres et nuances, ils semblaient ne faire qu'un, le sexe seul les distinguait l'un de l'autre. Tel un souverain absolu, le haut soleil semblait marier ce ciel tendre à l'Océan téméraire et mouvant, l'épouse à l'époux ; et à l'horizon une douce palpitation, plus sensible sous les tropiques, révélait la confiance passionnée et frémissante, l'amoureuse inquiétude avec laquelle la pauvre épousée s'abandonnait. Noué, tordu, noueux, ravagé de rides, obstiné, inflexible, hagard, les yeux pareils à des braises ardentes sous les cendres du désastre, Achab, debout dans la clarté du matin, ne chancelait pas et levait le casque meurtri de son front vers le beau visage féminin du ciel. Oh ! impérissable enfance, innocence de l'azur ! Créatures ailées et invisibles qui jouez autour de nous ! Tendre enfance du ciel ! Combien vous étiez indifférents à la glène serrée de la douleur d'Achab ! Ainsi j'ai vu Marie et Marthe, elfes aux yeux rieurs, gambader insouciantes autour de leur vieux père et jouer avec le cercle de boucles roussies qui croissaient autour du cratère éteint de sa tête. Traversant lentement le pont depuis l'écoutillon, Achab se pencha bientôt sur la lisse et regarda son ombre s'enfoncer toujours et toujours davantage sous son regard tandis qu'il s'efforçait d'en transpercer la profondeur. Mais le parfum suave de cet air enchanté parut enfin éloigner de son âme la gangrène qui la rongeait. La joie et la séduction de ce ciel parvinrent enfin jusqu'à lui comme une caresse, le monde marâtre si longuement menaçant et féroce, nouait à présent autour de son cou têtu des bras aimants et semblait verser sur lui des larmes de joie comme sur un qui, malgré son obstination et son égarement, peut être encore sauvé par les ressources d'un coeur capable de bénédiction. Sous son chapeau rabattu, Achab versa une larme dans la mer et le Pacifique ne contint rien de plus précieux que cette seule petite goutte d'eau. Source : Melville (Herman), Moby Dick, trad. par Henriette Guex-Rolle, Paris, GF-Flammarion, 1970. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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