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Müller, Quartett (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Müller, Quartett (extrait). Quartett d'Heiner Müller confronte dans un dialogue Merteuil et Valmont, les deux principaux personnages du roman épistolaire de Choderlos de Laclos, les Liaisons dangereuses (1782). Cette confrontation consiste en un jeu de masques pervers. Sur la scène, les libertins jouent tantôt leur propre rôle, tantôt se travestissent pour mimer Valmont séduisant Madame de Tourvel ou Valmont déflorant la jeune Cécile de Volanges. Le face-à-face érotique et rhétorique tourne très vite à l'entredévoration, aboutissant au sacrifice de Valmont-Tourvel sur l'autel du narcissisme de la Merteuil. Quartett de Heiner Müller (extrait) MERTEUIL : Valmont. Je la croyais éteinte, votre passion pour moi. D'où vient ce soudain retour de flamme. Et d'une passion si juvénile. Trop tard bien sûr. Vous n'enflammerez plus mon coeur. Pas une seconde fois. Jamais plus. Je ne vous dis pas cela sans regret, Valmont. Certes il y eut des minutes, peut-être devrais-je dire des instants, une minute c'est une éternité, où je fus, grâce à votre société, heureuse. C'est de moi que je parle, Valmont. Que sais-je de vos sentiments à vous. Et peut-être ferais-je mieux de parler des minutes où j'ai su vous utiliser, vous si remarquable dans la fréquentation de ma physiologie, pour éprouver quelque chose qui m'apparaît dans le souvenir comme un sentiment de bonheur. Vous n'avez pas oublié comment on s'y prend avec cette machine. Ne retirez pas votre main. Non que j'éprouve quelque chose pour vous. C'est ma peau qui se souvient. À moins qu'il lui soit parfaitement égal, non, je parle de ma peau, Valmont, de savoir de quel animal provient l'instrument de sa volupté, main ou griffe. Quand je ferme les yeux, vous êtes beau, Valmont. Ou bossu, si je veux. Le privilège des aveugles. Ils ont en amour la meilleure part. La comédie des circonstances accessoires leur est épargnée : ils voient ce qu'ils veulent. L'idéal serait aveugle et sourd-muet. L'amour des pierres. Vous ai-je effrayé, Valmont. Que vous êtes facile à décourager. Je ne vous savais pas comme cela. La gent féminine vous a-t-elle infligé des blessures après moi. Des larmes. Avez-vous un coeur, Valmont. Depuis quand. Votre virilité aurait-elle subi des dommages, après moi. Votre haleine sent la solitude. Celle qui a succédé à celle qui m'a succédé vous a-t-elle envoyé promener. L'amoureux délaissé. Non. Ne retirez pas votre délicieuse proposition, Monsieur. J'achète. J'achète de toute façon. Inutile de craindre les sentiments. Pourquoi vous haïrais-je, je ne vous ai pas aimé. Frottons nos peaux l'une contre l'autre. Ah l'esclavage des corps. Le tourment de vivre et de ne pas être Dieu. Avoir une conscience, et pas de pouvoir sur la matière. Ne vous pressez pas, Valmont. Comme cela c'est bien. Oui oui oui oui. C'était bien joué, non. Que m'importe la jouissance de mon corps, je ne suis pas une fille d'écurie. Mon cerveau travaille normalement. Je suis tout à fait froide, Valmont. Ma vie Ma mort Mon bien aimé. Source : Müller (Heiner), Quartett, in la Mission, suivi de Prométhée, Quartett, Vie de Gundling..., trad. par Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux, Paris, Éditions de minuit, 1982. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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