Devoir de Philosophie

Nimis Groupe

Publié le 08/04/2012

Extrait du document

 

Nous sommes les enfants de l'Union Européenne, ceux de la libre circulation des biens et des personnes. Nous jouissons de l'Europe et de ses programmes d'échanges culturels et scolaires, nous sommes gâtés par les traités et les combats de nos grands-parents. Nous sommes nés sur un territoire qui nous a préservés des guerres. Nous parlons plusieurs langues, et sommes libres de nous déplacer. On nous a donné l'Europe. On nous a donné un état de paix.

         Lorsque nous parlons autour de la table de cette Europe pour laquelle nous n'avons pas eu à nous battre, nous essayons de comprendre ce qu'elle est, son histoire, nos privilèges.

Quels privilèges ? Par exemple, celui de nous retrouver pour travailler ensemble : plus de frontières entre nous. À l'inverse, nombreux sont ceux qui, au risque de leur vie, essayent d'entrer sur un territoire dont ils ne cessent d'être chassés. Nous avons la sensation grandissante de vivre dans le ventre chaud d'une Europe protégée par des frontières meurtrières. D'un coté les accords culturels; de l'autre les reconduites à la frontière. À quelles fins ?

         Qui sommes-nous donc pour parler de l'Europe ? Nous pouvons en parler de l'intérieur et accueillir à notre table les réflexions de ceux qui ont vu grandir l'Europe et qui ont agi pour sa construction. Qu’ils soient hommes politiques, philosophes, poètes, ou citoyens anonymes, tous peuvent apporter une vision forte de l’être européen. Mais il manque toujours à notre table ceux qui la regardent de l'extérieur pour en donner le revers... 

         Au-delà de ses acteurs internes, l’Europe voit chaque jour des milliers d’autres hommes et femmes avec le désir d'intégrer l’aventure européenne, arrêtés sur les côtes de son territoire. Il nous apparaît comme évident de travailler avec cet autre : figure communément désigné comme celle de l’étranger.

         Cette absence, ce rejet de l'autre, nous le ressentons comme une injustice qui continue d'aiguiser notre conscience de ce qu'est l'Union Européenne. Dans notre vie quotidienne, de plus en plus d'événements nous inspirent cette « honte d'être un homme » que décrivait Deleuze comme un motif de création. L'autre est absent, nous ne pouvons pas parler à sa place. Nous ne pouvons prendre la parole qu'en notre nom et affronter le constat violent que, bien qu'innocents, nous sommes dominants. Ne voulant pas nous contenter d'un spectacle qui nous donnerait bonne conscience en pleurant sur le sort des immigrés clandestins, ou qui dénoncerait banalement les absurdités d’une Europe abstraite et complexe, nous interrogeons l'Europe...

ñ  de là où nous sommes : un espace divisé entre élégance et barbarie, Lampedusa et l'Eurovision ; un endroit où les métropoles modernes se construisent sur d'anciens champs de bataille.

ñ  depuis ce que nous sommes : une famille éclatée, deux cultures théâtrales, douze identités d'origines diverses réunies autour d'un même projet; c'est déjà presque un peuple que nous pouvons évoquer au plateau.

         Face à cette Europe contrariée qui nous dépasse, et qui ne nous laisserait le choix qu'entre cynisme ou utopie, nous avons la nécessité de faire ressurgir l'humain, le poétique et l'inconditionnel. Pour chacun de nous, c’est une forme d’incompréhension, de paralysie, voire une certaine honte d’être Européen qui nous pousse à créer, et il nous semble urgent aujourd'hui de mettre la citoyenneté à la question. Notre création s'ancre dans les préoccupations brûlantes et actuelles de notre génération. Place Tahir, place 7-novembre, place Puerta del sol, place de Cataluña, place Saint-Lambert, place de la Bastille, place de Moscou... Emparons-nous du plateau comme un espace de résistance poétique, comme un territoire à habiter, à organiser, à inventer. Notre spectacle puise directement son propos dans le processus de notre rencontre, ainsi que dans le regard tendre et distancié que nous portons sur notre génération.

 

 

Liens utiles