Nodier, l'Amateur de livres (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Nodier, l'Amateur de livres (extrait). Cette apologie du livre, publiée en 1831, n'étonnera pas de la part du bibliothécaire de l'Arsenal, ni du fondateur du Bulletin du bibliophile. Avouant directement sa passion, Nodier analyse la psychologie du bibliophile et se lance ensuite dans une description fondée sur un plan historique. L'aspect savoureux de cet extrait vient justement de ce mélange entre une subjectivité avouée et une érudition au service de sa cause. Nodier organise son texte comme une fiche de bibliothèque, en passant du général au particulier : son amour pour les souverains lettrés laisse transparaître une certaine nostalgie romantique. L'Amateur de livres de Charles Nodier À considérer l'amateur de livres comme une espèce qui se subdivise en nombreuses variétés, le premier rang de cette ingénieuse et capricieuse famille est dû au bibliophile. Le bibliophile est un homme doué de quelque esprit et de quelque goût, qui prend plaisir aux oeuvres du génie, de l'imagination et du sentiment. Il aime cette muette conversation des grands esprits qui n'exige pas de frais de réciprocité, que l'on commence où l'on veut, que l'on quitte sans impolitesse, qu'on renoue sans se rendre importun ; et, de l'amour de cet auteur absent dont l'artifice de l'écriture lui a rendu le langage, il est arrivé sans s'en apercevoir à l'amour du symbole matériel qui le représente. Il aime le livre comme un ami aime le portrait d'un ami, comme un amant aime le portrait de sa maîtresse ; et, comme l'amant, il aime à orner ce qu'il aime. Il se ferait crépuscule de laisser le volume précieux, qui a comblé son coeur de jouissances si pures, sous les tristes livrées de la misère, quand il peut lui accorder le luxe du tabis et du maroquin. Sa bibliothèque resplendit de dentelles d'or comme la toilette d'une favorite ; et, par leur apparence extérieure elle-même, ses livres sont dignes des regards des consuls, ainsi que le souhaitait Virgile. Alexandre était bibliophile. Quand la victoire eut placé dans ses mains les riches cassettes de Darius, il pouvait y renfermer les plus rares trésors de la Perse. Il y déposa les oeuvres d'Homère. Les bibliophiles s'en vont comme les rois. Autrefois les rois étaient bibliophiles. C'est à leurs soins que nous devons tant de manuscrits inestimables dont une munificence éclairée multipliait les copies. Alcuin fut le Gruthuyse de Charlemagne, comme Gruthuyse l'Alcuin des ducs de Bourgogne. Les beaux livres de François Ier porteront aussi loin que ses monuments la renommée de ses salamandres. Henri II confiait le secret de son chiffre amoureux aux magnifiques reliures de sa librairie, comme aux somptueuses décorations de ses palais. Les volumes qui ont appartenu à Anne d'Autriche font encore, par leur chaste et noble élégance, les délices des connaisseurs. Les grands seigneurs et les gens notables de l'État se conformaient au goût du souverain. Il y avait alors autant d'opulentes bibliothèques que de familles à écussons et à panonceaux. Les Guise, les d'Urfé, les de Thou, les Richelieu, les Mazarin, les Bignon, les Molé, les Pasquier, les Séguier, les Colbert, les Lamoignon, les d'Estrées, les d'Aumont, les la Vallière, ont rivalisé, presque jusqu'à nos jours, d'utiles et savantes richesses ; et je nomme au hasard quelques-uns de ces nobles bibliophiles pour m'épargner le soin fastidieux de nommer tout le monde. Nos successeurs ne seront pas si embarrassés. Source : Nodier (Charles), l'Amateur de livres, 1831. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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