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O' Casey, la Charrue et les Étoiles (extrait).

Publié le 07/05/2013

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O' Casey, la Charrue et les Étoiles (extrait). Tableau en quatre actes de la révolution populaire contre la domination anglaise qui soulève l'Irlande entre 1915 et 1916, et que couronne l'indépendance, la Charrue et les Étoiles dit froidement comment une communauté s'organise en deux camps -- les héros et les lâches -- et vit son « devoir patriotique «. Seule au milieu des barricades et des pillages, y cherchant son mari, que par amour elle entend ramener au foyer, Nora Clitheroe semble habitée par un autre combat, apolitique celui-là. La Charrue et les Étoiles de Sean O'Casey (extrait) NORA, ôtant avec coquetterie le bras qui l'enlaçait. -- Oh bien sûr, quand ça te chante, Nora, la petite Nora à la bouche rouge est une gentille petite fille ; en attendant, c'est Nora, la petite Nora à la bouche rouge qui te cire les bottes tous les matins. CLITHEROE, avec un geste d'irritation. -- Ah bon, si tu veux faire ta morveuse ! Un silence. NORA. -- Il me semble que c'est plutôt toi qui veux faire... ton morveux. On tend sa bouche à Monsieur et il renâcle comme un vieux cheval. CLITHEROE. -- Si ce n'est pas extraordinaire ! je dis un mot tendre et tu veux à tout prix que ce soit une vanne. NORA. -- Ce n'est pas drôle, on se met des idées dans la tête, parce que ça fait plaisir ; et puis c'étaient des idées fausses et le plaisir s'en va. (Un silence. Elle se lève.) Oh, Jack, ne sois pas grognon ! CLITHEROE, l'air buté. -- Grognon ? Je ne suis pas grognon, je ne suis pas grognon du tout. C'est toi qui as commencé. NORA, caressante. -- Je n'ai rien voulu dire de malhonnête. Tu prends la mouche un peu trop vite, Jack. (D'un air dégagé, comme si rien de fâcheux ne s'était dit :) Tu ne m'as pas encore offert mon allocation du soir. (Clitheroe sort en silence une cigarette pour elle, une pour lui, et les allume toutes les deux. Elle essaie de renouer la conversation :) Comme la maison est tranquille, à présent ; tout le monde a dû sortir. CLITHEROE, assez sec. -- Je suppose. NORA, se levant. -- J'ai tellement envie de te montrer mon nouveau chapeau pour savoir ce que tu en penses !... Ça te ferait plaisir de le voir ? CLITHEROE. -- Oh, je n'y vois pas d'inconvénient. Nora réprime une réponse acerbe, hésite un moment, puis elle va quérir le chapeau, s'en coiffe, et prend la pose devant Clitheroe. NORA. -- Eh bien, est-ce que mon nouveau chapeau plaît à Monsieur Clitheroe ? CLITHEROE. -- Il te va bien, Nora, il te va tout à fait bien. Il se lève, la prend par le menton, et lui fait lever la tête. Elle le regarde d'un air buté. Il se penche et l'embrasse. NORA. -- Bon, assieds-toi, et que je n'entende pas un seul mot grognon de la soirée ! Ils s'asseoient. CLITHEROE, l'enlaçant. -- Ma petite, ma petite Nora à la bouche rouge ! NORA, se pressant contre lui, caressante. -- Jack ! CLITHEROE, resserrant son étreinte. -- Eh bien ? NORA. -- Tu ne m'as pas chanté de chanson depuis notre lune de miel. Chante-m'en une, maintenant, dis... S'il te plaît, Jack ! CLITHEROE. -- Laquelle ? « Depuis que Maggie s'en est allée « ? NORA. -- Ah non, Jack, pas ça, c'est trop triste. « Quand tu m'as dit que tu m'aimais. « Clitheroe s'éclaircit la gorge, réfléchit un moment et commence à chanter. Nora se blottit dans ses bras, et elle écoute, ravie. CLITHEROE, chantant sur l'air de « Quand on était jeunes nous deux, Maggie « : La violette embaumait les bois, Nora, À l'abeille offrant ses appâts, Quand je t'ai dit, Nora, que je t'aimais, Quand tu m'as dit que tu m'aimais ! Les marronniers étaient en fleurs, Nora, Sur un arbre un pinson chanta, Quand je t'ai dit, Nora, que je t'aimais, Quand tu m'as dit que tu m'aimais ! Le bouton d'or resplendissait, Nora, Et dedans la brise il valsa, Quand je t'ai dit, Nora, que je t'aimais, Quand tu m'as dit que tu m'aimais ! Et l'abeille et l'oiseau chantaient, Nora, Une extase promise à toi, Quand je t'ai dit, Nora, que je t'aimais, Quand tu m'as dit que tu m'aimais ! Nora l'embrasse. On frappe à la porte de droite : silence ; ils écoutent. Nora s'agrippe à Clitheroe. On frappe encore, plus fort. CLITHEROE. -- Je me demande qui ça peut être. NORA, un peu nerveuse. -- N'y fais pas attention, Jack, ils s'en iront dans une minute. On frappe encore. UNE VOIX. -- Commandant Clitheroe, Commandant Clitheroe, êtes-vous là ? Un message du Général Jim Connolly. CLITHEROE. -- Zut, c'est le Capitaine Brennan. NORA, inquiète. -- Ne t'occupe pas de lui, Jack. Ne gâche pas notre bonheur... Faisons semblant qu'on n'est pas là. Ne pensons rien qu'à nous deux ce soir ! CLITHEROE, rassurant. -- Ne t'effraie pas, chérie, je vais seulement voir ce qu'il veut, et puis je l'envoie promener. NORA, la voix tremblante. -- Non, non, je t'en prie, Jack, n'ouvre pas, je t'en prie, pour l'amour de ta petite Nora ! CLITHEROE, se levant pour aller ouvrir. -- Allons, ne sois pas bête, Nora. Il ouvre la porte et fait entrer un jeune homme revêtu de l'uniforme de l'Armée Citoyenne Irlandaise : tunique verte, chapeau vert à bords rabattus frappé de l'insigne de la Main rouge, un ceinturon avec un revolver dans son étui. Il a une lettre à la main. En entrant, il salue Clitheroe d'un air dégagé. C'est le Capitaine Brennan. LE CAPITAINE BRENNAN, tendant la lettre à Clitheroe. -- Une dépêche du Général Connolly. CLITHEROE, lisant ; pendant ce temps, Brennan porte ses regards sur Nora, qui se rasseoit péniblement sur le divan. -- « Le Commandant Clitheroe prendra le commandement du 8e bataillon de l'A.C.I., qui se rassemblera pour se rendre au meeting à neuf heures. Il veillera à ce que ses unités soient munies de leur équipement complet : deux jours de vivres, cinquante charges de munitions. À deux heures du matin, l'armée quittera Liberty Hall pour effectuer une attaque de reconnaissance sur le château de Dublin. Le Général en chef Connolly «... Je ne comprends pas. Pourquoi le Général Connolly m'appelle-t-il Commandant ? LE CAPITAINE BRENNAN. -- L'État-Major vous a nommé Commandant, et le Général a approuvé cette promotion. CLITHEROE. -- Quand est-ce arrivé ? LE CAPITAINE BRENNAN. -- Il y a une quinzaine. CLITHEROE. -- Comment se fait-il qu'on ne m'ait même pas envoyé un mot ? LE CAPITAINE BRENNAN. -- On vous a envoyé un mot... C'est moi-même qui l'ai apporté. CLITHEROE. -- À qui l'avez-vous donné, alors ? LE CAPITAINE BRENNAN, après un silence. -- Je crois bien que c'est à Madame Clitheroe ici présente. CLITHEROE. -- Tu entends ça, Nora ? (Nora ne répond pas. La voix de Clitheroe se durcit :) Nora... Le Capitaine Brennan dit qu'il m'a apporté une lettre du Général Connolly et qu'il te l'a donnée... Où est-elle ? Qu'est-ce que tu en as fait ? NORA court à lui, l'entoure de ses bras d'un air implorant. -- Jack, je t'en prie, Jack, ne sors pas ce soir et je te le dirai. Je t'expliquerai tout... Dis-lui de s'en aller et reste avec ta petite Nora à la bouche rouge. CLITHEROE, dénouant son étreinte. -- Assez d'imbécillités comme ça, je veux savoir ce que tu as fait de cette lettre. (Nora lentement revient s'asseoir.) Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas donné cette lettre ? Qu'est-ce que tu en as fait ? (Il la secoue par les épaules.) Qu'est-ce que tu as fait de la lettre ! NORA, prenant feu. -- Je l'ai brûlée, je l'ai brûlée ! Voilà ce que j'en ai fait ! Le Général Connolly et l'Armée Citoyenne, c'est ça ton seul souci ? Est-ce que ta maison est juste un endroit pour dormir ? Est-ce que je suis condamnée à devenir une sorte d'objet bon à te distraire la nuit ? Ta vanité te perdra, et moi avec... Sais-tu ce qui te fait courir ? C'est qu'ils t'ont nommé officier, alors tu vas te fabriquer des idées de grandeur. Quant à la petite Nora à la bouche rouge, elle peut bien rester assise ici et tenir compagnie toute la nuit à sa solitude ! CLITHEROE, farouche. -- Tu l'as brûlée, hein ? (Il l'attrape par le bras.) Eh bien, ma petite dame... NORA. -- Lâche-moi... tu me fais mal ! Source : O'Casey (Sean), la Charrue et les Étoiles, in Théâtre, tome II, trad. par René Soulat, Paris, L'Arche, 1960. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« Le bouton d’or resplendissait, Nora, Et dedans la brise il valsa, Quand je t’ai dit, Nora, que je t’aimais, Quand tu m’as dit que tu m’aimais ! Et l’abeille et l’oiseau chantaient, Nora, Une extase promise à toi, Quand je t’ai dit, Nora, que je t’aimais, Quand tu m’as dit que tu m’aimais ! Nora l’embrasse.

On frappe à la porte de droite : silence ; ils écoutent.

Nora s’agrippe à Clitheroe.

On frappe encore, plus fort. CLITHEROE .

— Je me demande qui ça peut être. NORA , un peu nerveuse. — N’y fais pas attention, Jack, ils s’en iront dans une minute. On frappe encore. UNE VOIX .

— Commandant Clitheroe, Commandant Clitheroe, êtes-vous là ? Un message du Général Jim Connolly. CLITHEROE .

— Zut, c’est le Capitaine Brennan. NORA , inquiète. — Ne t’occupe pas de lui, Jack.

Ne gâche pas notre bonheur… Faisons semblant qu’on n’est pas là.

Ne pensons rien qu’à nous deux ce soir ! CLITHEROE , rassurant. — Ne t’effraie pas, chérie, je vais seulement voir ce qu’il veut, et puis je l’envoie promener. NORA , la voix tremblante. — Non, non, je t’en prie, Jack, n’ouvre pas, je t’en prie, pour l’amour de ta petite Nora ! CLITHEROE , se levant pour aller ouvrir. — Allons, ne sois pas bête, Nora. Il ouvre la porte et fait entrer un jeune homme revêtu de l’uniforme de l’Armée Citoyenne Irlandaise : tunique verte, chapeau vert à bords rabattus frappé de l’insigne de la Main rouge, un ceinturon avec un revolver dans son étui.

Il a une lettre à la main.

En entrant, il salue Clitheroe d’un air dégagé.

C’est le Capitaine Brennan. LE CAPITAINE BRENNAN , tendant la lettre à Clitheroe. — Une dépêche du Général Connolly. CLITHEROE , lisant ; pendant ce temps, Brennan porte ses regards sur Nora, qui se rasseoit péniblement sur le divan. — « Le Commandant Clitheroe prendra le commandement du 8 e bataillon de l’A.C.I., qui se rassemblera pour se rendre au meeting à neuf heures.

Il veillera à ce que ses unités soient munies de leur équipement complet : deux jours de vivres, cinquante charges de munitions.

À deux heures du matin, l’armée quittera Liberty Hall pour effectuer une attaque de reconnaissance sur le château de Dublin.

Le Général en chef Connolly »… Je ne comprends pas.

Pourquoi le Général Connolly m’appelle-t-il Commandant ? LE CAPITAINE BRENNAN .

— L’État-Major vous a nommé Commandant, et le Général a approuvé cette promotion. CLITHEROE .

— Quand est-ce arrivé ? LE CAPITAINE BRENNAN .

— Il y a une quinzaine. CLITHEROE .

— Comment se fait-il qu’on ne m’ait même pas envoyé un mot ? LE CAPITAINE BRENNAN .

— On vous a envoyé un mot… C’est moi-même qui l’ai apporté. CLITHEROE .

— À qui l’avez-vous donné, alors ? LE CAPITAINE BRENNAN , après un silence. — Je crois bien que c’est à Madame Clitheroe ici présente. CLITHEROE .

— Tu entends ça, Nora ? (Nora ne répond pas.

La voix de Clitheroe se durcit :) Nora… Le Capitaine Brennan dit qu’il m’a apporté une lettre du Général Connolly et qu’il te l’a donnée… Où est-elle ? Qu’est-ce que tu en as fait ? NORA court à lui, l’entoure de ses bras d’un air implorant. — Jack, je t’en prie, Jack, ne sors pas ce soir et je te le dirai.

Je t’expliquerai tout… Dis-lui de s’en aller et reste avec ta petite Nora à la bouche rouge. CLITHEROE , dénouant son étreinte. — Assez d’imbécillités comme ça, je veux savoir ce que tu as fait de cette lettre.

(Nora lentement revient s’asseoir.) Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas donné cette lettre ? Qu’est-ce que tu en as fait ? (Il la secoue par les épaules.) Qu’est-ce que tu as fait de la lettre ! NORA , prenant feu. — Je l’ai brûlée, je l’ai brûlée ! Voilà ce que j’en ai fait ! Le Général Connolly et l’Armée Citoyenne, c’est ça ton seul souci ? Est-ce que ta maison est juste un endroit pour dormir ? Est-ce que je suis condamnée à devenir une sorte d’objet bon à te distraire la nuit ? Ta vanité te perdra, et moi avec… Sais-tu ce qui te fait courir ? C’est qu’ils t’ont nommé officier, alors tu vas te fabriquer des idées de grandeur.

Quant à la petite Nora à la bouche rouge, elle peut bien rester assise ici et tenir compagnie toute la nuit à sa solitude ! CLITHEROE , farouche. — Tu l’as brûlée, hein ? (Il l’attrape par le bras.) Eh bien, ma petite dame… NORA .

— Lâche-moi… tu me fais mal ! Source : O'Casey (Sean), la Charrue et les Étoiles, in Théâtre, tome II, trad.

par René Soulat, Paris, L'Arche, 1960. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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