O' Casey, la Charrue et les Étoiles (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document
«
Le bouton d’or resplendissait, Nora,
Et dedans la brise il valsa,
Quand je t’ai dit, Nora, que je t’aimais,
Quand tu m’as dit que tu m’aimais !
Et l’abeille et l’oiseau chantaient, Nora,
Une extase promise à toi,
Quand je t’ai dit, Nora, que je t’aimais,
Quand tu m’as dit que tu m’aimais !
Nora l’embrasse.
On frappe à la porte de droite : silence ; ils écoutent.
Nora s’agrippe à Clitheroe.
On frappe encore, plus fort.
CLITHEROE .
— Je me demande qui ça peut être.
NORA , un peu nerveuse. — N’y fais pas attention, Jack, ils s’en iront dans une minute.
On frappe encore.
UNE VOIX .
— Commandant Clitheroe, Commandant Clitheroe, êtes-vous là ? Un message du Général Jim Connolly.
CLITHEROE .
— Zut, c’est le Capitaine Brennan.
NORA , inquiète. — Ne t’occupe pas de lui, Jack.
Ne gâche pas notre bonheur… Faisons semblant qu’on n’est pas là.
Ne pensons rien qu’à nous deux ce soir !
CLITHEROE , rassurant. — Ne t’effraie pas, chérie, je vais seulement voir ce qu’il veut, et puis je l’envoie promener.
NORA , la voix tremblante. — Non, non, je t’en prie, Jack, n’ouvre pas, je t’en prie, pour l’amour de ta petite Nora !
CLITHEROE , se levant pour aller ouvrir. — Allons, ne sois pas bête, Nora.
Il ouvre la porte et fait entrer un jeune homme revêtu de l’uniforme de l’Armée Citoyenne Irlandaise : tunique verte, chapeau vert à bords rabattus frappé de l’insigne de la Main rouge, un ceinturon avec un revolver dans son étui.
Il a
une lettre à la main.
En entrant, il salue Clitheroe d’un air dégagé.
C’est le Capitaine Brennan.
LE CAPITAINE BRENNAN , tendant la lettre à Clitheroe. — Une dépêche du Général Connolly.
CLITHEROE , lisant ; pendant ce temps, Brennan porte ses regards sur Nora, qui se rasseoit péniblement sur le divan.
— « Le Commandant Clitheroe prendra le commandement du 8 e bataillon de l’A.C.I., qui se rassemblera pour se rendre au meeting à neuf heures.
Il veillera à ce que ses unités soient munies de leur équipement complet : deux jours de
vivres, cinquante charges de munitions.
À deux heures du matin, l’armée quittera Liberty Hall pour effectuer une attaque de reconnaissance sur le château de Dublin.
Le Général en chef Connolly »… Je ne comprends pas.
Pourquoi le
Général Connolly m’appelle-t-il Commandant ?
LE CAPITAINE BRENNAN .
— L’État-Major vous a nommé Commandant, et le Général a approuvé cette promotion.
CLITHEROE .
— Quand est-ce arrivé ?
LE CAPITAINE BRENNAN .
— Il y a une quinzaine.
CLITHEROE .
— Comment se fait-il qu’on ne m’ait même pas envoyé un mot ?
LE CAPITAINE BRENNAN .
— On vous a envoyé un mot… C’est moi-même qui l’ai apporté.
CLITHEROE .
— À qui l’avez-vous donné, alors ?
LE CAPITAINE BRENNAN , après un silence. — Je crois bien que c’est à Madame Clitheroe ici présente.
CLITHEROE .
— Tu entends ça, Nora ? (Nora ne répond pas.
La voix de Clitheroe se durcit :) Nora… Le Capitaine Brennan dit qu’il m’a apporté une lettre du Général Connolly et qu’il te l’a donnée… Où est-elle ? Qu’est-ce que tu en as
fait ?
NORA court à lui, l’entoure de ses bras d’un air implorant. — Jack, je t’en prie, Jack, ne sors pas ce soir et je te le dirai.
Je t’expliquerai tout… Dis-lui de s’en aller et reste avec ta petite Nora à la bouche rouge.
CLITHEROE , dénouant son étreinte. — Assez d’imbécillités comme ça, je veux savoir ce que tu as fait de cette lettre.
(Nora lentement revient s’asseoir.) Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas donné cette lettre ? Qu’est-ce que tu en as fait ?
(Il la secoue par les épaules.) Qu’est-ce que tu as fait de la lettre !
NORA , prenant feu. — Je l’ai brûlée, je l’ai brûlée ! Voilà ce que j’en ai fait ! Le Général Connolly et l’Armée Citoyenne, c’est ça ton seul souci ? Est-ce que ta maison est juste un endroit pour dormir ? Est-ce que je suis condamnée à
devenir une sorte d’objet bon à te distraire la nuit ? Ta vanité te perdra, et moi avec… Sais-tu ce qui te fait courir ? C’est qu’ils t’ont nommé officier, alors tu vas te fabriquer des idées de grandeur.
Quant à la petite Nora à la bouche
rouge, elle peut bien rester assise ici et tenir compagnie toute la nuit à sa solitude !
CLITHEROE , farouche. — Tu l’as brûlée, hein ? (Il l’attrape par le bras.) Eh bien, ma petite dame…
NORA .
— Lâche-moi… tu me fais mal !
Source : O'Casey (Sean), la Charrue et les Étoiles, in Théâtre, tome II, trad.
par René Soulat, Paris, L'Arche, 1960.
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