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peut-on tout dire ?

Publié le 25/03/2011

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Dire les choses telle est la merveilleuse capacité de l’homme. Seulement depuis toujours celui-ci souhaite maîtriser parfaitement ce qui est en son pouvoir. Peut-il donc tout dire et accéder ainsi à une maîtrise suprême de la parole ? Mais qu’est-ce que « peut-on tout dire ? » ? Peut-on tout dire signifie : en a-t-on la capacité et en a-t-on le droit ? Il semble tout d’abord que rien n’empêche les êtres humains de tout dire puisqu’ils en ont les capacités physiques. Cependant le « tout » est à définir et nous verrons que l’homme est confronté à des limites du langage qui ne lui permettent pas de tout dire dans tous les sens du « tout ». Enfin l’homme se heurte à la morale, instance contrôlant notre parole.

 

Contrairement aux animaux, nous sommes en tant qu’humain dotés de la faculté d’exprimer nos pensées à travers un langage acquis grâce à notre éducation. L’homme est le seul être vivant capable de parler, de discourir car il est le seul à pouvoir penser (« Et seul parmi les animaux l'homme est doué de parole » Aristote). S’il possède cette faculté de parole (transmettre du sens) c’est bien pour dire les choses. L’homme est un être de parole. Grâce à nos mots, au langage que l’on nous enseigne, nous pouvons nommer toute chose, donc la définir. Nous sommes alors en mesure de dire ce que nous voyons et pensons. Nous communiquons nos idées et c’est là la différence fondamentale avec les animaux. Si nous communiquons c’est que nous vivons dans une société et que grâce à elle nous développons cette faculté à fin d’exister au sein du groupe. Nous partageons ce que nous sommes car dire c’est transmettre. Notre parole est unique, nous nous servons de la langue pour la créer. Le symbole (mis en place par la parole) a également une grande puissance de communication. La poésie, les figures de styles… tout cela joue avec les mots pour exprimer des émotions que l’on ne parvient pas à expliciter clairement avec des mots précis.

De plus nous sommes les seuls à avoir à notre disposition un langage corporel. Nous disposons de 47 muscles faciaux qui nous permettent de réaliser des expressions spécifiquement humaines (compassion, antipathie…). Nous pouvons également nous exprimer et transmettre avec tout le reste du corps, en dansant par exemple (en effet seuls les hommes sont capables de création artistique). Nous pouvons donc « dire » avec le corps et les mots nos idées et transmettre nos sentiments.

Si nous sommes à même de dire nos pensées et idées, nous pouvons aussi dire ce que nous ne voyons pas, comme la mort, le néant…. Nous parlons pour tenter de palier à l’impossibilité de voir (« quand parler ce n’est pas voir » Platon). Nous définissons aussi un irréel. C’est la faculté de l’imaginaire de l’homme, dans les fictions par exemple. Ainsi l’homme parle de magie, de monstres…. Nous pouvons donc inventer et dire, grâce à l’outil qu’est la parole, des choses qui n’existent pas. Nous voyons ici l’extraordinaire pouvoir de la parole.

Nous possédons également une étrange faculté : celle de dire ce que nous ne pensons pas. C’est alors un mensonge. Notre capacité à dire ne se limite donc pas à ce que nous pensons et voyons. A travers la parole nous pouvons tout dire. Le mensonge est alors un autre pouvoir de la parole, il permet à l’homme d’exprimer ce qu’il ne pense pas comme étant vrai.

L’homme est donc capable, au moyen de mots de tout exprimer. Néanmoins qu’est-ce que le « tout » ? Si « tout » signifie tous les genres de choses alors oui il peut tout dire : le vrai, le faux, l’irréel, ce qu’il voit, une idée et une émotion. Cependant « tout » est autre chose que la parole ne parvient pas exprimer. Le langage a donc des limites.

 

Les limites du langage rendent impossible de tout dire lorsque le « tout » est l’exactitude et la quantité. Tout d’abord une langue est conventionnelle. Les mots sont généraux et utilisés par tous. Or nos idées sont singulières, uniques. Comment peut-on dire exactement ce que nous pensons si les mots expriment une généralité ? L’homme est donc confronté au problème de la définition. Il tente d’exprimer ce qu’il veut dire avec le plus d’exactitude possible mais il ne parviendra jamais à une exactitude parfaite.

Certaine chose sont donc indicibles car composées d’émotions propres à la personne donc presque indéfinissables. La personne elle-même ne peut intérieurement mettre des mots sur ce qui relève du spontané. Ici le langage ne peut rien. Seul le vécu des choses permettrait à l’autre d’en comprendre la teneur. Ainsi les expériences les expérience limites telles la mort, le mal, la terreur… sont parfois indescriptibles. La parole peut exprimer l’idée essentielle de l’émotion mais jamais sa vraie nature. Cependant la parole est une chance unique d’essayer de s’approcher le plus possible du ressenti par la parole poétique par exemple.

Si l’homme ne peut pas tout dire avec exactitude c’est donc qu’il déforme. Même si l’idée de ce que l’on veut dire subsiste il est inévitable que cela soit déformé, déformé par le problème lié à la définition et par la réception de la parole par autrui. En effet nul ne comprend comme un autre. Il comprendra alors ce qu’on lui a dit différemment que ce que l’émetteur pensait transmettre initialement. On peut donc dire les choses mais on ne doit pas espérer qu’elle reste inchangée.

Nous sommes également confronté au problème du temps. Dire nos pensées c’est les synthétiser. Nous ne pourrons jamais dire chaque pensée qui nous traverse. Nous ne sommes donc pas en mesure de dire tout dans la quantité. De plus certaines pensées nous échappent car nous les oublions si nous ne les disons pas instantanément. La mémoire est un frein. Combien de fois avons-nous entendu dire « j’ai oublié ce que je voulais dire » ? Cette phrase révèle bien notre incapacité à tout dire mais est-ce vraiment gênant de ne pas tout dire dans la quantité ?

Il y a donc maïeutique. L’homme se leurre s’il pense pouvoir tout dire mais les limites sont fécondes. Elles poussent l’homme à s’améliorer dans la quête de l’exactitude du sens. Chaque année de nouveaux mots entre dans les dictionnaires des différentes langues permettant ainsi d’exprimer plus de nuances et de se rapprocher de l’exactitude. Une langue est perpétuellement en progression donnant l’occasion à la parole d’atteindre la précision. Plus on maîtrise la langue, plus on peut donc « tout » dire.

L’homme n’est pas en mesure de dire toute la chose, mais peut en revanche dire tous types de choses et l’idée principale qui les compose. Il dit donc dans une certaine mesure « tout », mais doit-il dire tout ce qu’il peut ?

 

Doit-on tout dire ? Cette question est l’autre aspect du « peut-on tout dire ? ». Ici c’est la morale de l’homme et non plus sa capacité qui est remise en question.

Le problème du mensonge apparaît en premier. Le mensonge est un manque de sincérité intentionnel. Selon Saint Augustin : « est menteur celui qui pense quelque chose dans son esprit et qui exprime autre chose dans ses paroles ou tout autre signe ». Or l’homme est doué de parole pour exprimer ses idées. Peut-il justifier d’un droit de mentir ? A-t-on le droit de dire quelque chose de faux ? Car le mensonge peut entraîner des torts pour certaines personnes. Sur cette question les points de vue divergent. Ainsi Kant assure que la véracité est un devoir alors que Constant affirme le contraire. Cependant la société autorise le mensonge car aucun être humain ne peut s’astreindre à la vérité et certains cas le mensonge est bénéfique, comme mentir pour empêcher des réfugiés juifs d’être déportés en camp de concentration. Le mensonge peut-être un moyen de survivre, il est dicté par l’instinct de l’homme. Est-il dans ce cas moralement condamnable ? Mentir concerne donc notre libre arbitre, rien ne nous interdit de mentir (sauf lors de procès par exemple) hormis notre conscience.

Au-delà du « ne doit-on dire que la vérité » se pose la question du peut-on tout dire même si cela est vrai ? En effet le vrai peut parfois blesser. Il n’est pas toujours nécessaire de dire à une personne que l’on n’aime pas son physique. C’est pourquoi dans certains cas il ne faut pas dire ce que l’on pense. Etre franc n’est donc pas toujours propice au bien de la communauté. De plus certaines choses appartiennent uniquement à la sphère privée. L’individu a le droit de garder pour lui ce qui le concerne. Ainsi certaines professions (médecins, avocats, psychologues…) sont contraintes au secret professionnel pour garantir le respect de la vie privée. Divulguer ces informations peut entraîner une punition de la justice.

Mais mise à part les choses de l’ordre privé, jusqu’à quel point peut-on tout dire ? Il existe la notion de liberté d’expression. Tout homme a le droit de s’exprimer, il possède sa liberté d’expression. Le libre usage de la parole est une dimension éminemment politique. Cette liberté peut être préjudiciable à certains. Dés qu’une personne dit quelque chose cela se retrouve dans la sphère publique. C’est la crainte qu’une pensée, qu’une idée devienne publique qui est à l’origine du doit-on tout dire car avec les moyens de communication actuels les idées de chacun peuvent être diffusées très largement. Or ces idées peuvent être, comme nous l’avons vu, déformées, fausses et mensongères (comme les sophistes qui grâce à leur talent d’orateur sont capables de faire croire qu’il possède un savoir qu’ils n’ont pas, et cela est considéré comme immoral). Si elles sont maniées par quelqu’un possédant l’art de la rhétorique leur diffusion dans des journaux, à la radio… peut prendre une grande ampleur et causer de grands torts. Ainsi Hitler a su entraîner tout un peuple à faire un crime contre l’humanité que jamais cette dernière ne pourra oublier. Le pouvoir de la parole peut constituer un réel danger (public ou seulement pour certains) qu’il ne faut pas sous-estimer.

De tout temps la liberté d’expression qui est un droit, entre en conflit avec les intérêts individuels ou communs. En politique par exemple plus un peuple s’exprime, plus il est difficile de mener un pays comme on l’entend. Cela peut être bénéfique si le dirigeant est mauvais, on peut ainsi empêcher ses réalisations, mais en revanche cela peut être parfois pénalisant dans le cas contraire. C’est pourquoi la censure a été instaurée. La censure (limitation de la liberté d’expression) est un moyen de limiter le pouvoir du langage mais elle doit être appliquée sans excès et avec justice.

On ne doit donc pas tout dire. Certaines opinions peuvent heurter des personnes. C’est à nous que revient le soin de distinguer ce qui doit être dit de ce qui ne le doit pas. C’est notre libre arbitre. Nous avons également le droit de vouloir garder privé nos pensées et opinions. Les autres doivent alors respecter notre volonté.

 

Nous pouvons tout dire si nous nous contentons du principal puisque nous en avons les capacités. Nous sommes des hommes dont le langage est un outil très précieux, il nous permet de développer nos pensées. En revanche il est impossible d’accéder à une exactitude parfaite car il y a des limites à ce langage, mais des limites qui se révèlent fécondes. La morale quant à elle nous contraint à ne pas tout dire. Cependant est-il bon pour l’homme de tout dire ? Le silence n’est-il pas parfois préférable ? Cependant en y réfléchissant le silence peut s’avérer être un vecteur de sens aussi, sinon plus puissant que le langage (« il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait le faire » Pascal). Par le silence on peut signifier de l’embarras, de la désapprobation… mais faut-il encore qu’il soit compris car il est message implicite contrairement aux mots.