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Phèdre, Acte I scène 3, analyse

Publié le 19/04/2012

Extrait du document

Depuis six mois, le roi Thésée a quitté Athènes, laissant les siens sans nouvelles. Son fils Hippolyte (né de ses amours avec une Amazone) veut partir à sa recherche. Phèdre, dernière épouse de Thésée et belle-mère d’Hippolyte, souffre d’un mal mystérieux dont Oenone, la nourrice de la reine, s’efforce d’arracher le secret.

1      […]ŒNONE : Quoi! De quelques remords êtes-vous déchirée ?

        Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?

        Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent.

        PHÈDRE : Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.

5      Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles !

        ŒNONE : Et quel affreux projet avez-vous enfanté

        Dont votre cœur encor doive être épouvanté ?

        PHÈDRE : Je t'en ai dit assez : épargne-moi le reste.

        Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.

10   ŒNONE : Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;

        Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main ;

        Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière,

        Mon âme chez les morts descendra la première ;

        Mille chemins ouverts y conduisent toujours,

15   Et ma juste douleur choisira les plus courts.

        Cruelle ! Quand ma foi vous a-t-elle déçue ?

        Songez-vous qu'en naissant mes bras vous ont reçue ?

        Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitté.

        Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?

20   PHÈDRE : Quel fruit espères-tu de tant de violence ?

        Tu frémiras d'horreur si je romps le silence.

        ŒNONE : Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux,

        A l'horreur de vous voir expirer à mes yeux ?

        PHÈDRE : Quand tu sauras mon crime et le sort qui m'accable,

25   Je n'en mourrai pas moins ; j'en mourrai plus coupable.

        ŒNONE : Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai versés,

        Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,

        Délivrez mon esprit de ce funeste doute.

        PHÈDRE : Tu le veux : lève-toi.

        ŒNONE :                             Parlez : je vous écoute.

30   PHÈDRE : Ciel ! Que lui vais-je dire ? et par où commencer ?

        ŒNONE : Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser.

        PHÈDRE : O haine de Vénus ! O fatale colère !

        Dans quels égarements l'amour jeta ma mère !

        ŒNONE : Oublions-les madame ; et qu'à tout l'avenir

35   Un silence éternel cache ce souvenir.

        PHÈDRE : Ariane, ma sœur, de quel amour blessée

        Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

        ŒNONE : Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui

        Contre tout votre sang vous anime aujourd'hui ?

40   PHÈDRE : Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable

        Je péris la dernière et la plus misérable.

        ŒNONE : Aimez-vous ?

        PHÈDRE :                De l'amour j'ai toutes les fureurs.

        ŒNONE : Pour qui ?

        PHÈDRE :            Tu vas ouïr le comble des horreurs.

        J'aime... A ce nom fatal, je tremble, je frissonne.

45   J'aime...

        ŒNONE : Qui ?

        PHÈDRE :        Tu connais ce fils de l'Amazone,

        Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?

        ŒNONE : Hippolyte ? Grands dieux !

        PHÈDRE :                                    C'est toi qui l'as nommé !

        ŒNONE : Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace ! […]

 

 

Bio de Jean Racine : (1639-1699)

Issu de la bourgeoisie, il confie ses premières tragédies (la Thébaïde) à la troupe de Molière en 1664, mais à l’Hôtel de Bourgogne que sa maitresse, l’actrice Thérèse du Parc, dite Marquise, triomphe dans le rôle d’Andromaque écrit pour elle. Les héros de Racine (Phèdre, Bérénice, Britannicus) n’exaltent plus les vertus héroïques, mais agissent sous l’emprise des passions. A partir de 1670, il éclipse Corneille vieillissant.

 

Problématique :

Par quels procédés l’aveu est-il amené sur scène de manière originale ?

 

Plan :

I - Un amour fatal

II - Les conséquences sur Phèdre

III - La manière d’amener l’aveu

 

 

I - Un amour fatal

 

1-/ Poids de la généalogie dans le destin de Phèdre

Phèdre est condamnée par \"Vénus\" v40 à subir une telle passion.

• C'est une malédiction que porte sa famille : \"ce sang déplorable\" v40

• Phèdre aborde les amours de sa famille \"mère\" v33 - \"sœur\" v36 (victimes de Vénus). = registre tragique (mort de personnes condamnées par les Dieux).

• Phèdre s'adresse à sa défunte sœur (v36-37) → conversation dont est exclue Oenone.

 

2-/ Amour condamnable

 • Ce n'est pas l'amour de Phèdre qui est condamnable mais l'objet de son amour : insistance d'Oenone sur ce dernier \"Pour qui ?\" v43 - \"Qui ?\" v46

• Amour lié aux \"fureurs\" v42 et aux \"horreurs\" v43 = condamnable, nature monstrueuse de cet amour.

 

II - Les conséquences sur Phèdre

 

2-/ Les troubles liés à cet amour

• Evocation du corps de Phèdre = synecdoques : \"mains\" v4 - \"cœur\" v5 (double sens : amour pour Phèdre et courage pour Oenone.) - \"genoux\" v27

àPhèdre n’arrive plus à se concevoir dans la totalité de son être (elle se voit de façon fragmentée) ce qui témoigne de sa névrose. Elle subit donc une sorte de combat à l’intérieur de sa personnalité.

Amour = maladie qui fait souffrir : \"blessé\" v36, \"je tremble, je frissonne\" v36, \"misérable\" v41souffrance morale et physique.

 

3-/ Héroïne tragique

• Ponctuation riche et variée,

• Interjections : \"O haine de Vénus ! O fatale colère !\" v32

• Superlatif : \"la plus misérable\" v41

• Hyperbole : \"le comble des horreurs\" v43

 

III - La manière d’amener l’aveu

 

1-/ Un quiproquo vite démenti

Début de scène : quiproquo, méprise entre les deux femmes = Oenone pense que Phèdre veut avouer un crime de sang dont le remords poursuit sa maitresse. (v1 à3)

à Le premier indice donné par Phèdre dément qu’il s’agisse d’un crime de sang. v4 : opp° « criminelles » ≠ « innocentes ».

à \"cœur\" v5 = Phèdre annonce que son mal vient d'un problème sentimental

 

2-/ Manipulation d'Oenone

Rôle = faire avouer Phèdre → nb interrogations : \"Que faites vous ?\" v38

Manipulation par les sentiments affectifs \"au nom des pleurs que pour vous j'ai versé\" v26 + Amour maternel \"en naissant, mes bras vous ont reçue\" v17

Ordre (impératif) : \"Délivrez mon esprit de ce funeste doute.\" v28 - \" Oublions-les madame\" v34

Reproches de l'ingratitude et l'égoïsme de PhèdreDévouement non reconnu :\"Cruelle\" v16 - \"pour vous j’ai tout quitté\" v18 (registre pathétique)

v26-28 : Autre stratégie : supplie Phèdre

 

3-/ Manipulation de Phèdre

Stratégie du contournement. = Elle veut faire prononcer l'aveu par Oenone (fausse les règles de l'aveu)

• Phèdre utilise des périphrases pour qualifier Hippolyte : « fils d’Amazone » v47 - \"prince […] opprimé\" v48

• Référence à sa famille

 

4-/ L’aveu de Phèdre

• Fin de la scène.

• C’est Oenone qui le prononce car Phèdre a honte de le dire v47 (il va à l’encontre des conventions morales : inceste).

 • Au moment de l’aveu, les vers sont déstructurés, tellement l’aveu est difficile à être exprimé.

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