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Quelle sorte de réalité recherche l'oeuvre littéraire ?

Publié le 31/01/2011

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«Réalité, tu es le fond de la vie, et comme telle, même dans tes aspérités, même dans tes rudesses, tu attaches les esprits sérieux, et tu as pour eux un charme. Et pourtant, à la longue, et toute seule, tu finirais par rebuter insensiblement, par rassasier ; tu es trop souvent plate, vulgaire et lassante. C'est bien assez de te rencontrer chaque pas dans la vie ; on veut du moins dans l'art, en te retrouvant et en te sentant présente ou voisine toujours, avoir affaire encore à autre chose que toi. Oui, tu as besoin, à tout instant, d'être renouvelée et rafraîchie, d'être relevée par quelque endroit, sous peine d'accabler et peut-être d'ennuyer comme trop ordinaire. lite faut, pour le moins, posséder et joindre à tes mérites ce génie d'imitation si parfait, si animé, si fin qu'il devient comme une création et une magie à son tour, cet emploi merveilleux des moyens et des procédés de l'art qui, sans étaler et sans faire montre, respire ou brille dans chaque détail comme dans l'ensemble. Il te faut le style en un mot. Il te faut encore, s'il se peut, le sentiment, un coin de sympathie, un rayon moral qui te traverse et qui te vienne éclairer, ne fût-ce que par quelque fente ou quelque ouverture : autrement, tu nous laisses froids, indifférents, et hommes que nous sommes, comme nous nous portons partout avec nous, et que nous ne nous quittons jamais, nous nous ennuyons de ne point trouver en toi notre part et notre place. lite faut encore, et c'est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t'accomplisse et t'achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t'élève sans te faire perdre de terre, qui te donne tout l'esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l'ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle - ce qu'on appelle l'idéal enfin.« (Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, tome IV, 1863,«Les Frères Le Nain, par M. Champfleury'.) Vous analyserez cette page de façon à déterminer le problème général qui s'en dégage et, en vous aidant d'exemples précis librement empruntés à la littérature française, vous prendrez vous-même position dans le débat. (CAPES, langues vivantes, 1956.)

Expliquez et discutez cette idée d'André Gide :«Opposer l'art et la vie est absurde, parce que l'on ne peut faire de l'art qu'avec la vie. Mais ce n'est que là où la vie surabonde que l'art a chance de commencer. L'art naît par surcroît, par pression de surabondance ; il commence là où vivre ne suffit plus à exprimer la vie. L'oeuvre d'art est une oeuvre de distillation ; l'artiste est un bouilleur de cru. Pour une goutte de ce fin alcool, il faut une somme énorme de vie, qui s'y concentre.« (Lettres à Angèle, 1898-1900, reprises dans Prétextes, Mercure de France)

Commentez et discutez, s'il y a lieu, en vous servant d'exemples précis tirés de la littérature française, cette réflexion de M. Jouhandeau (Essai sur moi-même) : «L'art est justifié dans la mesure où il ajoute à la vie juste ce qui lui manque pour être plus vraie qu'elle-même.« (ENS, Ulm, 1969.)

Lamartine écrivait en 1857 dans le XIVe entretien de son Cours familier de littérature :«Souvenez-vous de la définition que nous avons admise en commençant ces Entretiens : La poésie est l'émotion par le beau. Voilà ce qui nous distingue, et ce qui distingue la France de ceux qui se sont appelés hier les romantiques et qui s'appellent aujourd'hui les réalistes ; deux hérésies pleines de talents égarés, mais qui, en rentrant dans la vérité, feront faire de nouvelles conquêtes à la religion du goût et des lettres. Ces hérésiarques ne veulent que l'émotion, ils oublient que l'émotion par le laid s'appelle tout simplement l'horreur. Nous voulons, nous, de l'émotion et du beau.« Vous étudierez ces idées en elles-mêmes et vous indiquerez quel intérêt elles présentent pour l'histoire littéraire. (ENS, Ulm, 1943.)

En vous aidant de votre culture littéraire et artistique vous éclairerez et, si vous le jugez bon, vous discuterez cette affirmation de Paul Claudel :«L'Art, imitation de la vie ? Mais aucun art n'a jamais fait cela ! La tragédie classique en est aussi éloignée que possible. Le drame de Hugo également...«

Jean Rousset écrit dans Forme et Signification (José Corti 1962) :«Tourné vers l'oeuvre, engagé dans une série de recherches formelles, l'artiste n'est pourtant pas tourné vers le dehors. Il n'y a de forme en art que vécue et travaillée de l'intérieur. L'écrivain n'écrit pas pour dire quelque chose, il écrit pour se dire, comme le peintre peint pour se peindre ; mais, s'il est artiste, il ne se dit, il ne se peint que par le moyen de cette composition qu'est une oeuvre.« Commentez.

Etudiez ces lignes de Jean Rousset :«Certes, la réalité, - l'expérience de la réalité et l'action sur la réalité -, n'est généralement pas étrangère à l'art. Mais l'art ne recourt au réel que pour l'abolir, et lui substituer une nouvelle réalité. Le contact avec l'art, c'est d'abord la reconnaissance de cet avènement. Franchissement d'un seuil, entrée en poésie, déclenchement d'une activité spécifique, la contemplation de l'oeuvre implique une mise en question de notre mode d'existence et un déplacement de toutes nos perspectives : passage d'un désordre à un ordre, pour reprendre, en les modifiant légèrement, les termes de Valéry, ce qui est vrai même si cet ordre est volonté de désordre ; passage de l'insignifiant à la cohérence des significations, de l'informe à la forme, du vide au plein, de l'absence à la présence. Présence d'un langage organisé, présence d'un esprit dans une forme.“(Forme et Signification, José Corti,1962.)

Que pensez-vous de cette idée de Bernard Pingaud :«Toute oeuvre forme système. Ouverte sur le monde, elle est en même temps close sur elle-même. Faite d'un nombre fini de mots, elle n'accepte ni interruption ni prolongation : le lecteur ne saura jamais ce qui s'est passé avant ni ce qui viendra plus tard, il ne pourra obliger l'auteur à s'expliquer sur ce qui reste dans l'ombre. L'information que l'oeuvre lui apporte doit être prise comme un tout indiscutable, hors duquel il n'y a rien, sinon d'autres oeuvres possibles qui, à leur tour, formeront système.« (Inventaire, Préface, Gallimard 1964.)

H. Godard écrit dans L'autre face de la littérature, Essai sur André Malraux et la littérature (Gallimard, 1990, p. 42-43) :«Toute oeuvre est un système de formes qui n'existent pas telles quelles dans le monde réel. Nous n'éprouvons jamais celui-ci que comme une totalité et comme une confusion. Il nous déborde de toute part. Il est sans limite, à chaque instant il se dérobe à notre prise. Tout s'y tient, et la diversité des plans de notre expérience y multiplie à l'infini les liens de tout avec tout. Les formes que nous percevons dans l'oeuvre ne peuvent donc résulter que du découpage et des choix que l'artiste y a opérés. Or l'idée même d'un découpage et de choix de ce genre, chaque nouvel artiste ne peut la tenir que des oeuvres de ses prédécesseurs.«Un poète qui ne se conquiert pas sur l'informe, mais sur les formes qu'il admire.« Il s'ensuit que la création passe nécessairement d'abord par l'imitation, quand ce n'est pas par le pastiche.« Vous commenterez cette définition de l'oeuvre littéraire sans vous en tenir à la poésie et en vous appuyant sur des exemples précis. (CAPES, Lettres modernes, 1991.)

Expliquez et discutez ces lignes de Roland Barthes :«Le temps de l'écrivain n'est pas un temps diachronique, mais un temps épique ; sans présent et sans passé, il est tout entier livré à un emportement, dont le but, s'il pouvait être connu, paraîtrait aussi irréel aux yeux du monde que l'étaient les romans de chevalerie aux yeux des contemporains de don Quichotte. C'est pourquoi aussi ce temps actif de l'écriture se développe très en deçà de ce qu'on appelle communément un itinéraire (don Quichotte n'en avait pas, lui qui, pourtant, poursuivait toujours la même chose). Seul, en effet, l'homme épique, l'homme de la maison et des voyages, de l'amour et des amours, peut nous représenter une infidélité aussi fidèle.« (Essais critiques, Préface, Le Seuil, 1964.)

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