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Rhinoceros

Publié le 09/04/2011

Extrait du document

rhinoceros

   Eugène Ionesco est né en 1909 en Roumanie d'un père roumain et d'une mère d'origine française. Il passe ses premières années en France, puis retourne en Roumanie après le divorce de ses parents, et devient professeur de français à Bucarest, la capitale de la Roumanie. Mais à cette époque c'est, partout en Europe, la montée du nazisme. Ionesco est le fondateur, avec Samuel Beckett, du théâtre de l'Absurde. La pièce Rhinocéros, écrite en 1959 et jouée pour la première fois en 1960, est un de ses plus gros succès. Il meurt en 1994. La pièce met en scène une petite ville tranquille soudain bouleversée par la métamorphose de ses habitants en rhinocéros.

 

 Nous verrons les éléments qui font de cette première apparition du rhinocéros, une farce tragique.

 

I.          La représentation d’une situation insolite : le passage d'un rhinocéros.

 

                        A. L'importance de la bande-son.

 

1)         L'extrait s'ouvre alors que les personnages sont en pleine conversation, mais parole bientôt dominée par un bruit de fond allant crescendo et qui va peu à peu être identifié. Les indications scéniques sont ici d'une extrême précision : « un bruit très éloigné », « un souffle de fauve », « un long barrissement »p.21, « les bruits sont devenus très forts » (p22), « Les bruits sont devenus énormes », « Les bruits du galop d'un animal r...] tout proches » (p. 22).

2)        Après le passage du rhinocéros, on retrouve la même séquence sonore en decrescendo «Les bruits [.. .] s'éloigneront... » (p. 22) ou « Les bruits produits par celui-ci vont en décroissant » (p. 25) ou « Les bruits [...] se sont bien éloignés » (p. 26)

3)         Prise de conscience progressive de ce bruit par les personnages. Leur perception est rendue sensible au spectateur  par l'augmentation du volume de la voix de Jean « criant presque pour se faire entendre »p.22, puis par l'interruption de son discours « je n'en serais pas venu, car... »p.22, et par sa double interrogation « Que se passe-t-il ? », « Mais qu'est-ce que c'est ? »p.22.

4)            L'intensité croissante apparaît également dans le fait que la réponse de Bérenger est inaudible, pour Jean comme pour le spectateur « on n’entend pas ce qu’il dit » p.22

 

                        B. Les jeux de regards.

 

1)         La gestuelle de Jean « regarde du côté de la coulisse de gauche, en montrant du doigt », p. 22 concrétise la présence d'un rhinocéros littéralement invisible sur scène.

2)         Ce jeu de regards est repris par les différents personnages à la page 23 « tous suivent du regard » et aux pages 23et 24, où il est encore renforcé par les mouvements de tête  « montre sa tête » « montrant sa tête » « sortant sa tête »  « on verra la tête du Vieux Monsieur ».

3)         Le passage du rhinocéros est aussi perceptible à travers les commentaires des personnages qui décrivent son trajet et permettent au spectateur de l'imaginer : Jean « Il fonce droit devant lui, frôle les étalages ! » p.23 ou le Logicien : « Un rhinocéros, à toute allure sur le trottoir », p. 23.

 

                        C. Le désordre sur la scène.

 

1)         Le désordre instauré sur scène par le passage du rhinocéros est rendu sensible par les mouvements précipités des personnages : « Jean se lève d'un bond, fait tomber sa chaise », p. 22 ; le Logicien venant vite en scène par la gauche », p. 23 ; la course de la ménagère, p. 24 ; « le vieux monsieur [...] se précipite [...] les bouscule, entre », p. 24 ; l'épicière « bousculée et bousculant son mari », p. 25.

2)         La représentation des provisions de la ménagère répandues sur le sol  p. 24 « laisse tomber son plateau » comme la poussière qui envahit le plateau « La poussière soulevée par le fauve se répand sur le plateau » p. 24 + réplique finale de Bérenger  « Ca en fait de la poussière » p.26 accentuent l'impression visuelle de désordre. Dès lors, l'arbre poussiéreux signalé dans la didascalie initiale «  Un arbre poussiéreux près des chaises de la terrasse » p.13 de la pièce peut alors être interprété à posteriori comme le signe de la présence latente de la rhinocérite .

 

II.        Le surgissement de l'insolite : un ressort du comique ?

 

                        A. Les réactions des personnages devant l'insolite.

 

1)            Curiosité initiale (répétition de « qu'est-ce que c'est ? »)p.22 + l'étonnement devant l'incroyable (répétition de « Oh ! un rhinocéros ! »)p.23-24  mais aussi l'incrédulité et peut-être la frayeur.

2)         La scène est enfin scandée par les « oh ! » et les « ah ! » des personnages présents, et par la succession de « ça alors ! ». Le passage du rhinocéros est aussi ponctué d'une série d'éternuements (p. 26).

3)         Les gestes trahissent quant à eux la perte de contrôle et de civilité (premier signe peut-être de la dégradation de la civilisation des hommes) : ainsi le vieux monsieur bouscule les épiciers «  Le Vieux Monsieur élégant venant de la gauche…se précipite…les bouscule » p.24.

4)         Ces différents éléments recouvrent une dimension comique, notamment par le mécanisme de répétitions qui rythment la scène  et par le jeu des réactions simultanées (p. 26 : répétition de « Ca alors ! »), qui crée une sorte de choeur disharmonieux.

5)         C'est en effet la cacophonie qui domine ici, cacophonie accentuée par la rapidité avec laquelle la scène doit être jouée selon Ionesco (« toute la scène doit être jouée très vite », p. 22). Face à l'événement, les personnages adoptent un comportement stéréotypé et ne s'interrogent pas véritablement sur la présence surprenante du rhinocéros.

 

                        B. Le cas Bérenger.

 

1)         Comme depuis le début de la pièce, Bérenger est ici un personnage à part, qui ne semble pas concerné, comme le souligne la didascalie « sauf Bérenger » p.26 il garde son indolence : « toujours indolent » « toujours un peu vaseux »; « un peu endormi » ; « toujours apathique » et ne participe pas à l'agitation générale :  assis, il « écarte simplement un peu la tête » et ne s'associe pas au concert des voix : « sans rien dire ». Il semble donc imperméable au comportement des autres personnages, aux réactions de foule.

2)            Cependant, il est le seul à souligner, la conséquence perturbatrice de l'événement : la poussière, qui semble susciter chez lui davantage de gêne que de surprise (« il fait simplement la grimace », p. 25, mimique que l'on pourrait interpréter comme le premier rejet intuitif par Bérenger des rhinocéros).

3)            Bérenger est donc un personnage décalé, un être qui apparaît comme immunisé contre la rhinocérite parce qu'impropre à ressentir les émotions collectives. Ce décalage peut être lui-même source de comique, mais peut aussi souligner, de manière plus inquiétante, cette sorte d'hystérie collective qui s'est emparée des autres personnages.

 

Conclusion : On pourra souligner la force de l'écriture scénique de Ionesco par la place accordée aux éléments non verbaux qui font ici sens le mélange des registres : une farce tragique. Ce passage est aussi à relier à la seconde apparition du rhinocéros dans le même acte. De plus, les réactions semblables des personnages préfigurent la contamination. Seul Bérenger semble différent et annonce ainsi le dénouement final.

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