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Rushdie Et Chrétien De Toyes

Publié le 18/09/2010

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Morezzi marina. Quête et idéaux : Chrétien de Troyes et Rushdie ou les attraits de reliques sacrées dans des quêtes spirituelles

 

Résumés des deux textes : Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes :

Nous nous arrêterons volontairement notre résumé quand le récit cessera de parler de Perceval, car le personnage de Gauvain ne présente que peu de rapport avec notre étude puisque ne présentant pas d’évolution spirituelle comparable.

Dans une forêt sauvage, le jeune Perceval qui ignore encore son nom, vit avec sa mère. En chassant le jeune homme rencontre cinq chevaliers en armures. Ebloui, il va quitter sa mère qui lui recommande de porter assistance aux femmes, et de prier dans les églises. Mais il ne se retourne pas alors qu’elle tombe évanouie « sans connaissance «. En chemin pour la cour du roi, il va trouver une belle tente et une demoiselle qu’il va embrasser sans son consentement. Il va lui voler son anneau et la laisser honteuse et en pleurs. A la cour du roi  « qui fait les chevaliers «, il arrive dans une cour où vient d’avoir lieu un outrage : un chevalier aux armes vermeilles a insulté la reine et volé au roi une coupe d’or. Se réalise alors la prophétie du fou qui avait dit qu’une jeune fille rirait « le jour où elle verra l’homme qui de tout les chevaliers sera le plus grand « qui n’est autre que Perceval. Le sénéchal Keu va alors frapper la jeune fille, un affront que Perceval décidera de venger.  Il part alors à la poursuite du mauvais chevalier et l’abat en un jet de javelot. Il s’arme de son armure. Ses pas le mènent au château du gentilhomme Gornemant de Goort, qui lui apprend à se servir de ses armes. Il voudrait le retenir mais Perceval se doit de retourner auprès de sa mère, et reprend son chemin, sans être tout à fait aguerrit aux usages de la société. Il entre dans le château dévasté de Beaurepaire, où il est reçu par Blanchefleur qui viendra en pleurs dans sa chambre lui expliquer le désespoir dans lequel son domaine est plongé. Clamadeu des Iles et Aguinguerron  assiègent le château avec leur armée et affament les habitants. Perceval aura raison de ses deux guerriers et les enverra se constituer prisonniers auprès du roi. Mais il est toujours préoccupé de sa mère, quitte le château et se retrouve arrêté par une rivière. Deux hommes en barque lui proposent de l’héberger. Un château apparaît devant ses yeux et il est invité à s’asseoir à côté du roi Pêcheur qui va lui donner une épée qui lui est destinée. Mais tout à coup un cortège mystérieux traverse la salle dans lequel il voit un jeune homme porter une lance blanche qui saigne et une jeune fille porter un graal éblouissant de lumière. Mais Perceval par peur d’être indiscret n’ose demander des explications sur ces phénomènes étranges. A son réveil le château est vide. Dans la forêt il va alors rencontrer sa cousine qui va lui révéler son propre nom : Perceval le Gallois. Elle lui apprend que s’il avait posé les bonnes questions au roi il aurait pu les sauver, lui et le royaume en leur rendant  la prospérité. Elle lui apprend que sa mère est morte de chagrin et déjà enterrée. Il poursuit sa route et rencontre la demoiselle qu’il avait embrassé de force dans la tente, réduite à un état de dénuement complet par son ami, l’Orgueilleux de la Lande la croyant infidèle à cause des agissements de Perceval. Ils vont s’affronter et Perceval après l’avoir vaincu va l’obliger à racheter son comportement auprès de sa dame qu’il a si injustement traitée et aller se faire prisonnier au roi Arthur. Le roi décide après cet énième envoi de partir à la recherche de Perceval dont il ne connaît toujours pas le nom. Ainsi il va retrouver toute la cour alors qu’il est tombé dans une sorte de transe qui l’isole des événements réels devant  trois gouttes de sang,  laissées par une oie sauvage qu’a blessé un faucon. Cette image lui évoque le visage de son amie Blanchefleur. Deux chevaliers dont Keu essaie de le sortir de sa rêverie mais sont brutalement repoussés et violemment blessés, ce qui vengera la demoiselle que le sénéchal avait injustement frappée. Seul le courtois Gauvain parvient à lui parler et ils deviennent amis. Mais alors que Perceval est accueilli à la cour, se présente une hideuse demoiselle, qui déclare à Perceval que le roi restera éternellement infirme par sa faute et que le royaume est plongé dans l’affliction. Perceval fait serment alors de ne pas s’arrêter avant d’avoir percé le secret du Graal et de la lance qui saigne. Le récit s’arrête ici et traite des aventures de Gauvain. Le récit reprend les aventures de Perceval cinq ans plus tard. Un cortège de pénitents croise sa route un Vendredi Saint et lui est adressé le reproche de ne pas célébrer ce jour sacré, lui aussi. Perceval se rend alors auprès du Saint ermite dans une pauvre cabane dans la forêt, qui n’est autre que son oncle, à qui il raconte son histoire. Celui-ci après lui avoir révélé que c’est le péché exercé à l’encontre de sa mère qui  «  lui trancha la langue «, lui explique la nature sacrée du Graal. Ce vase contenait une hostie servant à maintenir en vie le roi Pêcheur. Puis il absout le chevalier et lui apprend des paroles à ne prononcer qu’en cas d’extrême péril. Perceval recevra la communion et  son récit s’achève alors, sans qu’il n’en soit plus question dans le Conte.

On peut considérer ce récit comme «  éducatif « on peut même parler ici de récit initiatique car c’est l’itinéraire d’une expérience existentielle où brillent les trois «  chastoiements… les trois thèmes, les trois quêtes… «[1] que représentent  la chevalerie,  l’amour et  la sainteté.

The Prophet’s Hair  de Salman Rushdie : Dans Le cheveu du Prophète, un usurier va trouver un flacon contenant le cheveu du prophète Mahomet et, le conservant par avidité du gain, il va se transformer en fanatique et verra sa maison devenir un charnier. L’histoire commence in medias res. Dans la ville indienne de Srinagar, le personnage d’ Atta va entrer dans quartier le plus pauvre dans le but de passer contrat avec un voleur professionnel. Mais le jeune homme porte les signes de la richesse sur son visage et les truands qui sentent une proie facile, vont le dépouiller. Ils vont l’emmener loin des regards pour l’agresser, lui prendre son argent et le battre jusqu’à le laisser pour mort sur la berge du canal. Un marchand de fleurs va le ramener chez lui dans l’espoir d’une récompense, ce qui sera fait pour s’assurer de son silence, tandis qu’Atta, gravement blessé, se révèle être plongé dans un profond coma. Mais sa sœur Huma, se rend le soir même dans le quartier en cherchant elle aussi à engager un voleur. Mais prudente, elle précisera ne pas porter d’objets précieux : «  ni argent, ni bijoux «, n’avoir pas de valeur si elle devait être échangée contre une rançon, et faire l’objet d’une protection de la police. L’incongruité de sa demande  associée à sa beauté et au milieu auquel elle appartient n’échappe pas aux badauds qui vont la conduire néanmoins au fond d’une impasse ténébreuse. Un personnage enfoncé dans l’ombre l’informe des règles de l’organisation des activités criminelles, où toutes les demandes doivent  être soumises à examen avant d’être acceptées. Mais Huma refuse de traiter avec un autre que le voleur lui-même et requiert : « un homme qui n’a peur de rien, pas même de dieu… un type de la pire engeance « : «  a man for whom life holds no terrors,not even the fear of god «. Elle promet une récompense « fastueuse « : « lavish «. Tout à coup une lampe est allumée et Huma voit alors son interlocuteur qui n’est autre que le très célèbre criminel Sin, le roi des voleurs. Elle lui raconte alors son histoire. Six jours plus tôt, son père le prêteur sur gages Hashim retrouvait le cheveu du prophète Mahomet volé à la mosquée d’Hazratbal. Mais alors que son devoir était de restituer la relique, il choisissait de garder le flacon précieux, cédant à sa manie de collectionneur. Au dîner, il était apparu gonflé, comme sur le point d’exploser et s’était comporté d’une manière horrible révélant l’existence d’une maîtresse et insultant ses enfants. Suite à la transformation du père tant sur le plan physique que morale, la famille qui semblait baigner dans une atmosphère d'amour et de respect mutuel, se désagrège dans un paroxysme de violence. Hashim va imposer les coutumes traditionnelles musulmanes sans modération et de façon intégriste, obligeant sa famille à prier cinq fois par jour. Il va brûler tous les livres et ne conserver que le Coran, en ordonnant « à chaque membre de sa famille d’en lire quotidiennement des passages pendant au moins deux heures « : « He ordored each member of his family to read passages from this book for at least two hours perd day. «. Il va ordonner à sa fille de porter le voile et de ne plus se montrer aux amis de son frère. Hashim va ensuite frapper au fouet et entailler le bras de deux de ses clients. La mère essayant de raisonner son mari est frappée au même titre qu’Atta qui la soutient. La mère va alors avoir  une crise de nerfs et va s’enfermer, tandis qu’Huma refusant de porter le voile est reniée par son père. Atta décide alors de rendre la relique pressentant son influence néfaste, mais en arrivant devant la mosquée il s’aperçoit qu’elle s’est échappée de sa poche trouée. Il rejoint alors Huma battue par Hashim qui a retrouvé la relique perdue par Atta dans l’eau du fleuve. Huma termine alors son récit en  promettant à Sin de lui donner les bijoux de la famille dans sa chambre en échange de la relique, cette nuit. Le voleur accepte le marché car vieux et malade, il souhaite se retirer de sa profession, avant d’être tué par quelque jeune voleur ambitieux. La nuit tombe et alors que Sin est sur le point de dérober la relique cachée sous l’oreiller d’Hashim, Atta sort de son coma en criant « Au voleur ! « : «  Thief ! «, puis retombe sur son oreiller, mort. Hashim, prenant sa fille pour le voleur la transperce de son épée et, se rendant compte de son acte, retourne l'arme contre lui et se suicide, tandis que la mère devant cette hécatombe perd la tête. Sin essaie alors de s’enfuir mais se fait tuer par l'oncle policier. Il portait sur lui le cheveu qui sera rendu à la mosquée. L’histoire se termine sur un double miracle. Les quatre fils de Sin qu’il avait estropiés à leur naissance retrouvent l’usage de leurs jambes. Ils sont de ce fait ruinés car ils ne gagneront plus rien par le biais de la mendicité. Et la femme aveugle du voleur retrouve l’usage de ses yeux, elle peut « contempler de nouveau les splendeurs de la vallée du Cachemire « : « gazing once more upon the beauties of the valley of kashmir «

The prophet’s hair  a un tranchant satirique, un arrière-goût de sombre polémique car il reprend pour cible la religion musulmane. Une des tristes ironies du destin actuel de l'auteur est qu'il devient à peu près impossible de le lire innocemment, car on se rappelle de la fatwa dont il est menacé.[2]

 

La quête se différencie de la chasse au trésor car ses buts sont à la fois matériels et symboliques, connus et inconnus, internes et externes au sujet qui les poursuit. A l’exemple de l'oeuvre de Chrétien de Troyes intitulée Perceval ou le conte du Graal et ses nombreuses réécritures, continuations ou références dans la littérature moderne, la quête est devenue un thème transcendantal dans la littérature dite occidentale. Nous nous appuierons sur des œuvres anglo-saxonnes et françaises.

Dans cette étude, nous mettrons en relation deux fleurons de la littérature dite ancienne, occidentale et contemporaine, orientale aux auteurs célèbres : Chrétien de Troyes et Salman Rushdie. Nous étudierons le thème de la révélation de soi à travers la spiritualité et l’attrait de reliques sanctifiées sur d’humbles mortels dans deux récits où se mêlent  réel et merveille. Nous remarquerons que ces textes se construisent autour de symboles fondateurs de deux grandes religions monothéistes : la christianisme et l'islam. Le thème principal  en est visible dès la lecture de l'intitulé des oeuvres : The Prophet’s Hair et Perceval ou le conte du Graal : ainsi l'intrigue tourne autour des reliques. Leurs contenus au caractère divin se répercutent sur leur contenant aux matériaux extrêmement nobles, précieux et aux ornements fascinants. Ici il s’agit du Graal, un « plat large et assez profond «, utilisé habituellement pour le service de table, afin de servir une viande en sauce, et d’un flacon transparent et orné de filigrane exposant un cheveu du prophète. Nous verrons qu'à travers elles, les héros sont à la recherche d’un sens caché mystique corollaire d'une philosophie de la vie, d'un guide qui les aiderait face à leur désorientation intérieure. La relique est  le catalyseur d’une évolution du personnage vers sa personnalité profonde, témoin de son identité véritable, à travers les évènements de l’intrigue les personnages vont se révéler à eux-mêmes et au monde. Nous nous demanderons quels sentiments et pensées universels entrent alors en action et se cristallisent autour de l’action où la relique apparaît comme le centre de gravité. La religion héritage d’une tradition mythique s’avère être un élément déterminant, elle peut être définie comme un mythe fondateur de nos sociétés. Les personnages en mal de réponses vont se tourner vers elle. Mais celle-ci est témoignage du passé. Comment un ce retour en arrière permet-il aux personnages d’évoluer et de se positionner dans la société ? Nous étudierons dans un premier temps les deux espaces-temps des récits pour en montrer les codes des deux univers, puis nous étudierons les paradigmes constitutifs de la quête présents dans ces récits. Puis nous verrons dans un deuxième temps la prééminence de la sphère mystique et spirituelle sur la société matérialiste. Cette dimension peut d’ailleurs prendre un aspect merveilleux, faire se réaliser des miracles inexplicables. Nous aborderons aussi le cheminement identitaire accompli par les personnages. Dans un troisième temps, nous montrerons l’opposition des schémas narratifs des deux œuvres symptomatiques des orientations spirituelles et des visées des auteurs.

 

I) Deux textes représentatifs de l'Occident et de  l’Orient aux thèmes identiques malgré des présupposés culturels et sociaux différents

Ces deux oeuvres proposent la même thématique de la quête, située dans un espace-temps autre, même si des ressemblances sur le plan anthropologique se retrouvent entre les deux groupes sociaux.

 

1) paysages médiévaux et urbains.

D'un point de vue narratologique, nous comparerons ici l'espace-temps des textes. Ceux-ci appartiennent à deux époques différentes dont les sociétés n'ont pas les mêmes aspirations, les mêmes cadres de vie, ni les mêmes mentalités. Au cadre médiéval arthurien s'oppose la vallée du Cachemire. Chrétien de Troyes narre l'entrée en chevalerie et l’adoubement, le départ pour l'aventure et la consécration de la carrière chevaleresque de Perceval. Celui-ci est considéré comme un homme de valeur, il fait partie d’une caste ritualisée, la chevalerie où il se doit de respecter les règles de courtoisie. Il obéit au roi Arthur, roi du pays de Bretagne, doit défendre les opprimés, se battre contre tous les ennemis du pays, respecter et assister les femmes et les demoiselles. Il est fait chevalier par Gornemant de Goort qui lui a fait abandonner ses vêtements de paysan et  lui « chausse l’éperon droit  « comme le veut la coutume. Il va l’armer et lui donner les règles morales de la chevalerie et notamment celle dont Perceval va faire mauvais usage : « Qui parle trop, faute commet. «. 

 Il y a dans les deux textes une présence de rapports de force intégrés dans la société. Dans les deux récits on peut voir une hiérarchie, il y a un modèle de comportement à appliquer, des lois qui s’exercent tant sur le plan matériel que spirituel. Dans l'espace de la cour, l'autorité est incarnée par le roi, et spirituellement par le roi pécheur. Les rites religieux sont codifiés, il est nécessaire d’aller prier dans une église, de se confesser de ses péchés et ne pas porter d’armes durant les jours saints.

Chez Rushdie, dans l'espace de la pauvreté l'autorité est détenue par le roi des voleurs, qui craint pour sa vie car son autorité fait des envieux parmi les jeunes criminels qui aimeraient prendre sa place. La religion est constituée des préceptes du Coran, qu’Hashim fera appliquer scrupuleusement par sa famille.

Il y a dominance des êtres plus faibles par les plus forts. Dans les deux textes, on remarque que les femmes sont particulièrement exposées aux hommes, mais s’ajoute un deuxième clivage chez Rushdie entre les riches et les pauvres. Perceval va délivrer, voir venger par trois fois des femmes sous la tutelle matérielle ou physique de personnages puissants. La préoccupation du  statut féminin était d’ailleurs une obligation pour les chevaliers. Il va d’abord sauver le domaine de Beaurepaire et sa charmante régente Blanchefleur, en faisant prisonnier le chef de l’armée adverse Clamadeu des Iles. Les habitants de Beaurepaire vivaient dans une désolation et un dénuement  extrême : « …les murs n’étaient que brèches et lézardes…impossible d’y trouver ni pain ni galette, ni quoi que ce fût à vendre, pas même pour la valeur d’un denier. «  Puis il va  venger la jeune fille qui aura annoncé la prophétie à la cour du roi, ayant reçu de ce fait un coup asséné par Keu « si violent de la main sur sa délicate figure qu’il la fit tomber à terre «. Ensuite Perceval rétablira dans sa dignité la demoiselle en piteux état que son compagnon tourmente et humilie de façon injuste en lui refusant de changer de vêtements et en n’entretenant pas sa monture. Celle-ci était tellement soumise à son compagnon qu’elle ne pouvait même plus parler à ceux qui voulaient lui porter assistance, car son ami les provoquait alors en duel. On voit ici que les femmes n’ont aucun moyen de défense face à leurs oppresseurs masculins si ce n’est l’intervention en leur faveur d’autres hommes.

Chez Rushdie ce fait est marqué par la violence qu’utilise Hashim vis à vis de sa fille et de sa femme. La première est cruellement battue, déshéritée, tandis que la deuxième ne recevra à la mort de son mari qu’un huitième des biens comme l’autorise « la loi islamique « : «  Islamic law «.

Rushdie joue sur le contraste social entre les différents espaces  de la ville. L’argent joue un rôle crucial dans ce récit car il est facteur de pouvoir, il motive les actions des personnages plus pauvres. Par exemple, Atta va être ramené par le marchand de fleurs qui espère une récompense : « hoping for a large tip «, on achète d’ailleurs son silence. Huma moyennant rétribution va s’offrir les services du voleur. Ce rapport de force et d’inégalité bien présent dans la société des récits se répercute sur les personnages et engendre de la violence. Cette dernière fait partie des composantes universelles de la quête.

2 )les paradigmes universels constitutifs de la quête .

Toutes quêtes possèdent des caractéristiques communes. Elles s'avèrent universelles. Rushdie et Chrétien de Troyes nous conduisent sur un chemin débouchant sur la vulnérabilité de l'être. Nous étudierons deux thèmes importants dans les récits : la violence et le langage.

 

 Le langage

Il y a plusieurs paroles dans le conte du graal et dans The Prophet’s Hair, que nous allons essayer de classer. Celle-ci s’oppose à un silence synonyme d’échec dans les deux récits.

Tout d’abord il y a «  la parole didactique «[3] de Perceval utilisée au début du récit. En effet, le jeune homme ne cesse de justifier ses actions en faisant référence à l’enseignement de sa mère : « ma mère m’a dit «. Gorenemant de Goort va d’ailleurs lui déconseiller de faire appel aux dires maternels car on le prendrait pour de la sottise. Perceval va lui jurer « de ne jamais dire mot, de toute sa vie de personne d'autre que lui «. On voit aussi une  « parole dévoyée à l’ironie blessante «[4] fréquemment utilisée par Keu. Celui-ci dit à Perceval lorsqu’il arrive à la cour pour se faire chevalier : «  Vous n’avez certes pas agi en sot en étant pour cela venu ici ! «. Ce qui est bien sûr ironique car la demande de Perceval ne correspond pas à la logique de la cour, le roi ne peut lui donner les armes de son adversaire avant qu’il ne l’ait défait. Chez Rushdie, on voit que ces deux paroles se mélangent pour former la parole dictatoriale du père. En effet, Hashim ordonne à sa famille de se conformer aux préceptes du Coran. D’une part, sa parole est lapidaire, porteuse des traditions ancestrales et qui n’a  pas besoin de se justifier. Huma doit porter le voile car le Coran dit que les femmes doivent sortir couvertes et il n’y a pas à argumenter contre cela. Il faut l’accepter ou se rebeller et c’est ce que choisira la jeune fille. D’autre part, il est extrêmement brutal, il traite son fils d’incapable : «  A dope !I have been cursed with a dope ! «.

On peut voir ensuite « la parole spontanée «[5] utilisée dans un état d’innocence originelle. Perceval pose spontanément beaucoup de questions à ses interlocuteurs comme par exemple aux premiers chevaliers qu’il va rencontrer en demandant le nom de leurs armes. On voit aussi «  la parole prophétique «[6], qui révèle des choses cachées à Perceval. Ce type de discours est utilisé par sa cousine. Mais aussi par la malédiction, de la vilaine demoiselle. Atta va avoir un discours annonciateur des évènements futurs lorsqu’il dit que «  ce cheveux est revenu pour les accabler« : «  The hair was persecuting them, and had come back to finish the job «.

On voit en outre « la parole libératrice «[7] incarnée par la révélation de l’ermite qui va terminer les aventures de Perceval : «  il t’as bien fait du mal ce péché dont tu ne sais rien : le chagrin que tu causas à ta mère… ce péché que tu as commis fit que tu ne posas pas de question… «. Enfin il y a la parole paralysée qui correspond aux nombreux silences communs aux deux récits. Chez chrétien de Troyes on voit le roi Arthur, plongé dans ses pensées après l’affront du chevalier vermeil : «  la tristesse m’empêchait de vous répondre, car mon pire ennemi… vient ici même de me contester ma terre «. Mais celle-ci est particulièrement représentée avec les silence de Perceval  tout d’abord avec Blanchefleur : « elle vit bien et compris que jamais il ne lui dirait mot si elle ne lui adressait pas la parole la première «, et ensuite au château du graal. Perceval : « voit cette chose extraordinaire, mais il s’est retenu de demander comment cela pouvait se faire, car il se souvenait de la recommandation reçue de celui qui l’avait armé chevalier : il lui avait enjoint de se garder de tout excès de parole. Aussi craint-il, s’il pose une question, de se voir imputer à vilenie et, pour cette raison, il ne la pose pas. «. Chez Rushdie  les membres de la famille sont terrorisés par Hashim. Il sont trop abasourdis : «…stunned, in tears…«, pour parler lorsque celui-ci leur révèle son opinion  déplorable sur eux et ensuite trop terrorisés par ses coups : «  the fear in the air of the house had become so thick that it was difficult to walk around «. Nous allons étudier plus en détail ce thème primordial.

 

La violence et la symbolique du sang.

Chez Chrétien de Troyes, une rencontre fortuite opère un renversement capital dans la vie de Perceval à la suite duquel il manifeste sa vraie nature. Il est conquis par le statut des chevaliers, il aspire à cette caste, fondée sur l'ardeur guerrière, et le mépris de la mort.

Plus tard il est fasciné par trois gouttes de sang qui forment les joues et la bouche de Blanchefleur. Le sang est ici symbolique de l'amour  découvert devant cette image : « la semblance «. Mais on peut aussi voir un réseau de sens alliant la couleur des armes prises lors du duel au chevalier vermeil, et la lance à la pointe blanche qui saigne.

Du récit The Prophet’s Hair se dégage une dimension de cruauté et de bestialité sanguinaire. Atta est battu à mort lorsqu’il s’aventure dans la quartier mal-famé : « beaten within an inch of his life «.

Les activités criminelles y sont répertoriées dans une organisation très commerciale. C’est une légalisation de l’amoralité caractéristique de cette société, un troc morbide ou l'importance de la somme conditionnera l'excellence du travail. Le père va se faire obéir par la violence. Pour l’avoir contre - dit sa femme et son fils sont giflés « struck her on the face with an open hand «,  tandis que sa fille qui refuse de lui dire où est la fiole est battue sans pitié jusqu’ à ce qu’elle lui avoue la vérité. La peau d’huma est marbrée de  bleu et de noir, elle est couverte de meurtrissures : «  bruised «. L'ironie de l'auteur veut qu'Huma affronte son père avec la même marque d'indépendance d'esprit qu'il avait encouragé chez elle, « she refuses to enter purdha …it’s bad for the eyes«. La violence va aller croissant au cours de récit car à la fin de la nouvelle se met en place une suite de décès qui s’enchaînent dans une hécatombe sanglante.

 

III )l’appel du spirituel pour résoudre une crise existentielle.

Nous étudierons  les éléments de religion merveilleux qui se dégagent des deux textes pouvant sembler parfois très improbables à un lecteur cartésien, puis nous nous pencherons sur la valeur heuristique de la quête.

 

Le merveilleux corollaire de la religion.

On note que la religion est très présente dés le prologue du Conte du Graal, en effet Chrétien de Troyes fait appel aux saintes écritures : « conformément à l’Evangile «. Le héros Perceval a été élevé dans la foi de Jésus Christ : il va s’adresser au premier chevalier qu’il voit dans les termes suivants : « Je n’ai pas peur aussi vrai que j’ai foi en mon Sauveur. Etes- vous donc Dieu ? «. Il y fait souvent allusion, mais il ne prie pas et ne va pas dans les églises paradoxalement, et ce malgré que Gornemant de Goort lui répète l’enseignement de sa mère : « Ne manquez pas de vous rendre à l’Eglise y prier Dieu…allez de bon coeur à l'église priez le créateur de toutes choses d'avoir pitié de votre âme et de protéger en ce bas monde comme son bien le chrétien que vous êtes «.

On note que la religion fait partie du statut même du personnage de l'ermite : « un homme saint « dont la vie se passe dans la spiritualité, c’est dire si la foi joue un rôle important. Elle conditionne même les jours de combat et apporte la paix en interdisant de porter les armes pendant les jours saints : «… le vendredi saint, le jour où on doit adorer la croix et pleurer ses péchés…Aujourd’hui aucun homme qui croit en dieu ne devrait porter les armes ni en chemin ni au champ de bataille. «.

 Perceval va alors se rendre chez l’ermite car : « …il se sentait coupable envers dieu et plein de repentir. L’ermite va lui inculquer les principes d’une vie sainte « Crois en dieu, Adore dieu «. Il exige : « …que Perceval apprenne à vivre saintement, et se révèle au plus vite digne de la haute vocation qui est la sienne. «.[8]

Dans The Prophet’s Hair, le père à l'imitation des chefs religieux musulmans interdit tout messages jugés subversifs, et par conséquent tout les supports de leur expression : livres, cinéma. Lorsqu’un de ses clients ne pouvant s’acquitter de sa dette, viendra demander un délai, Hashim en représaille, essaiera de lui couper la main droite. Ceci représente le châtiment prévu par la Loi du talion appliqué aux voleurs : « he had tried to cut off the wretch’s right handwith one of the thirty-eight kukri knives hanging on the study walls «. Quant aux fils du roi des voleurs, ils sont extrêmement pieux et parlent même d'un pèlerinage à la Mecque.

Cependant ni Perceval ni Hashim n’étaient à l’origine très préoccupés de  religion. Pour Perceval c’est sa mère qui lui apprend au début du récit ce qu’est une église. Quant à Hashim il était au contraire plutôt cartésien et pas véritablement attiré par la sainteté, il se contentait de vouloir vivre honorablement dans le monde : « was found of pointing out that while he was not a godly man  he set great store by living honorably in the world «. De plus, il avait éduqué ses enfants de façon à ce qu’ils soient ouvert et tolérants : « …the moneylender and his wife had successfully sought to inculcate the virtues of thrift, plain dealing and a healthy independance of spirit. «. Leurs évolutions et leurs éveils soudain à la spiritualité tiennent de l’extraordinaire des évènements qu’ils ont vécu. L’un a vu un phénomène très étrange tandis que l’autre s’est vu transformer par une entité extérieure à lui.

Par conséquent, certains éléments des deux récits peuvent apparaître improbables à un lecteur trop cartésien. Chez Chrétien de Troyes, le château du roi pêcheur apparaît miraculeusement devant ses yeux : « Il regarde loin devant lui, mais il n’a vu que ciel et terre…C’est alors qu’il a vu devant lui…le haut d’une tour «. Perceval est richement accueilli, puis se déroule un cortège aux motifs inexpliqués. La majesté des personnages, et la lumière : « une si grande clarté « que répand le Graal, la lenteur de la procession, le silence de l'assistance fait penser une cérémonie religieuse. Mail le plus problématique pour un lecteur incroyant reste l’explication de l’ermite. Il semble, selon lui, que les prières et les objet sacrés comme le graal, aient une action effective sur le monde, c’est grâce à la prière de sa mère que Perceval a bénéficié d’une protection : « tu n’aurais pas même pu y tenir si elle ne t’avais recommandé à Dieu. Mais sa prière a eu une telle vertu que dieu, à cause d’elle… t’a protégé de la mort et de la prison «. L’ermite va de plus lui apprendre une prière contenant « les noms secrets de Dieu « ce qui pourra l’aider s’il est en grand danger. En outre, une hostie suffit à guérir le roi pêcheur : « le graal est chose si sainte et il est lui-même si spiritualisé que l’hostie qui vient dans le graal suffit à le maintenir en vie. «. Ainsi Chrétien de Troyes par l’intermédiaire de ce récit montre la religion sous un jour de puissance bienveillante. Elle a dans ce récit un rôle protecteur et apaisant pour les hommes qui obéissent à ses codes, elle permet à Perceval de racheter ses péchés et de « se repentir «elle accorde même une sorte d’immortalité aux personnages les plus spiritualisés comme le roi pêcheur.

Chez Rushdie, on peut voir que le merveilleux est au contraire empoisonné. Le chef des voleurs comme beaucoup de ses acolytes a eu la bienheureuse idée de briser les membres de ses quatre enfants à leur naissance afin qu’ils gagnent largement leur vie en mendiant : « …he had made sure they were all provided with a lifelong source of high income by crippling them at birth, so that…they earned excellent money in the begging business «. Ce qui semble être un acte odieux est ici vu comme sage et même ironiquement comme la marque de l’amour paternel : « with a parent’s absolutist love «, alors que le miracle qui leur rend l’usage de leurs jambes est vu comme la ruine de leur vie. Il y a une totale inversion des effets de la relique par rapport à la norme, car elle provoque la malchance. Une malédiction semble peser sur cette fiole et quiconque en approchera, Atta en est d’ailleurs convaincu : « I am convinced there will be no peace in our house until this hair is out of it “. Elle semble pouvoir ensorceler et attirer Hashim. En effet elle s’échappera même de la poche d’Atta pour retourner dans l’eau du fleuve et par deux fois elle attirera fatalement l’attention d’Hashim: «…had once again noticed a glint of silver between boat and quay «. Voyons plus en détails comment les reliques vont transformer les personnages.

 les deux reliques ou la valeur heuristique de la quête

Les deux reliques sacrées, se composent d'un fragment organique, ou son symbole matériel comme l’hostie, issu d'un prophète fondateur. Toutefois, la relique se compose aussi d'un contenant, dont la proximité d'avec la sainteté du cheveu ou de l’hostie dans le Graal, lui donne le même caractère divin. Ici l'origine des croyances est contenue  dans cette réduction physique, symbolique ou non, du corps des fondateurs des deux religions. Chez Chrétien de Troyes le graal est montré comme irradiant une lumière presque aveuglante, ce qui lui donne dans la civilisation médiévale un aspect mystique et noble. En effet d’après la croyance chrétienne Dieu est lumière, on peut donc déduire que le Graal plus lumineux encore que les chandelles, lui est apparenté : «  il y eut une si grande clarté que les chandelles en perdirent leur éclat, comme les étoiles et la lune au lever du soleil. «. Le graal est décrit comme un objet des plus précieux : «  le graal qui venait en tête du cortège était de l’or le plus pur et serti de toutes sortes de pierres précieuses, les plus riches et les plus chères qui soient au monde. «. Cependant cette brillance luxueuse n’est pas dans la lignée d’une tradition chrétienne, prêchant la simplicité et la pauvreté. De ce fait on ne sait vraiment quel rôle lui attribuer. Il semble osciller entre la fonction de « pourvoyeur de mets exquis « car il est présenté devant les yeux de Perceval à chaque fois qu’est servi un nouveau plat  et celle de « vase eucharistique «[9]. En effet, Perceval appendra plus tard que le Graal contenait l’hostie susceptible de guérir le roi Pêcheur, qui « soutient et fortifie sa vie «.

 Le flacon trouvé par Hashim est lui aussi très précieux, d’une telle rareté qu’il peut s’empêcher de le garder pour lui. La relique se compose ici d’un cylindre de verre contenant un médaillon : «  It was a cylinder of tinted glass cased in exquisitely wrought silver, and Hashim saw within its walls a silver pendant bearing a single strand of human hair”.

Dans Le Conte du Graal, Perceval transcende le niveau de la chevalerie courtoise, pour pénétrer dans un espace où le profane rejoint le sacré dans le château du graal, où se joue l'aventure suprême dont l'enjeu n'est autre que le salut de l'homme, car il aurait pu mettre fin à la stérilité du pays. Perceval va oublier Dieu, et cet oubli de Dieu devient un oubli de soi. Il faut se découvrir et s’approprier une identité propre, son nom. Dans le Conte du Graal il y a idée de perfectibilité, comme le dit le roi Arthur lorsqu’il se présente à la cour pour la première fois : « un jeune homme a beau être ignorant, s’il vient de son éducation qu'il aie un maître indigne, il peut encore devenir sage et vaillant «. La quête a une valeur heuristique sur tous les plans chez Chrétien de Troyes. Au niveau chevaleresque, Perceval apprend à se comporter selon les codes de la société en vigueur, il découvre l’amour, son propre nom et enfin la foi. La quête de Perceval se tourne vers le spirituel. Grâce à la confession, il se retourne vers son passé. Il est doublement tourné vers son origine, puisque l’ermite lui avoue être le frère de sa mère ; sa mère qui l’a recommandé à dieu, et dont il a oublié les pieux conseils. Grâce à ce retour sur lui-même il parvient à retrouver sa pureté en se repentant. C’est une renaissance symbolique à la vie. Evoquant son passé, il va se définir en tant qu’homme nouveau par rapport à celui-ci. Perceval marque donc un tournant dans la tradition chevaleresque puisque la prouesse guerrière s’efface, au bout d’une longue maturation de cinq ans, au profit d’une prise de conscience du spirituel.

Pour Hashim, la quête a valeur de révélation dans le sens où ce personnage et son entourage ignoraient totalement de quelle violence il était capable. Il entre dans un creshendo de destruction, en s'attaquant même aux clients qui lui fournissent pourtant ses revenus. Il semble que tous ses affects positifs comme l’amour qu’il porte à sa famille aient disparu au profit d’affects négatifs comme la colère. Le contrôle de ses pulsions n’est plus efficient car ses inhibitions ont disparu comme le montre sa tendance à répondre aux évènements par des coups. Alors qu’auparavant il accordait comme les autres beaucoup d’importance à la bonne entente de tous : « …the conversation had been filled with those expression of courtesy and solicitude on which the family prided itself. «. Il veut dresser sa famille avec discipline afin qu’elle se comporte exactement selon ses dires. Son insensibilité devient cruauté et il exerce une tyrannie telle qu’on ne l’aurait jamais crue possible venant d’un homme auparavant si tolérant. Il y a une perversion de la valeur de la religion, elle qui devrait apporter apaisement des âmes et communauté des hommes, n’entraîne ici que malheur et désespoir. Elle divise affreusement la famille, la seule communication amicale restante était celle du frère et de la sœur, qui meurent tous les deux à la fin de la nouvelle. En appliquant les traditions vieilles de millénaires du Coran, Hashim subit certes une évolution mais ne progresse pas contrairement à Perceval. Ce retour sur les concepts d’une tradition passéiste le métamorphose pour son plus grand malheur.

III) Deux schémas narratifs, opposés et mis en parallèle : la liberté et l'aliénation.

Ici deux schémas narratifs opposés sont mis en parallèle, l'élévation par la liberté, et l'abaissement par l'aliénation. Ces deux récits font l'apologie de la liberté, la connaissance, ils sont les intéressants pôles du même domaine spirituel : le célèbre «  connais-toi toi-même « de Socrate.

On peut faire un parallèle entre les deux héros, qui  vont vivre une aventure hors du commun, alors que rien ne la laissait présager. Perceval vivait retiré en forêt, loin à l’écart de la cour et c’est parce qu’il décide d’entrer en chevalerie qu’il va connaître le graal. Chez Rushdie, on note que la fiole de verre contenant la relique est trouvée par Hashim la première fois  par hasard dans l’eau du fleuve, alors qu’il montait dans son shikara ( bateau) « he noticed a small vial floating between the boat and his private quay «. Mais nous verrons que ces deux aventures n’auront pas du tout les mêmes conséquences, elles ont d’ailleurs des constructions narratives diamétralement opposées.

 la liberté -l'élévation - la connaissance.

On peut expliquer le schéma du Conte du Graal ci-dessus par les étapes suivantes. Perceval est montré comme un personnage libre. En effet, il décide de partir à l’aventure et de devenir chevalier, en choisissant librement une destinée contraire à celle que sa mère voulait pour lui. Il « est un viator en route vers sa propre identité « [10], les conditions de l’errance le laisse disponible à toutes les aventures qui pourraient lui arriver en chemin. Même lorsque se produit l’apparition du graal, le comportement qu’il doit adopter est laissé à son libre arbitre. C’est lui qui décide de son silence et ensuite de sa quête. Il fait par choix personnel le serment de savoir ce qu’est la graal, personne ne l'y a contraint, si ce n'est par des reproches quelquefois implicites et des plaintes, comme sa cousine ou des imprécations comme la laide demoiselle. Plu tard, c’est la rencontre avec l’ermite qui  lui permettra de s’élever et de sortir du schéma appelant de perpétuels combats car le jeune homme était « toujours en quête d’aventures extraordinaire et redoutables «. Perceval s’élève et acquière la  connaissance d’une dimension insoupçonnée : il va apprendre les bienfaits de la prière et de la foi. Son cheminement s’est effectué par étapes successives. Au début du texte il se présente comme un jeune sauvage sans éducation aux yeux des premiers chevaliers qu’il rencontre : « les Gallois sont tous par nature plus sots que bêtes menées en pâture. Celui-ci a tout d'une bête. «. Cependant on apprend au long du récit que Perceval possède des qualités cachées qui rendent possible sa destinée de chevalier.  Sa décision de quitter sa mère a pu être édictée par une part d’innée inconsciente, héritée de son ascendance guerrière car les liens du sang l’unissent à des chevaliers de grande valeur, morts au combat. Lorsqu’il se présentera à la cour, Perceval sera confirmé à lui-même et aux yeux du lecteur sur sa voie d’exception car il est  reconnu comme le chevalier de la prophétie, donnée par la jeune fille suivante de la reine. Celle-ci annonce  « qu’il n’y aura, qu’il n’y eut et qu’il ne saurait être au monde chevalier supérieur à « lui.  De plus, fait étrange, son éducation semble avoir été orientée vers le métier des armes car d’un seul jet Perceval tue le chevalier aux armes vermeilles sans avoir le moins du monde suivi de formation. Il ne rencontrera Gornemant de Goort son vavasseur qu’après cet événement. De plus sa fascination que le roi expérimente lui aussi au début du roman, devant les trois gouttes de sang apparaît comme le signe d’une destinée héroïque. Tout à ses pensées, il est inaccessible au monde matériel.

 La scène de cortège va se révéler être une mise à l’épreuve de la capacité de questionnement du jeune homme. C’est parce qu’il n’a pas posé les questions sur l’essence des objets magiques qu’arrive la stérilité sur le royaume : «  Le jeune homme les vit passer mais il n’osa pas demander à propos du graal a qui l’on en faisait le service, car il gardait toujours à l’esprit la recommandation du sage prud’homme. Je crains fort qu’en vienne quelque mal, car j’ai souvent entendu dire qu’on peut à l’occasion trop se taire aussi bien que trop parler. « Perceval a pour caractéristique son impétuosité. Cela le conduit à faire des erreurs, s’il avait pris patience il aurait pu apprendre chez Gornemant  de Goort d’autres éléments de la caste chevaleresque pour devenir totalement accompli, car celui-ci lui proposait de rester avec lui pendant une année. Mais Perceval choisit de s’en aller et  il va porter atteinte à l'harmonie du monde dirigé par le roi pêcheur

 Pour réparer son silence  Perceval décide de savoir ce qu’est le Graal. Ainsi il veut à tout prix le retrouver sa quête le tient enchaîné : il fait le serment de ne dormir deux  nuits dans le même endroit. Pendant cinq années de glorieux combats, de duels et de nombreuses péripéties il va errer et mais on ne retient presque rien de cela, si ce n’est qu’il envoie une soixantaine de glorieux combattants se constituer prisonnier à la cour du roi. Pendant sa quête il va se fourvoyer, comme il l’avoue à l’ermite : « Sire… voilà bien cinq ans que je ne sais où j’en suis moi-même, sans plus aimer dieu ni croire en lui- et depuis lors je n’ai fait que le mal… jamais plus je n’ai appelé à la miséricorde divine et je n’ai rien fait que je sache, pour la mériter « Il va  passer du temps en méditation, communier à Pâques et apprendre du saint homme les préceptes d’une vie sainte. Cependant l 'histoire est ouverte, car on ne sait ce que devient Perceval après sa communion. L'inachèvement du roman est autant une invitation à le continuer qu’un appel à s'engager dans une autre quête.

L aliénation -l'abaissement -l'ignorance.

L’histoire de Hashim repose sur une autre base : l’aliénation. On sait que précédemment le personnage n’était pas du tout porté sur le domaine spirituel, bien au contraire car sa profession d’usurier le plaçait dans une perspective matérialiste, voir calculatrice. En effet l’usurier vit des taux d’intérêts que ses clients doivent lui rembourser taux qui est de : 70 %. Son projet était d’ailleurs de pouvoir prendre sa retraite et cesser son activité : « …if my plan succeed, I shall put myself out of business ! «. Mais sous l’influence de la fiole qui s’empare mystérieusement de son ancienne personnalité, il change du tout au tout. On note qu’ Hashim expérimentera le même état de transe fascinée devant la fiole que Perceval devant les gouttes de sang. Et après cette transe, il apparaît transformé sur le plan physiologique, il semble gonflé : « he looks to be on the point of bursting! As though, under the influence of the misappropriated relic, he had filled up with some spectral fluide which might at any moment ooze uncontrollably from his every  bodily opening «.

Mais il y a une double quête dans ce récit. Alors qu’Hashim essaye d'atteindre un idéal de pureté, et de sainteté en se conformant littéralement au Coran, la véritable quête est celle de ses enfants qui tentent par tous les moyens possibles de se débarrasser de la relique. Ainsi, se dessine un schéma en négatif de la quête de Perceval. En effet, Atta et Huma subissent  la dictature de leur père,  cette aliénation les pousse à commettre une vile action, ce dont ils sont bien conscients: « We are descending to gutter-level «. Ainsi parce que les actes des personnages sont dictés par une mauvaise entité, ils vont progressivement s’abaisser. Tout d’abord ils vont conspirer contre leur père et tenter de restituer de la fiole à la mosquée. Puis, acculés, alors que la fiole est revenue vers Hashim, ils recourent successivement aux services de criminels professionnels. La quête n'est pas de savoir les fonctions, la nature et les différents pouvoirs de la fiole  mais de la faire sortir de leurs existences. Contrairement au Conte du Graal, la relique ne permet pas une élévation des personnages, elle les aliènent directement dans le cas d’Hashim et indirectement dans le cas de sa famille. Ici il n’y a pas de vérité révélée, les personnages restent dans l’ignorance de la nature de la relique. Seule sa disparition leur rendrait une harmonie familiale et une relative liberté car ils sont totalement sous la coupe de leur père. Ceci est particulièrement visible dans le cas d’Huma qui doit se voiler et ne pas se faire voir des garçons, fussent-ils les amis de son frère. Dans le récit, il n'est pas dit qu'Hashim parvienne à un état de grâce et de connaissance à l'égal de Perceval dans le court laps de temps de sa conversion acharnée jusqu’à sa mort. A l’égal de Perceval ; il a commit une faute. En possession du flacon son devoir était limpide, il aurait dû le restituer : « the hair must to be restored to its shrine, and the state to equanimity and peace «. Mais il commet la faute de garder sa trouvaille, ce qui va faire voler en éclat l’équilibre de sa famille : « that life of porcelain delicacy and alabaster sensbilities, was to be shattered beyond all hope of repair «. La relique semble maudite, elle le pousse toujours plus loin dans le fanatisme, car il frappe ses enfants et sa femme tout d’abord mais ensuite il s’attaque à ses clients avec des armes de plus en plus meurtrières, un fouet et puis un couteau. La relique semble douée d'une vie propre et réapparaît toujours à Hashim. Elle  l'aveugle au point de ne pas voir la souffrance qu'il inflige aux siens. Toutes tentatives de retourner à l’entente précédente sont prises comme une insulte personnelle. Sa femme ne doit pas lui dire comment faire son métier, son fils n’a pas à soutenir sa mère et sa fille n’a pas le droit de se dérober à son devoir de femme qui est le voile. Au lieu  d’écouter les lois implicites à toutes les familles, Hashim obéit aux lois du Coran ce qui va produire d’irréparables dégâts dans la vie de la maison : « breaches of the family’s unwritten laws of decorum «.

On peut dire que les deux textes sont symptomatiques de la thématique de la quête .  Car en effet si on peut noter des différences majeures dans le traitement de l'intrigue d'un point de vue stylistique ou narratif, on retrouve tout de même des valeurs communes caractéristiques. Il y a des différences entre les deux récits qui appartiennent d'une part, au Moyen Âge et à l'Europe d'autre part, à l'Inde anglo-saxonne et au XXe siècle. L'écriture Rushdie est déterminée par le milieu indien. Ainsi qu’il l’a dit lui-même il ressent le besoin de retourner en Inde pour s’abreuver « à la source « puisant la force d’écrire et de rassembler ses idées à chacun de ses retours au pays où il est né. Mais  au-delà de cette appartenance à d'autres milieux littéraires, les deux textes se rejoignent sur des concepts communs. Ceux-ci sont constitutifs aux thèmes de la quête, de la recherche identitaire et d’un accouchement de soi par la transcendance. On peut faire des parallèles entre les deux mondes sur le statut de la femme, la violence et la distribution de la parole.

Les deux textes évoquent les différentes conceptions de la foi religieuse, d’une part au début de la propagation de la religion occidentale, d’autre part concernant la religion musulmane à une époque plus moderne, proche de la nôtre où les interrogations sur la dialectique des rapports croyance - intégrisme sont au cœur des débats. Ceci à cause d’une de ses dérives meurtrières qu’est le terrorisme dont Salman Rushdie est toujours la cible. Cet auteur a  très bien anticipé et illustré les incompatibilités qui existent entre le mode de vie occidental et une pratique aveugle d’interprétations trop rigoureuses du Coran. Il critique très vivement les usages de la société musulmane traditionnelle qui sont considérés comme dangereux et inadaptés à la société car archaïques et strictes, inapplicables dans la société moderne.

Mais plus en profondeur, alors que dieu est déclaré mort, il y a toujours dans les écrits une réutilisation du passé mythique et religieux. Pour se réaliser dans ce monde l’homme a besoin de faire l’expérience de la transcendance. Ainsi les textes à travers l’expérience de la vérité identitaire, du vrai moi des personnages, traitent de la vie en elle-même et de la condition humaine. La violence, les difficultés de communication, les interrogations métaphysiques, sont des sentiments communs à tous les pays, les cultures et que le lecteur peut expérimenter chaque jour. À travers le quotidien des protagonistes les auteurs nous tendent un miroir de  nous-mêmes où se rejoignent les préceptes mêmes de la condition humaine.

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[1] RIBARD Jacques, Chrétien de Troyes, le Conte du Graal, anthologie thématique. Paris : Hatier, 1976. P

[2] L’ayatola  Khomeni a appelé au meurtre de l’écrivain par le biais d’une fatwa, promettant la sainteté et le paradis pour son assassin à la suite de la parution de l’ œuvre : Les Versets Sataniques, très polémique sur la religion musulmane. Plusieurs traducteurs et éditeurs de l’œuvre dans le monde entier ont déjà été assassinés.

[3] RIBARD Jacques, Chrétien de Troyes, le Conte du Graal, anthologie thématique. Paris : Hatier, 1976.

[4] Ibid.

[5] ibid

[6] ibid

[7] ibid

[8] RIBARD Jacques, Chrétien de Troyes, le Conte du Graal, anthologie thématique. Paris : Hatier, 1976.

 

[9] COMBES et BERTIN, Annie et Annie, Ecritures du graal. Paris : PUF, 2001. p 69

[10] TROYES, Chrétien. Perceval ou le conte du Graal. Paris : le livre de Poche, 2004. Préface de Michel Stanesco, p 9.

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