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Schiller, les Brigands (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Schiller, les Brigands (extrait). Première oeuvre d'un adolescent révolté, en profond désaccord avec les principes du matérialisme despotique allemand, les Brigands reprennent le thème rebattu de la haine opposant deux frères et exaltent, à travers les destins croisés de Franz et de Karl Moor, les valeurs morales de la justice. Trahi par Franz, un être perfide, méchant et jaloux, Karl, idéaliste et libertaire, décide, avec un groupe de brigands, de venger par le meurtre et par la destruction les opprimés de toutes les injustices. Les Brigands de Friedrich von Schiller (extrait) LE VIEUX MOOR. Oh, mes espérances ! Mes rêves d'or ! FRANZ. Eh ! je le sais. C'est bien ce que je disais. L'esprit ardent qui brûle dans cet enfant, disiez vous sans cesse, qui le rend si sensible à tous les attraits de la grandeur et de la beauté ; cette franchise, qui dans ses yeux donne à voir son âme, cette douceur qui lui tire des larmes de compassion à la vue de la moindre souffrance, ce courage viril qui le pousse à escalader des chênes centenaires, à sauter fossés, palissades et torrents, cet orgueil d'enfant, cette invincible obstination, toutes ces belles et brillantes vertus qui germaient chez ce chouchou à son papa, feront de lui un ami cher à l'ami, un parfait citoyen, un héros, un grand, ah ! un grand homme. Voyez à présent, père !... Cet esprit ardent s'est épanoui, il a grandi, il a porté de superbes fruits. Voyez cette franchise, comme elle a joliment tourné à l'insolence, voyez cette douceur, comme elle roucoule tendrement devant les cocottes, comme elle se montre sensible aux attraits des Vénus de bas étage ! Voyez ce génie enflammé : en six petites années, il a brûlé toute l'huile de son existence ! Si bien qu'aujourd'hui il n'est plus qu'un fantôme dans un corps vivant, et les gens s'en viennent clamer sans pudeur : c'est l'amour qui a fait ça ! Ah ! Voyez-la, cette tête hardie, entreprenante, comme elle sait concevoir et exécuter des plans à faire oublier les hauts faits d'un Cartouche ou d'un Howard ! Et lorsque tous ces germes superbes s'épanouiront ?... Qu'attendre de l'accomplissement d'une si tendre jeunesse ? Peut-être, père, aurez-vous la joie, avant de mourir, de le voir à la tête d'une de ces armées qui vivent dans la sainte quiétude des forêts, et soulagent le voyageur fatigué de la moitié de son fardeau... peut-être pourrez-vous, avant de descendre au tombeau, faire un pèlerinage au monument qu'il se fait ériger entre ciel et terre... peut-être, ô père, ô père, père !... cherchez-vous un autre nom, sans quoi vous serez montré du doigt par les voyous et les boutiquiers, qui auront vu le portrait de Monsieur votre fils sur la place du marché de Leipzig. LE VIEUX MOOR. Et toi aussi, mon Franz, toi aussi ? Ô mes enfants ! Mon coeur, voilà leur cible ! FRANZ. Vous voyez, moi aussi je puis faire de l'esprit, mais mon esprit, c'est le dard du scorpion... Et voici que l'homme ordinaire, le fruit sec, Franz, l'homme de froideur, l'homme de bois -- sans parler des titres flatteurs que le contraste entre lui et moi vous a fait m'attribuer, lorsqu'il était assis sur vos genoux ou vous pinçait la joue -- celui-là mourra un jour dans ses terres, il pourrira, on l'oubliera, quand la gloire de cet esprit universel volera d'un pôle à l'autre... Ah ! c'est mains jointes, ô ciel, que Franz, l'homme de froideur, l'homme de bois, le fruit sec te remercie... de n'être pas comme cet autre-là ! LE VIEUX MOOR. Pardonne-moi, mon enfant. Ne t'irrite pas contre celui dont les plans ont été trahis. Dieu, qui m'envoie des larmes par Karl, les essuiera par toi, mon Franz. FRANZ. Oui, père, de vos yeux il les essuiera. Votre vie est l'oracle qu'avant tout autre je consulte sur mes desseins, le miroir dans lequel je contemple toute chose... Nul devoir ne m'est si sacré que je ne consente à le violer s'il en va de votre précieuse vie. Vous me croyez ? LE VIEUX MOOR. Tu as encore de grands devoirs à remplir, mon fils... Dieu te bénisse pour ce que tu as été, et seras pour moi ! FRANZ. Dites un peu : si vous ne deviez plus appeler ce fils votre fils, seriez-vous un homme heureux ? LE VIEUX MOOR. Silence ! ah ! silence ! Quand la sage-femme me l'apporta, je le tendis vers le ciel en criant : ne suis-je pas un homme heureux ? FRANZ. Vous l'avez dit, oui. Mais aujourd'hui, qu'en est-il ? Vous enviez le plus vil de vos paysans de n'être pas son père... Votre tourment durera tant que vous aurez ce fils. Ce tourment grandira avec Karl. Ce tourment minera votre existence. LE VIEUX MOOR. Oh ! À cause de lui, je me sens quatre-vingts ans ! FRANZ. Eh bien, donc... et si vous vous défaisiez de ce fils ? LE VIEUX MOOR, sursautant. Franz ! Franz ! Que dis-tu ? FRANZ. N'est-ce pas cet amour pour lui qui fait toute votre affliction ? Sans cet amour, il sort de votre vie. Sans ce coupable, ce damnable amour, il est mort pour vous -- il n'est même jamais né. Ce n'est pas la chair ni le sang, c'est le coeur qui nous fait père et fils. Retirez-lui votre amour, et ce monstre n'est plus votre fils, fût-il taillé dans votre chair. Il était jusque-là la prunelle de vos yeux, mais à présent, comme le dit l'Écriture : « si ton oeil est pour toi occasion de péché, arrache-le «. Mieux vaut être borgne au Ciel qu'avoir ses deux yeux en Enfer. Mieux vaut entrer sans enfants au Ciel que descendre à deux, père et fils, en Enfer. Voilà ce que dit la parole divine. LE VIEUX MOOR. Tu veux que je maudisse mon fils ? FRANZ. Mais non ! Mais non ! Vous ne sauriez maudire votre fils. Qui appelez-vous « votre fils « ? L'homme à qui vous avez donné la vie, bien qu'il fasse tous les efforts possibles et imaginables pour écourter la vôtre ? LE VIEUX MOOR. Oh, ce n'est que trop vrai ! c'est une sentence prononcée contre moi. Notre Seigneur la lui a enjointe. FRANZ. Voyez avec quelle tendresse d'enfant votre enfant chéri vous traite. Votre faveur paternelle le pousse à vous égorger, votre amour à vous assassiner, il a corrompu votre coeur de père pour mieux se débarrasser de vous. Quand vous ne serez plus, il sera maître de vos biens, et roi de ses pulsions. La digue cède : le torrent de ses débauches n'en débordera que plus librement. Mettez vous un instant à sa place ! Combien de fois il a dû souhaiter voir son père six pieds sous terre, combien de fois son frère... Nous qui, sans commisération aucune, lui barrons la route. Est-ce là rendre amour pour amour ? Gratitude filiale pour douceur paternelle ? Quand il sacrifie dix années de votre vie à un moment de chatouillis libidineux ? Qu'en une minute de débauche il met en jeu le renom de ses pères, resté sans tache sept siècles durant ? C'est cela que vous appelez votre fils ? Répondez ! C'est cela que vous appelez votre fils ? LE VIEUX MOOR. C'est un enfant sans tendresse ! Ah ! Mais c'est mon enfant, oui ! c'est mon enfant ! FRANZ. L'adorable, le délicieux enfant, dont l'unique soin est de n'avoir plus de père ? Oh, puissiez-vous enfin comprendre ! Puissent les écailles vous tomber des yeux ! mais votre indulgence ne peut que le conforter dans ses désordres ; votre faveur, les justifier. Certes, vous détournerez la malédiction de sa tête, mais c'est sur vous, père, sur vous ! que retombera la damnation de cette abomination. LE VIEUX MOOR. C'est juste ! très juste ! Tout est ma faute, ma faute à moi seul ! FRANZ. Nombreux sont ceux qui, après s'être enivrés au calice de la volupté, ont été rédimés par la souffrance. Et la souffrance physique qui va de pair avec tout excès, n'est-ce pas le doigt de Dieu lui-même ? L'homme peut-il le dévoyer par sa cruelle tendresse ? Est-il juste que le père mène à une perte éternelle ce qui lui a été remis en gage ? Réfléchissez, père : si vous l'abandonniez pour un temps à sa misère, ne le verrait-on pas changer de conduite, et s'amender ? et si, à cette grande école de la misère, il reste une canaille... malheur au père qui aurait ruiné par sa faiblesse les préceptes d'une sagesse supérieure !... Eh bien, père ? LE VIEUX MOOR. Je vais lui écrire que je retire ma main de lui. FRANZ. Voilà un acte juste et sage. LE VIEUX MOOR. Qu'il ne paraisse plus jamais à mes yeux. FRANZ. L'effet en sera salutaire. LE VIEUX MOOR, avec tendresse. Jusqu'à ce qu'il ait changé ! FRANZ. Fort bien, fort bien... Mais s'il vient sous le masque de l'hypocrite, qu'il vous apitoie par ses larmes, que ses flatteries lui valent votre pardon... et qu'il s'en retourne le lendemain pour rire de votre faiblesse dans les bras de ses putains ?... Non, père ! Il reviendra de son plein gré, quand sa conscience l'aura absous. LE VIEUX MOOR. Bien, je vais lui écrire sur-le-champ. FRANZ. Attendez ! Un mot encore, père ! Je crains que votre indignation n'arrache à votre plume des mots trop durs, qui lui fendraient le coeur... et puis... ne croyez-vous pas qu'en se voyant digne d'une lettre de votre main, il se croira déjà pardonné ? Mieux vaudrait me laisser le soin d'écrire. LE VIEUX MOOR. Fais, mon fils. Ah ! cela m'aurait brisé le coeur ! Écris-lui... FRANZ, rapidement. C'est bien d'accord ! LE VIEUX MOOR. Écris-lui que mille larmes de sang, mille nuits sans sommeil... mais ne désespère pas mon fils. FRANZ. Ne voulez-vous pas vous mettre au lit, père ? Vous avez subi un rude choc. LE VIEUX MOOR. Écris-lui que le sein paternel... je te le répète, ne désespère pas mon fils. Il sort d'un air triste. Source : Schiller (Friedrich von), les Brigands, trad. par S. Fort, Paris, L'Arche, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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« FRANZ .

Fort bien, fort bien… Mais s’il vient sous le masque de l’hypocrite, qu’il vous apitoie par ses larmes, que ses flatteries lui valent votre pardon… et qu’il s’en retourne le lendemain pour rire de votre faiblesse dans les bras de ses putains ?… Non, père ! Il reviendra de son plein gré, quand sa conscience l’aura absous. LE VIEUX MOOR .

Bien, je vais lui écrire sur-le-champ. FRANZ .

Attendez ! Un mot encore, père ! Je crains que votre indignation n’arrache à votre plume des mots trop durs, qui lui fendraient le cœur… et puis… ne croyez-vous pas qu’en se voyant digne d’une lettre de votre main, il se croira déjà pardonné ? Mieux vaudrait me laisser le soin d’écrire. LE VIEUX MOOR .

Fais, mon fils.

Ah ! cela m’aurait brisé le cœur ! Écris-lui… FRANZ , rapidement. C’est bien d’accord ! LE VIEUX MOOR .

Écris-lui que mille larmes de sang, mille nuits sans sommeil… mais ne désespère pas mon fils. FRANZ .

Ne voulez-vous pas vous mettre au lit, père ? Vous avez subi un rude choc. LE VIEUX MOOR .

Écris-lui que le sein paternel… je te le répète, ne désespère pas mon fils.

Il sort d’un air triste. Source : Schiller (Friedrich von), les Brigands, trad.

par S.

Fort, Paris, L'Arche, 1998. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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