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Steinbeck, les Raisins de la colère (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Steinbeck, les Raisins de la colère (extrait). Dans ce roman social, Steinbeck dénonce les ravages sur l'Homme de la mécanisation de l'agriculture et du capitalisme américain d'après-guerre, à travers le destin d'une famille de fermiers « okies « -- endettés mais insoumis -- que les rouages de la crise et de l'endettement condamnent à l'exode vers la Californie. Sous le naturalisme apparent de cette saga, gonflée des espoirs de la rébellion et de la fraternité humaine, affleurent surtout les sources mythiques de l'imagination propre à Steinbeck, nourrie de références telluriques et bibliques, donnant à cette oeuvre les allures de l'épopée. Les Raisins de la colère de John Steinbeck [...] Le cliquetis de métal retentit de nouveau. Tom porta son regard vers la longue file de tentes d'un gris à peine plus clair que le sol. Près d'une tente, il vit une lueur orangée filtrer à travers les fentes d'un vieux poêle de fonte. Une fumée grise s'échappait d'un bout de tuyau. Tom sauta à bas du camion et se dirigea lentement vers le poêle. Il vit une jeune femme s'affairer autour du feu, vit qu'elle portait un bébé dans le creux de son bras et qu'elle lui donnait le sein, la tête du bébé enfouie sous le corsage. Et la jeune femme s'occupait, attisant le feu, écartant les ronds rouillés pour activer le tirage, ouvrant la porte du four ; et durant tout ce temps, le bébé tétait et la mère le faisait adroitement passer d'un bras sur l'autre. Le bébé ne gênait en rien son travail, non plus que la grâce légère et vive de ses mouvements. Des langues de flammes orangées jaillissaient des fentes du poêle et projetaient sur la tente des reflets dansants. Tom s'approcha. Il sentit l'odeur de lard grillé et de pain cuit. À l'est, la lumière grandissait rapidement. Tom s'avança tout près du poêle et se réchauffa les mains. La jeune femme le regarda et eut un signe d'approbation qui fit tressauter ses deux nattes. -- Bonjour, fit-elle en retournant le lard dans la poêle. Le pan de la tente s'écarta et un jeune homme en sortit, suivi d'un plus vieux. Ils étaient vêtus de vestes et de pantalons de treillis bleus, encore raidis par l'apprêt, avec des boutons de cuivre reluisants. C'étaient des hommes au visage anguleux, qui se ressemblaient beaucoup. Le plus jeune avait un brin de barbe brune et le plus vieux un brin de barbe grise. Leur tête et leur visage étaient mouillés, de l'eau perlait de leurs cheveux et de leur barbe et leurs joues étaient luisantes d'eau. Ensemble, ils s'arrêtèrent en regardant tranquillement vers l'ouest illuminé ; ils bâillèrent ensemble et regardèrent la lumière sur les crêtes. Ensuite, ils se retournèrent et aperçurent Tom. -- Jour, dit le plus vieux. Son visage n'était ni amical ni hostile. -- Jour, dit Tom. -- Jour, dit le jeune. L'eau séchait rapidement sur leurs figures. Ils s'avancèrent vers le poêle et se réchauffèrent les mains. La jeune femme continua son ouvrage. À un moment donné, elle posa le bébé par terre et lia ses cheveux avec une ficelle, et les deux tresses pendaient dans son dos et flottaient quand elle remuait. Elle disposa sur une grande caisse d'emballage des gobelets et des assiettes en fer-blanc, des cuillers et des fourchettes. Puis elle ôta le lard frit de la graisse où il baignait et le déposa sur un grand plat d'étain, et le lard grésilla en se recroquevillant. Elle ouvrit la porte rouillée du four et en sortit un plat carré de gros biscuits gonflés. Quand l'odeur de ce pain brûlant se répandit, les deux hommes aspirèrent profondément. Le jeune homme dit à mi-voix : -- Nom de Dieu ! Le plus vieux se tourna vers Tom. -- Z'avez déjeuné ? -- Ben... non, j'ai pas déjeuné. Mais ma famille est là, plus loin. Ils ne sont pas encore levés. Du sommeil en retard. -- Eh bien, asseyez-vous avec nous, alors. Nous avons de quoi, Dieu merci ! -- Vous êtes bien aimable, dit Tom. Ça sent tellement bon, que j'me sens pas le courage de refuser. -- C'est vrai que ça sent bon, hein ? fit le jeune homme. Z'avez déjà senti quéq'chose d'aussi bon ? Ils s'approchèrent de la caisse et s'accroupirent tout autour. -- Vous travaillez par ici ? demanda le jeune homme. -- On en a l'intention, répondit Tom. On n'est arrivés que d'hier au soir. Pas encore eu le temps de chercher. -- Nous, nous venons de travailler douze jours, dit le jeune homme. Tout en s'affairant autour du feu, la jeune femme dit : -- Même qu'ils se sont acheté des affaires neuves. Les deux hommes regardèrent leurs treillis neufs et sourirent, un peu confus. La jeune femme apporta le plat de lard, les gros biscuits bruns, un bol de jus de lard et un pot de café, puis elle s'accroupit à son tour près de la caisse. Le bébé tétait toujours, la tête sous son corsage. Chacun emplit son assiette, versa du jus de lard sur ses biscuits et sucra son café. Le vieux se remplit la bouche, mâcha, remâcha et avala goulûment. -- Dieu tout-puissant, que c'est bon ! dit-il. Puis il remplit de nouveau sa bouche. Le jeune homme dit : -- Ça fait douze jours qu'on mange bien. Douze jours que nous n'avons pas manqué un repas, ni les uns ni les autres. On travaille, on touche notre paie et on mange à not' faim. Il redevint silencieux et remplit de nouveau son assiette avec une ardeur presque frénétique. Ils buvaient le café bouillant, jetaient le marc par terre et remplissaient leurs tasses. Il y avait maintenant de la couleur dans la lumière, une lueur rougeâtre. Le père et le fils s'arrêtèrent de manger. Ils faisaient face à l'est et leurs figures étaient éclairées par l'aurore. L'image de la montagne et la lumière au-dessus d'elle se reflétaient dans leurs yeux. Puis les deux hommes jetèrent sur le sol le marc de leur tasse et se levèrent d'un même mouvement. -- Il est temps de partir, dit le vieux. Le jeune se tourna vers Tom : -- Écoutez donc, fit-il, si vous voulez faire le chemin avec nous, p'têt' qu'on pourra vous faire embaucher. -- Ben ! c'est rudement gentil à vous. Et je vous remercie bien pour ce qui est du déjeuner. -- Tout le plaisir était pour nous, dit le vieux. On tâchera de vous faire embaucher, si vous voulez. -- Et comment que j'veux, bon Dieu ! dit Tom. Attendez-moi juste une seconde. Que j'prévienne la famille. Il courut à la tente des Joad et se pencha pour regarder à l'intérieur. Dans l'obscurité, sous la bâche, il vit par terre les contours noirs des dormeurs. Mais quelque chose remua légèrement parmi les couvertures. Ruthie sortit en se tortillant comme un serpent, les cheveux dans les yeux, sa robe toute chiffonnée. Elle s'avança prudemment à quatre pattes et se redressa. Son regard était clair et reposé après la nuit de sommeil et nulle malice ne se lisait dans ses yeux gris. Tom s'écarta de la tente et lui fit signe de le suivre. Lorsqu'il se retourna, elle leva les yeux vers lui. -- Dieu de Dieu, c'que tu pousses, dit-il. Elle se détourna, subitement gênée. -- Écoute-moi, dit Tom. Surtout ne réveille personne, mais quand ils se lèveront, dis-leur que j'ai p'têt' une chance de trouver du travail et que j'ai été voir. Dis à Man que j'ai mangé avec des voisins. T'as bien compris ? Ruthie fit un signe d'assentiment et se détourna, et ses yeux étaient des yeux de petite fille. -- Surtout, ne les réveille pas, recommanda Tom. Il se hâta d'aller retrouver ses nouveaux amis. À pas de loup, Ruthie s'approcha du pavillon sanitaire et passa la tête par la porte entrouverte. Quand Tom les rejoignit, les deux hommes l'attendaient. La jeune femme avait tiré un matelas dehors et y avait couché le bébé tandis qu'elle faisait la vaisselle. Tom dit : -- J'voulais dire à la famille où que j'étais parti. Ils n'étaient pas réveillés. Les trois hommes s'acheminèrent le long de l'allée centrale, entre les rangées de tentes. Le camp commençait à s'animer. Les femmes allumaient les feux, découpaient de la viande, pétrissaient la pâte pour le pain de la journée. Et les hommes s'affairaient autour des tentes et des automobiles. Le ciel devenait rose. Devant le bureau, un vieillard maigre ratissait soigneusement le sol ; Il tirait un râteau de façon à faire des sillons droits et profonds. [...] Source : Steinbeck (John), les Raisins de la colère, trad. par Marcel Duhamel et M.-F. Coindreau, Paris, Gallimard, coll. « Folio «, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« — Ben ! c’est rudement gentil à vous.

Et je vous remercie bien pour ce qui est du déjeuner. — Tout le plaisir était pour nous, dit le vieux.

On tâchera de vous faire embaucher, si vous voulez. — Et comment que j’veux, bon Dieu ! dit Tom.

Attendez-moi juste une seconde.

Que j’prévienne la famille. Il courut à la tente des Joad et se pencha pour regarder à l’intérieur.

Dans l’obscurité, sous la bâche, il vit par terre les contours noirs des dormeurs.

Mais quelque chose remua légèrement parmi les couvertures.

Ruthie sortit en se tortillant comme un serpent, les cheveux dans les yeux, sa robe toute chiffonnée.

Elle s’avança prudemment à quatre pattes et se redressa.

Son regard était clair et reposé après la nuit de sommeil et nulle malice ne se lisait dans ses yeux gris.

Tom s’écarta de la tente et lui fit signe de le suivre. Lorsqu’il se retourna, elle leva les yeux vers lui. — Dieu de Dieu, c’que tu pousses, dit-il. Elle se détourna, subitement gênée. — Écoute-moi, dit Tom.

Surtout ne réveille personne, mais quand ils se lèveront, dis-leur que j’ai p’têt’ une chance de trouver du travail et que j’ai été voir.

Dis à Man que j’ai mangé avec des voisins.

T’as bien compris ? Ruthie fit un signe d’assentiment et se détourna, et ses yeux étaient des yeux de petite fille. — Surtout, ne les réveille pas, recommanda Tom. Il se hâta d’aller retrouver ses nouveaux amis.

À pas de loup, Ruthie s’approcha du pavillon sanitaire et passa la tête par la porte entrouverte. Quand Tom les rejoignit, les deux hommes l’attendaient.

La jeune femme avait tiré un matelas dehors et y avait couché le bébé tandis qu’elle faisait la vaisselle. Tom dit : — J’voulais dire à la famille où que j’étais parti.

Ils n’étaient pas réveillés. Les trois hommes s’acheminèrent le long de l’allée centrale, entre les rangées de tentes. Le camp commençait à s’animer.

Les femmes allumaient les feux, découpaient de la viande, pétrissaient la pâte pour le pain de la journée.

Et les hommes s’affairaient autour des tentes et des automobiles.

Le ciel devenait rose.

Devant le bureau, un vieillard maigre ratissait soigneusement le sol ; Il tirait un râteau de façon à faire des sillons droits et profonds. […] Source : Steinbeck (John), les Raisins de la colère, trad.

par Marcel Duhamel et M.-F.

Coindreau, Paris, Gallimard, coll.

« Folio », 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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