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Susan M. OKIN (1950-) Vie privée et vie publique

Publié le 19/10/2016

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Susan M. OKIN (1950-)

Vie privée et vie publique

L'idée que l'on puisse tracer une distinction claire et simple entre ce qui relève du politique et ce qui relève de la vie personnelle, entre le public et le domestique, est un élément de base de la théorie libérale au moins depuis Locke, et demeure encore aujourd'hui au fondement d'une grande partie de la théorie politique. Comme l'ont démontré les théoriciennes féministes, cette distinction fondamentale trouve ses racines dans la culture et les pratiques sociales du patriarcat et ne peut perdurer si l'on pense que l'ère du patriarcat est révolue. Certaines féministes ont avancé l'idée qu'il n'est pas nécessaire de conserver une sphère privée. Néanmoins, la plupart d'entre elles, moi y compris, auraient plutôt tendance à se rallier à l'avis des théoriciens du courant libéral dominant qui plaident pour le maintien de la sphère privée, et ce pour les mêmes raisons qu'ils invoquent [...]. J'ai en effet suggéré ici que les femmes ont autant besoin de la sphère privée que les hommes pour développer des relations d'intimité avec les autres et pour temporairement abandonner leurs rôles et trouver les moments de solitude nécessaires au développement intellectuel et créatif. J'en conclus qu'un grand changement au niveau des institutions et des pratiques du genre est requis si l'on veut permettre aux femmes d'avoir les mêmes opportunités que les hommes, soit au niveau de la participation dans les sphères non domestiques comme celles du travail, du marché économique ou de la politique, soit pour bénéficier des avantages de la sphère privée. Nous devons aller vers une société où les hommes et les femmes partagent, comme partenaires égaux, les tâches de prise en charge des autres, ainsi que les autres responsabilités domestiques que la pensée politique dominante supposait explicitement « naturellement » féminines, et qu'elle continue implicitement à supposer telles en gardant le silence sur le genre et la famille De plus en plus d'activités confinées jusque-là dans la sphère domestique vont se déplacer à l'extérieur, comme c'est déjà, dans une certaine mesure, le cas pour la préparation de la nourriture, l'éducation des enfants et le domaine de la santé. La frontière entre les deux sphères, qui n'a jamais été aussi nette dans les faits que dans la théorie, continuera à fluctuer. Nous devons maintenir une certaine protection de la vie personnelle et privée contre le contrôle et les intrusions extérieures. Mais il est peu probable que la dichotomie entre le public et le domestique puisse, dans la théorie et la pratique d'une société sans genre, être aussi claire et nette qu'elle l'a été dans la théorie politique dominante, depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours.

« Le genre, le public et le privé », in Genre et politique, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2000, p. 388-390.

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