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Témoignage d'Erich-Maria Remarque

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

« Le bombardement a cessé, je me tourne vers l'entonnoir et je fais signe aux autres. Ils sortent et ôtent leurs masques. Le cimetière est un champ de ruines. Cercueils et cadavres sont dispersés partout. C'est comme si les morts avaient été tués une seconde fois. Devant nous, il y a quelqu'un d'étendu. Celui qui gît sur le sol est une recrue. Sa hanche est inondée de sang caillé. Il est si épuisé que je saisis mon bidon, dans lequel j'ai du thé au rhum. Kat arrête ma main et se penche sur le soldat : "Où as-tu été touché, camarade ?" Il remue les yeux. Il est trop faible pour répondre. Nous coupons son pantalon avec précaution. Il gémit. S'il a été touché au ventre, il ne faut pas qu'il boive. Il n'a pas vomi, c'est de bon augure. Nous mettons sa hanche à nu. C'est une bouillie de chair, avec des esquilles d'os. L'articulation est atteinte. Ce garçon ne pourra jamais plus marcher. Kat étale autant qu'il peut deux paquets de pansement afin de recouvrir la plaie. Je cherche de l'étoffe pour l'enrouler tout autour, sans trop serrer. Nous n'avons plus rien. Alors, je relève la jambe de pantalon du blessé pour faire une bande avec un morceau de son caleçon, mais il n'en a pas. Cependant, Kat a trouvé dans les poches d'un mort d'autre paquets de pansement que nous appliquons sur la blessure avec précaution. Je dis au jeune homme qui nous regarde fixement : "Nous allons maintenant chercher une civière." Alors il ouvre la bouche et murmure : "Restez ici." Kat dit : "Nous revenons tout de suite; nous allons te chercher un brancard." On ne peut pas savoir s'il a compris. Derrière nous, il gémit comme un enfant : "Ne me quittez pas." Kat se retourne et dit tout bas : "Ne vaudrait-il pas mieux simplement prendre un revolver pour que tout soit fini ?" Le jeune homme aura de la peine à supporter le transport et c'est tout au plus s'il peut encore vivre quelques jours. Tout ce qu'il a souffert jusqu'à présent n'est rien à côté de ce qu'il lui reste à souffrir avant qu'il meure. Maintenant il est encore engourdi et il ne sent rien. Dans une heure, ce sera un paquet hurlant de souffrances intolérables. Les jours qu'il peut vivre encore ne seront pour lui qu'une torture insensée. A quoi cela sert-il de les lui laisser ? J'approuve de la tête : — Oui, Kat, on devrait prendre un revolver. — Donne! dit-il en s'arrêtant. Il est décidé, je le vois. Nous regardons autour de nous, mais nous ne sommes plus seuls. Devant nous se forme un petit rassemblement. Des têtes sortent des entonnoirs et des tombes. Nous allons chercher un brancard. » Extrait de Erich-Maria Remarque, A l'Ouest, rien de nouveau, 1929

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